025,5 – Vagabondage, Nomadisme, Errance

– Il en est de multiples sortes. On le rencontre dans tous les domaines de l’activité humaine.

– Poursuivi, à terme plus ou moins lointain il prépare l’échec. La cause et la conséquence de toutes ses formes (excepté le vagabondage matériel non choisi mais imposé à certains) est le vagabondage mental soit le  refus d’attachement et de concentration qui engendre et dénote la dispersion et l’insatisfaction chronique, la dissolution de la personne dans la bouillie velléitaire.

-Leurs inverses sont la fidélité, la stabilité, la constance, l’être existant…

On peut consulter aussi la rubrique Concentration / Dispersion, 025,  3

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« ‘Habiter’ est un besoin essentiel à la vie psychique de l’homme, pour se connaître, savoir qui il est, pour exister en tant que lui-même … S’il ‘n’habite’ pas il devient en quelque sorte étranger à l’existence … Privé d’historicité il ne se situe plus dans le temps ni l’étendue, ne sait pas où il se tient existentiellement. » (Baudouin de Bodinat)

« Renoncer à la thésaurisation des savoirs offerts à la convoitise au profit de la formation de soi (‘bildung’) nommée en Europe culture … Qu’est-ce que se cultiver si ce n’est édifier sa propre identité à partir d’affectations assumées et d’altérations surmontées. » (Françoise Bonardel)

« Voyageant pour acquérir sa formation, l’homme de culture tel que le conçut Goethe n’a rien du ‘nomade’ encensé par ceux qui transitent d’un aéroport à l’autre. » (Françoise Bonardel)

« Les intellectuels devenus les porte-parole d’un ‘nomadisme’ de bon ton derrière lequel transparaît fréquemment l’épure idéologique d’un cosmopolitisme abstrait. » (Françoise Bonardel) – Sur les prétendus intellectuels, jet-setters,  commis stipendiés de la mondialisation.

« L’apparition du tourisme est due, en même temps qu’au progrès technique, aux conséquences humaines qu’il entraîne : c’est un cataclysme spirituel, quelque part en profondeur, qui jette les hommes sur les routes … Forme moderne de l’inquiétude, le voyage est, dans l’espace, la réplique de la constante pérégrination de l’esprit individuel : de sa poursuite d’une transcendance, et de sa fuite devant lui-même. » (Bernard Charbonneau) – Comme toute agitation.

« Un ermite qui connaît l’horaire des trains. » (Emil Cioran – sur le poète Henri Michaux)

« Il a vu que les habitudes ne sont pas une simple répétition des manières de vivre, mais le degré de fidélité que nous portons à notre passé et à notre existence … Car il n’y a pas d’habitudes si l’être n’a pas le sentiment de pouvoir les appliquer au-delà du présent : l’idée de l’avenir est un élément de l’habitude non moins nécessaire que le passé … On ne peut aimer que ce dont on croit l’existence durable. » (Georges Poulet – résumant Benjamin Constant qui s’effrayait des réformateurs systématiques dans l’application de leur dogme d’uniformité. Ils donnaient aux habitudes le nom de malveillance)« Les habitudes forment une partie essentielle du bonheur. » (Benjamin Constant) – Derrière le réformateur se cache trop souvent un démolisseur.

« La quête infinie qui aboutit à l’échec infini. » (Hans Jonas – sur notre fébrilité moderne)

« Ma faute est de m’être risqué dans une sphère de vie où je ne suis pas chez moi. » (Kierkegaard)

« On peut cesser d’être anglais, chrétien, mais on ne devient pas pour autant un arabe. » (colonel Lawrence) – Plus facile de laisser tomber sa peau que d’en revêtir une autre.

« On ne saurait revenir sur soi sans avoir commencé par se porter ailleurs. » (Simon Leys)

« D’autres, étant possédés d’une curiosité inquiète, passent d’objets en objets, sans s’arrêter à aucun … Il vaut bien mieux savoir peu et avoir le cœur bien réglé que de savoir une infinité de choses et se négliger soi-même. » (Mabillon)

« Tous errent d’autant plus dangereusement qu’ils suivent chacun une vérité. » (Blaise Pascal) – Encore du temps de l’auteur, y avait-il des vérités.

« A vouloir être partout, le zappeur n’est plus nulle part. Il sonde, saute, à la durée, il préfère le va-et-vient ; à la fidélité, le vagabondage ; à la connaissance, les flashes. » (Bernard Pivot) – On peut zapper en tout.

« Le zapping c’est, à volonté et à domicile, le pouvoir absolu : régal des petits chefs, joujou des beaufs, revanche des humiliés, des sans-grade. » (Bernard Pivot)

« Sans point de départ, on ne peut pas partir. » (Peter Sloterdijk) – Même le cosmopolitisme, opposé à l’enracinement, supposerait une racine de départ, d’appui.

« Une liberté complète serait un vide où rien ne vaudrait la peine  d’être accompli, rien ne mériterait de se voir attribuer une quelconque valeur … Le moi qui obtient sa liberté en écartant tous les obstacles et toutes les entraves extérieurs est dénué de caractère, il est donc privé de tout objectif défini. » (Charles Taylor) – Aboutissement du relativisme absolu, de l’errance perpétuelle. 

« Le nomadisme, voué à la recherche interminable de l’horizon. » (?)

Cette sous-rubrique est due à l’ouvrage de Michel Maffesoli, Du nomadisme, vagabondages initiatiques.

 « Le propre de la modernité a été de tout vouloir faire entrer dans le rang, de codifier, d’identifier … Le terme d’existence (ek-sistence) évoque le mouvement, le départ, la coupure, le lointain … la sortie de soi (fût-ce d’une manière transgressive) … ‘Peut-être notre véritable destin est-il d’être éternellement en chemin, sans cesse regrettant et désirant … toujours assoiffés de repos et toujours errants’ (Stefan Zweig) … Il est dans la nature des choses de s’établir, de s’institutionnaliser, et par là-même d’oublier la part aventureuse qui fut la marque de l’origine (le traumatisme du changement, de la naissance…). Le nomadisme qui rappelle l’instituant, et par là relativise la pesanteur mortelle de l’institué, est là pour rappeler cette aventure originelle … rappel de la valeur de la mise en chemin … L’errance potentiellement dangereuse … Le barbare vient troubler la quiétude du sédentaire, mais ‘l’homme sédentaire envie l’existence des nomades’ (Theodor Adorno) … Le nomadisme rappelle l’aspect fécondant des origines, la force de ce qui est instituant, le dynamisme de ce qui est mouvant … ‘Le pont qui relie s’opposant à la porte qui ferme’ (la métaphore de Georg Simmel, séparation et liaison) … Va-et-vient constant entre clôture et ouverture, prison du corps et aventure de l’esprit … Accommodement entre ce qui est institué et la force vive de ce qui est instituant, enracinement et aspiration vers un au-delà … Le rôle du bassin méditerranéen de l’Antiquité … L’intense circulation du Moyen Âge … La quête du Graal … Le tour de France des compagnons … Les pèlerinages … Perfectionnements divers non uniquement techniques, pour une bonne part  intellectuels, voire spirituels … Ce qui prévaut est bien quelque chose de mouvant, de non institué … nostalgie de l’ailleurs qui favorise l’acte fondateur … Le nomadisme n’est pas uniquement déterminé par le besoin économique … Recherche ‘d’expérience de l’être’ … ‘Marche à l’étoile’ … Rupture du territoire individualiste … La ‘bohême’ … La recherche d’une fusion communautaire … Le dépassement de l’identité propre à l’individu … La tension vers l’ailleurs reflétée dans l’expression ‘L’an prochain à Jérusalem’, ou bien le mythe de la Jérusalem céleste … Rêve du mouvement et désir de l’ailleurs, don Quichotte … La ‘soif de l’infini’ de Durkheim … La duplicité de la vie quotidienne exprimée dans la dialectique de l’errance et de la sédentarité, duplicité forme de liberté, introduisant le ‘bougé’ dans ce qui est stable, l’inquiétude ou l’incertain dans ce qui est trop assuré … Périodes d’unité et retour vers la multiplicité (monothéisme, polythéisme ?) … Après la centralité, la marginalité … Après la rationalité le retour à une ambiance passionnelle qui sert de matrice à la vie politique, à la vie des affaires, dans les relations internationales comme dans celles de travail, rêve d’infini où tout s’exacerbe … Le chaos primordial de la fête … L’époque des structures ou des institutions stables est terminée : Individu, identité, nation, Etat, fonction à effectuer, histoire personnelle et collective à réaliser … Dés lors l’existence est renvoyée à son errance première … L’exode comme modèle. »

« ‘L’anachôrésis’ des anachorètes signifie un retrait politique, et renvoie à un idéal de non-engagement … Sur la route et dans le désengagement il y a comme un parfum de désert. Quelque chose de rude et d’abrupt, mais quelque chose, également, qui ne manque pas de suavité … Là où l’errance prend tout son sens c’est où elle favorise le détachement par rapport aux choses établies. Ou plutôt parce qu’elle ne permet pas l’attachement et, ainsi, relativise leurs impacts, sur le long terme, dans la vie sociale … retrait politique qui renvoie à un idéal de non- engagement … Etant entendu que ce retrait par rapport à la chose publique favorise l’intensité des relations affectives : amicales, amoureuses, sociales… L’énergie qui ne s’investit plus dans le lointain politique devient plus dense dans le cadre de relations choisies, celles des ‘affinités électives’. De même, le désenchantement politique favorise le réenchantement spirituel … le retour du merveilleux. » – L’auteur, Michel Maffesoli, semble bien optimiste sur la qualité de ce retrait.

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