650,5 – Guerres dites de religion

– Expression trompeuse inventée par Michelet pour qualifier et masquer la lutte des pays d’Europe du Nord pour leur autonomie politique et culturelle contre la puissance dominante d’alors, l’Espagne catholique romaine, pour omettre l’ambition des villes d’Augsbourg (les Fugger), de Londres, d’Anvers et de Rotterdam avides d’enlever à Florence et à Venise leur rang de premières places financières du capitalisme naissant. La religion servit certes, mais principalement, de détonateur. Aujourd’hui comme hier il est plus noble de s’abriter derrière quelque spiritualité plutôt que d’avouer, d’un côté comme de l’autre, qu’on a tout simplement envie d’agrandir son pré carré, de se venger, de s’affranchir d’une tutelle, de se remplir les poches ou bien de les garder bien pleines.

– Pourquoi les déchirements (à coup d’attentats à la voiture piégée, indéniable progrès) entre Sunnites et Chiites qui durent depuis plus d’un millénaire, continuent de plus belle au XXI° siècle et ont fait des millions de morts,  ne sont-ils pas qualifiés par nos vigilants média de guerres de religions ? Mystère, l’expression serait-elle réservée aux chrétiens du temps jadis ?

– « Les guerres de Religion, qui n’ont guère de religieux que leur mystique d’emprunt. » (Jean-François Colosimo)

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« L’âge des guerres identitaires n’est sans doute pas terminé … en particulier à partir de l’édification de la religion en critère d’identité absolu. » (Laurent Bouvet)

« Un schisme n’exprime pas tant des différences de doctrine qu’une volonté d’affirmation ethnique ; y transparaît moins une controverse abstraite qu’un réflexe national. »(Emil Cioran)

« La formule de Henri IV, ‘Paris vaut bien une messe’ relativiserait à elle seule la dimension ‘religieuse’ des guerres de Religion … La Saint  Barthélémy est sans excuse, mais on peut difficilement prétendre que l’avènement de l’Etat moderne  inaugure la fin des tueries massives à moins de ne pas savoir ce que fut Verdun (et la suite). Toutefois, à la religion les boucheries inhumaines et à l’Etat les justes causes. » (Jean-François Colosimo)

« L’alphabétisation de masse au XVI° siècle a entraîné pour corollaire le littéralisme textuel, base des fondamentalismes. La Bible en beaucoup de mains et chacun de  se livrer à ses visions apocalyptiques, à ses impatiences millénaristes …  Les guerres de religion … Le clergé médiéval avait, jusqu’alors,  maintenu vivante la promesse tout en renvoyant son accomplissement à une date ultérieure.  Mais quand il n’y a pas de clergé : sunnites, néoprotestants ! » (Régis Debray – L’angle mort – Tous les excès. Similarité avec la dématérialisation et le djihadisme aujourd’hui, avec l’avenir radieux communiste d’hier)

« Depuis Charlemagne, l’esprit allemand était colonisé par la culture latine dont l’Eglise romaine se trouvait la dispensatrice. En secouant ce protectorat, en réclamant le droit de prêcher les Evangiles dans sa langue maternelle, Luther … a, du coup, libéré le génie allemand, révélé l’Allemagne à elle-même. Sa révolte contre la seconde Rome renouvelle la révolte d’Arminius. La Réforme est ainsi devenue en Allemagne le réveil du germanisme, comme la Renaissance avait été en Italie le réveil de la latinité. Ce fut la première en date des grandes révolutions allemandes. » (René Grousset)

« L’idée  d’Eglise ‘nationale’ vit le jour d’abord dans les pays protestants … et c’est peut-être surtout pour la réaliser que le Protestantisme fut suscité, car il semble bien que Luther n’ait guère été, politiquement du moins, qu’un instrument des ambitions de certains princes allemands … Sans cela, il est probable que les conséquences de sa révolte auraient été tout aussi négligeables que celles de beaucoup d’autres dissidences individuelles. » (René Guénon) 

« La paresse médiatique conduit à voir un peu partout des ‘guerres de religion’, même là où il n’y en a pas … raccourci permettant de faire l’économie d’une analyse … catégorie explicative passe-partout. » (Jean Claude Guillebaud)

« Dieu est convoqué par des belligérants déjà aux prises les uns avec les autres. Il n’est pas à l’origine de leurs différends. La religion est alors la première victime d’une confiscation idéologique … La référence divine est embrigadée. » (Jean-Claude Guillebaud)

« La fin logique d’une guerre de religion est la destruction finale de l’une d’entre elles … Tels étaient les principes de la lutte entre la France et l’Allemagne. » (T. E. Lawrence – à propos de la guerre de 14-18, qui effectivement, au moins du côté français, s’apparentait à une guerre de religion par les torrents de haine déversés sur l’adversaire, l’atmosphère de vengeance, et enfin la lutte forcenée et sectaire contre le statut impérial adverse au nom de la forme et de la  laïcité républicaine – Les sept piliers de la sagesse)

« La lutte des marchands d’Anvers, d’Amsterdam et de Londres contre l’Espagne et les grandes cités italiennes catholiques … la conversion au calvinisme des juifs émigrés d’Espagne et du Portugal … le caractère nécessairement cosmopolite des classes commerciales (bourgeoisie urbaine) … Pourquoi la lutte économique contre les pays catholiques put-elle recouper le combat religieux ? … La révolution économique et la révolution religieuse ont effectivement communiqué. » (Claude Lefort)

« Vous vouliez donc expédier les catholiques au ciel avec de la poudre à canon ? » (Georg Christoph Lichtenberg) – Ou les protestants, ou aujourd’hui les vilains occidentaux.

« Les guerres de religion recommencent. La démocratie est une féroce religion protestante. L’Islam est une terrible religion sexuelle. Il n’y a jamais eu autant de mythes, concurrences de mythes dans l’histoire  humaine, que maintenant : Femme divinisée, Mort adorée. Démocratie plus violente et plus inégalitaire qu’au temps de Périclès. Guerre du sujet contre lui-même dans la névrose qui n’est que le récit secret de l’assujettissement. Fétichisme technicien. Jeunisme grégaire sauvage. Pis que sauvage : dédomestiqué, psychotique. » (Pascal Quignard – Les ombres errantes)

« Carl Schmitt montre que les guerres idéologiques des temps modernes, qui disqualifient l’ennemi sous l’angle moral, au lieu de le considérer comme un adversaire que l’on combat tout en admettant qu’il puisse aussi avoir ses raisons, ont pris le relais des guerres de religion … Même caractère impitoyable et total, effacement des distinctions entre combattants et civils, entre front et arrière, entre belligérants et neutres ; quand les armes se taisent, la guerre se poursuit par la ‘rééducation’ politique (et l’exécution des chefs vaincus, comme Vercingétorix !) … Qui fait la guerre au nom de l’humanité … cherche à accaparer un concept universel pour s’identifier à celui-ci … afin de délégitimer son ennemi, de le transformer en un hors-la-loi,  n un monstre inhumain. » (Carl Schmitt – par Alain de Benoist) – Merci à notre révolution de 1789, aux démocraties qui ont pris la suite ; de ce point de vue pas mieux que les dictatures.

« Les conflits idéologiques du siècle dernier (nazisme, communisme…)  ont eu les mêmes caractères  que les guerres de religion au XVI° siècle : ils portaient sur la conception du bien, même s’il était défini en termes politiques et non plus religieux Le patriotisme national et partisan a conduit aux excès nationalistes et partisans du siècle passé, comme les passions religieuses du passé avaient justifié dans les siècles précédents, les horreurs des guerres de religion. » (Dominique Schnapper) Ceux-là  ne furent pas moins féroces que celles-ci. Et dire que nous prétendons donner des leçons !  Et, en plus, avec les horreurs qui se préparent.

« La religion, élément gênant de l’héritage culturel … Pourquoi ne pas se mettre tacitement d’accord pour en finir avec les guerres de religion en en finissant avec la religion elle-même, et pour se consacrer à l’application des sciences physiques aux affaires pratiques, entreprise qui ne soulèverait pas de querelle et promettait d’être lucrative. » (Arnold Toynbee – La civilisation à l’épreuve– 1947)

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