435,6 – Sondage

– Dernière trouvaille de l’égalitarisme.

– Docte leçon indiquant ce que pense autrui, donc comment il convient de… ou de ne pas… (suivant les commanditaires du sondage, la question et le moment où elle est posée).

– Si on veut les gros chiffres faisant du bruit dans le bon sens, il convient de poser la question lors d’un pic émotionnel (fait-divers, catastrophe, vague de sanglots émotionnels ou de hurlements de fureur…). Si on souhaite un certain résultat, il suffit de conditionner suffisamment l’opinion avant de demander leur avis aux perroquets.

– Spécialité des débats télévisés en matière de société : témoignages indiscutablement émouvants, suivis de l’inévitable « Tant pour cent des français pensent que… », et hop, on ne va pas plus loin, plus profondément – le message est passé, apparemment brut de fonderie, en fait soigneusement concocté.

– Ces remarques ne mettent pas en cause l’intégrité des instituts de sondage qui signent les leurs, notamment pour les grandes élections (ils ne se risqueraient pas à perdre leur réputation qui est leur fonds de commerce, en effet ils vivent des sondages pour eux rentables effectués par les entreprises et les marques, et non des bien plus rares et quasi gratuits sondages électoraux), mais plutôt celle des commanditaires des petits sondages dits de société, de mœurs, réalisés sur des échantillons discutables et émotionnellement conditionnés pour lesquels aucune vérification à posteriori n’existe, alors qu’elle existe quand même pour les élections. Dans les cas de ces petits sondages, il suffirait de connaître le commanditaire et on pourrait se passer du sondage (ce qui est le cas en fait) pour connaître le résultat. Pure intox. médiatique.

– Cependant, en matière politique, les sondeurs se trompent de plus en plus souvent et énormément (Brexit, Trump, primaire de droite…). Deux raisons à ces errements. La première, chez eux, la corruption est plus idéologique que matérielle. Les instituts de sondage et les sondeurs partagent le même milieu que le monde politico-médiatique. Ils sont donc aussi sourds et aveugles aux sentiments populaires. D’autant plus que dans l’atmosphère de terreur imposé par ces mêmes média, les sondés se méfient et ne révèlent pas toujours leur opinion si elle est dissidente par rapport à la doxa officielle. La seconde raison est la volonté clairement affichée de ce milieu politico-médiatique de dicter au peuple ce qu’il doit faire.

– Un exemple de petite tricherie parfaitement volontaire : quand une grève gêne quasi uniquement les Parisiens, interroger sur le bien-fondé des revendications des grévistes un panel représentant l’ensemble des Français (sans l’avouer bien sûr).

– En France, l’utilisation des sondages pour recenser (ou en l’occurrence modeler) l’opinion publique remonte à l’épisode Mendès-France (celui-ci n’y étant, au moins directement, pour rien) de 1955-6 par l’intermédiaire de L’Express de J.J. Servan-Schreiber, suivi très exceptionnellement par Le Monde (en raison de la nouveauté et de la popularité de l’expérience Mendès),  dernière publication pourtant déjà systématiquement hostile à toute initiative pouvant apparaître comme relevant du peuple ou le servant par opposition aux élites

– Au niveau d’abrutissement atteint par les Françaises et les Français, la popularité d’un chef d’Etat dépend des résultats de l’équipe nationale de football.

– On peut aussi consulter l’exemple de la sous-rubrique : L’échafaud, 375-13.

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« Dans n’importe quelle question, il ne s’agit pas de savoir ce que les hommes ont pensé mais où se tient la vérité des choses. » (saint Thomas d’Aquin)

« Quand un homme politique recule dans les sondages c’est rarement pour prendre son élan. » (Yvan Audouard)

« Des questions que, d’’ordinaire, les individus objets de l’ethnologie ne formulent pas, vu que, par position, ils sont toujours en position de répondre, non d’interroger. » (Marc Augé) – Les sondés de nos civilisations avancées sont donc dans la même position que les primitifs objets des ethnologues.

« A ne poser que des questions, on n’obtient que des réponses (un paysan sondé – cité par Yves Barel) … Ces sondages d’où il ressort que les gens ne sont pas si mécontents que cela de leur travail (ou de leur niveau de vie, ou de leurs loisirs…), or il est psychologiquement difficile à quelqu’un qui fait un travail idiot pendant des années (ou ne joint jamais les deux bouts, ou passe des vacances stupides et sans intérêt…), qui le sait et qui le pense, de renforcer cette idiotie en l’affichant, c’est-à-dire en reconnaissant devant lui-même et devant les autres qu’il n’est pas capable de s’extraire de cette idiotie. » (Yves Barel) – Et les journalistes serviles, bornés et incultes de prendre les réponses comme du pain bénit. Type même du sondage stupide, et dont le but est clairement manipulatoire, le sondage sur une éventuelle suppression de l’impôt sur la fortune (ISF), comment s’étonner de recevoir une écrasante majorité de Non puisqu’une écrasante majorité ne paye pas, et ne payera jamais, cet impôt ?

« Les citoyens sont si souvent sondés qu’ils en ont perdu toute opinion. » (Jean Baudrillard)

« Cet exhibitionnisme statistique, ce voyeurisme continuel du groupe sur lui-même : il lui faut à tout instant savoir ce qu’il veut, savoir ce qu’il pense, se voir sur l’écran vidéo des chiffres, déchiffrer ses courbes de température, dans une sorte de folie hypocondriaque. Le social est obsédé de lui-même, il devient son propre vice, sa propre perversion. Surinformé, il devient obèse de lui-même. » (Jean Baudrillard)

« On place l’individu sur un terrain prédéterminé où les jeux sont faits. Il n’a pas la possibilité de poser ses questions ou, plutôt, de mener les enquêtes nécessaires à la production d’une question. C’est la base du mécanisme d’aliénation du ‘souci’ (dans l’acception d’Heidegger dans le sens ‘d’orientation de la pensée’) ; on leur montre où doivent se situer leurs soucis, vers où les orienter … fabrication de fausses questions où l’individu ne peut répondre qu’à partir des options préexistantes et à sa disposition dans le sens commun. Tout le monde doit être ‘pour ou contre’ … Voilà à quoi se réduit, dans la pratique, l’exercice de la démocratie participative. » (Miguel Benasayag) – « Autre moyen de dissimuler la réalité : donner au ‘pour’ et au ‘contre’ une importance égale, même si le contre représente 80% du pays… afficher une équité obligatoire entre des opinions contraires en dissimulant que l’une écrase l’autre statistiquement, ce qui revient à rehausser l’importance statistique des minoritaires tout en conjurant le spectre de la majorité. » (Christian Combaz) – Là on est hors sondage, plutôt dans la presse.

« Le devoir d’opinion met l’opinion sous influence. Les sondages opèrent sur le même mode quand ils posent des questions que ceux à qui ils les posent ne se sont jamais vraiment posées. La problématique (le thème de l’enquête, la formulation des questions) est imposée, le sujet choisi, la réponse attendue dans l’instant, la pression joue en faveur de l’opinion suggérée par le discours dominant. L’opinant n’a pas davantage de prise sur l’interprétation des chiffres, le commentaire des résultats, l’écho donné au sondage… » (Philippe Bénéton) – Il s’agit d’imposer une opinion dominante préfabriquée.

« Le sondé répond ce qu’il pense convenable de répondre … Il choisit l’une des réponses parmi celles qu’avec bienveillance on a préparé à son intention … L’enquêteur presse, il a pour consigne de réduire autant qu’il est possible le taux des non-réponses … Quel est l’homme libre, celui qui dit ‘je ne sais pas’ quand il ne sait pas ? … la validité des sondages proches de l’élection est sans portée générale (Pour l’organisme sondeur : importance par l’écho, par la validation rapidement obtenue ; les sondés répondent sur un acte personnel, proche et important…). » (Philippe Bénéton)

« Les non-réponses sont rares, même aux questions ardues, embrouillées … ‘Savoir ce que l’on pense n’est pas facile’ (Alain), mais ce n’est plus le cas, une très grande majorité semble avoir une opinion sur tous les sujets … Il (le sondé) abdique sa liberté de jugement en vertu du rôle qu’il se croit obligé de jouer … Il fait semblant d’avoir une opinion personnelle. » (Philippe Bénéton)

« Sondage : pour que les gens sachent ce qu’ils pensent. » (Francis Blanche)

« La force du sondage repose sur une double évidence, sur une double croyance : en la démocratie et en la science. Son histoire prolonge celle du suffrage universel et celle de la raison statistique. Ces constructions intellectuelles et sociales se ressemblent et se renforcent l’une l’autre … La technique du sondage accepte … de mettre en suspens les différences, de savoir, de pouvoir, d’origine…, qui séparent les individus et rendaient jusqu’alors leur comptage impossible. » (Loïc Blondiaux La fabrique de l’opinion)

« Compte tenu de la place occupée par l’opinion publique dans l’idéologie politique démocratique, admettre l’équivalence entre opinion publique et résultats des sondages revient à faire produire à l’instrument des effets sociaux et politiques extraordinairement forts. » (Loïc Blondiaux )

 « Les élus revendiquent le mandat du peuple, mais celui-ci a rarement l’occasion d’être entendu … Seul le sondage autoriserait le retour de l’opinion sur elle-même, cette prise de conscience réflexive (Qu’est-ce que mon vote signifie vraiment ?) … Traducteur (des vœux du peuple auprès des élus) et de révélateur (du peuple à lui-même), le sondage se révèle même supérieur à l’élection au jeu de la représentativité démocratique (pas ou fort peu de refus de réponse, c’est-à-dire d’abstentionnistes), représentation proportionnelle … Disqualification des ‘faux prophètes de l’opinion publique’, selon Gallup … Diminution de la tromperie exercée par les minorités bruyantes et les groupes de pression et rempart contre ceux-ci et celles-là … du chantage exercé par l’invocation purement verbale d’une prétendue opinion publique … Revanche de ‘l’homme de la rue’ contre des intermédiaires corrompus … Mais les sondages prédictifs peuvent constituer ‘une menace pour la pureté du scrutin’ … L’effet dit ‘bandwagon’ (grimper dans le dernier wagon, la perspective du succès rameuterait les indécis) … L’effet  inverse dit ‘underdog’ (se porter à la rescousse du perdant annoncé) … Effets toujours prétendus, jamais clairement vérifiés … Le risque est celui de transformer les élus en simples ‘poupées’ de l’opinion publique, oscillant au gré des volontés de cette dernière (c’est-à-dire en fait de la propagande des cercles médiatiques qui imposent leur vision partiale) … Ce serait (c’est déjà) l’application de la vieille imprécation d’Edmund Burke : ‘Son opinion autonome, son jugement mature, sa conscience éclairée, il ne doit pas vous les sacrifier … Votre représentant vous doit non seulement son industrie, mais son jugement, et il vous trahit au lieu de vous servir s’il le sacrifie à votre opinion’ … Dans un esprit proche : ‘Espérer que les dirigeants … écouteront leurs voix comme un mandat du peuple revient à substituer la médiocrité à l’expertise’ (Cartwrigh, expert américain). » (Loïc Blondiaux – considérations éparses sur la démocratie des sondages et leurs inconvénients)

« En commandant massivement des enquêtes, la presse (les média) concède aux instituts de sondage l’un de ses droits les plus anciens. En contrepartie, elle se donne la possibilité de rester maîtresse du nouveau jeu politique et, par commande de sondages interposée, de continuer à représenter l’opinion. » (Loïc Blondiaux)

« Suivre toujours l’opinion des multitudes, c’est se risquer à ne rien prévoir, rien empêcher, rien pouvoir. » (Gustave Le Bon) – Ce qui arrange bien nos incapables.

« ‘Pendant longtemps on a distingué en France deux grandes tendances, la gauche et la droite. Estimez-vous qu’à l’heure actuelle cette distinction a encore un sens ou qu’elle est dépassée ?’ (SOFRES, février 1970)  – Cette distinction avait encore un sens autrefois, proposition impliquée dans ‘encore’ et ‘dépassée’. Elle est déjà dépassée ou en voie de dépassement puisqu’on se demande si elle a encore un sens, construction du type ‘avant c’était vrai, maintenant est-ce vrai ?’, introduction de l’idée d’évolution et avec elle l’idée que l’opposition entre la gauche et la droite est dépassée ou peut l’être. La question ostentatoirement objective (la symétrie finale) masque une thèse politique (la distinction est dépassable) qui enferme elle-même une mise en demeure politique subtilement mondaine : est-ce que vous êtes assez dépassé (à droite ou à gauche) pour ne pas savoir que l’opposition entre la gauche et la droite est dépassée. » (Pierre Bourdieu, Luc Boltanski – Exemple de manipulation par sondage – La production de l’idéologie dominante)

« ‘D’après ce que vous savez, les entreprises privées en France font-elles trop de bénéfices, des bénéfices normaux, des bénéfices insuffisants ?’ (IFOP, avril 1970) – A l’effet de ‘fermeture des possibles’ que produit tout questionnaire à réponses préformées en constituant un univers de réponses légitimes tacitement donné pour fini et complet, on ajoute l’effet de ‘fausse symétrie’ : sous apparence de proposer une réponse exigée par la stricte neutralité scientifique (‘pas assez’), on fait apparaître la réponse favorable au ‘statu quo’, c’est-à-dire conservatrice, comme ‘normale’, c’est-à-dire non marquée politiquement. Le milieu n’étant jamais que la double négation des extrêmes. Par l’espace à trois points, on peut par construction faire de n’importe quelle position un centre, les extrêmes étant construits de façon à engendrer une position moyenne, médiane, modérée. »  (Pierre Bourdieu, Luc Boltanski – Exemple de manipulation par sondage – La production de l’idéologie dominante)

« Nul besoin de truquer les enquêtes ; tout dépend de la manière de rédiger les questions et de l’ordre dans lequel elles sont posées … La question formulée de telle  manière et placée à tel endroit agit et rétroagit sur la réponse …  la question piégée induit une réponse biaisée … Quand on veut amener quelqu’un à apporter la réponse voulue, il faut créer les conditions d’une progression dialectique qui amène le meilleur taux de réponses possibles à la question centrale. Lorsque le sondé est entré dans un schéma, il en subit la force d’entraînement et va jusqu’au bout. Les réponses varient suivant la position où on place la question … C’est ce que Michel Foucault appelait ‘l’ordre du discours’ … ‘Etrangers tout court ou étrangers non ressortissants de l’UE’, ce n’est pas pareil … C’est du reste l’une des fonctions des sondages : évacuer la question de la démocratie directe, commodément remplacée par un simulacre de consultation … Subterfuge imparable. Sous couvert de refléter l’expression publique, ils en circonscrivent le périmètre d’expression. On sollicite la parole du peuple pour organiser la dépossession de la parole du peuple et lui faire parler par contrainte le langage de l’opinion minoritaire … Outil de gouvernement de l’opinion. Un outil qui modèle les esprits et façonne les consciences … Outil auquel recourent les politiques pour gérer les situations de crise (faire démentir des soupçons gênants par une question habilement posée quelques jours après) » (François Bousquet ou Patrick Buisson – considérations diverses sur les sondages) – Sondages, drogue des politiciens, moyen de gouvernement.

« Un vrai tour de passe-passe qui consiste à faire dire aux Français ce qu’ils ne disent pas, en l’occurrence qu’ils plébiscitent une liste de cinquante personnalités qu’ils n’ont pas choisies … Ce baromètre ne dit pas le temps qu’il fait, mais le temps qu’il doit faire … On y croise toujours les mêmes proportions de minorités visibles, personnes à handicap, cautions morales et autres amis de la cause animale ou écologique. La société victimaire ordonne un tel échantillonnage. » (François Bousquet – sur cette bouffonnerie : les personnalités préférées des Français)

« La démocratie américaine … a fait de la notion de ‘moyenne’ l’instrument dont elle avait besoin pour donner une direction concrète à sa volonté. On peut dire que la principale institution américaine est l’institut Gallup. » (Pierre Boutang) – Nous les avons bien rattrapé. 

« Quand un sondage se trompe, il émet encore une vérité. Celle-ci qu’une bonne partie des répondants sont des menteurs. » (Albert Brie)

« Le contraire des bruits qui courent des affaires ou des personnes est souvent la vérité. » (La Bruyère)

« On n’enquête plus, on sonde ! La France politique est devenue un catalogue d’échantillons, de panels, de tranches de population. On ne décrit plus, on compte. » (Daniel Carton)

« Rien ne paraît pouvoir devoir freiner cette demande permanente de sondages à propos de tout et de rien  … Journalistes et hommes politiques ont besoin de leur dose quasi quotidienne de chiffres et de mesures. »  (Patrick Champagne) 

« Le sondage a remplacé la conscience. » (Jean-François Deniau) – L’opinion publique (c’est-à-dire celle des média pourris) dicte aux responsables politiques les positions qu’ils doivent prendre.

« Ce faux respect pour les prétendus préférences et goûts des individus ; que l’on feint de croire indépendant de la trame de relations dans laquelle ils se manifestent. » (Jean-Pierre Dupuy) – De l’assourdissante propagande préalable, de la dictature féroce exercée par le gang des biens-pensants, de la formulation de la question, du moment où elle est posée…

« La prévision d’un fait social, une fois connue et affichée publiquement, ne peut que modifier le fait en question. Les sondages en faisant connaître à l’opinion publique l’état de l’opinion publique, changent celle-ci. Au sondage suivant, certains sondés allant dans le sens de l’histoire ou de la foule pencheraient vers le vainqueur du sondage précédent, d’autres tenteraient de rétablir la balance en se portant vers le perdant. » (Jean-Pierre Dupuy)  

« Le pouvoir d’attraction d’une opinion croît avec le nombre d’individus qui la partagent. » (Jean-Pierre Dupuy)

« L’on chercherait en vain une parole inattendue puisque c’est implicitement en tant que représentant de l’avis général que Monsieur Tout-le-Monde émet l’opinion qu’il croit être la sienne. » (Raphaël Enthoven – à propos des micro-trottoirs)

« ‘92% des sondés souscrivent à la thèse selon laquelle les marchés de travail doivent être modernisés et la priorité revenir à l’aide aux pauvres et aux exclus. A 90%, les sondés veulent une économie consommant moins de matières premières et produisant moins de gaz à effet de serre’. Merveilleux résultats, qu’on améliorerait encore en demandant aux gens s’ils sont pour la guerre ou pour la paix, pour la maladie ou pour la santé… » (Hans Magnus Enzensberger) – Genre de banalités sondagières quotidiennes.

« De peur d’être isolés, les individus adhèrent, pour la plupart, aux opinions majoritaires. » (Guillaume Erner)

« Le baratin devient inévitable chaque fois que les circonstances amènent un individu à aborder un sujet qu’il ignore. La production  de conneries est donc stimulée quand les occasions de s’exprimer sur une question donnée l’emportent sur la connaissance de cette question. Ce genre d’écart est fréquent dans la vie publique … La conviction très répandue dans les démocraties qu’il est de la responsabilité du citoyen d’avoir une opinion sur tout … Il va de soi que le fossé entre les opinions d’une personne et son appréhension de la réalité s’élargira encore si celle-ci estime qu’il est de sa responsabilité morale d’émettre un jugement sur les événements et sur la situation de l’ensemble de la planète … Abandon de l’idéal d’exactitude pour l’idéal alternatif de ‘sincérité’. Au lieu de parvenir à une représentation exacte du monde, l’individu s’efforce de donner une représentation honnête de lui-même. » (Harry G. Frankfurt – De l’art de dire des conneries) – D’où les services que peuvent rendre certains sondages habilement présentés pour donner l’illusion du soutien à la doxa qu’on veut imposer.

« Semaine épouvantable ! Pas un seul sondage d’opinion. Tant pis ! Nous essaierons de deviner tout seuls nos intentions. » (André Frossard)

« 82 pour cent des Français interrogés estimaient, à l’automne 84, que les hommes politiques ne disent pas la vérité … Le public s’était cru appelé à juger les politiques, les journalistes se mirent à jauger le public : n’est-il pas atteint de dépolitisation galopante ? » (André Glucksmann) – Et voilà comment les journalistes copains (et copines) des politiques inversent les choses pour détourner l’attention de ce qui leur déplaît et accuser ceux auxquels ils viennent de demander leur avis. Public toujours cocu (mais toujours content !).

« Un puissant souci de conformité habite nos sociétés … Chacun porte son regard sur l’opinion du voisin … La France, avec près de deux sondages par jour, est pionnière en ce domaine … Il obéit à des ressorts très voisins : la fascination quémandeuse, inquiète, pour l’opinion de l’autre, l’absence de convictions fortes qui polarise chacun sur l’hypothèse rassurante d’une opinion moyenne … Douce injonction derrière le  résultat : ‘voici la moyenne, voici la raison’ (ou l’écrasante majorité) … Si la vérité est une moyenne statistique, cela signifie qu’elle n’existe pas.  » (Jean-Claude Guillebaud) 

« Quand l’establishment médiatique fait un tir groupé dans une direction donnée, il est rare que ces sondages donnent moins de 50% d’opinions favorables : il y aura toujours assez d’esprits faibles suspendus à leur écran de télévision pour suivre l’opinion présentée comme dominante, ou pour ne pas oser répondre contre … Mais quand la moitié des sondés se tiennent à une opinion contraire à celle qui domine dans les média, c’est le signe infaillible d’une forte résistance populaire. » (Roland Hureaux) – Interpréter les sondages en fonction du matraquage médiatique.

« Plus les masses s’en foutent, plus on les questionne. » (François-Bernard Huyghe)

« Prévoir l’avenir, c’est affronter l’impopularité … Ce lancinant plébiscite de tous les instants que l’on nomme sondage de popularité … Jérémie eût-il été Jérémie sous le regard de la Sofres ? » (Jacques Julliard)

« Le sondage est devenu une sorte de réalité supérieure ; il est devenu la réalité. » (Milan Kundera)

« Les média de masse court-circuitant le processus électoral normal par des enquêtes qui façonnent l’opinion au lieu de simplement l’enregistrer, par la sélection de dirigeants et de porte-parole politiques… » (Christopher Lasch) – Voir comme, en cas de faillite d’un parti, d’un dirigeant, les média s’empressent de lui trouver un remplaçant et de le hisser en successeur déjà désigné. L’essentiel est de ne pas laisser le peuple décider.

« On ne redira jamais assez comment et en quoi le chiffre, le quantitatif, le statistique sont en voie de devenir l’astrologie du monde postmoderne. » (Michel Maffesoli)

« Cinq mille foyers, soit onze mille six-cents individus (faible échantillon). Chaque membre du foyer équipé d’un boîtier se contente d’indiquer quand il se trouve dans la pièce où le téléviseur est allumé, qu’il regarde ou non n’a pas d’importance. ‘On mesure juste la présence des personnes à proximité du poste’ … Pertinence d’un sondage qui interrogerait toujours les mêmes personnes ? (on garde son boîtier en moyenne pendant quatre ans, certains panélistes le restent pendant dix ans. » (Sophie Mazet – sur l’audimat) – De plus, il est évident que les personnes ont intérêt à utiliser le boîtier (qu’elles soient dans la pièce ou non) et les avantages (restreints) induits.

« Même si on met théoriquement cet ‘homme sans qualités’ (l’homme moderne) au centre du système comme s’il était le décideur. Ce seraient ses choix, ses options, ses comportements … qui décideraient, dit-on, de l’organisation de son monde. Ce qui justifie qu’on ne cesse de le sonder. Mais ses réponses aux sondages ne sont rien d’autre que ce que, la veille, on lui a inculqué. » (Charles Melman) – N’importe le Gogo y croit !

« Levez-vous, Sondages désirés ! Grâce à vous, définitivement, le Un, se retrouve jugé par le multiple, l’obscurantisme collectif recouvre à jamais l’individuel. Le pouvoir de l’Opinion publique audimatique supplante haut la main toutes les puissances … Encore quelques petits efforts et l’égalisation ultime des mentalités sera accomplie. » (Philippe Muray)

« La démagogie suggère que tout un chacun est à même de pouvoir juger de tout avec pertinence, quel que soit son niveau de compétence, non parce qu’il peut le faire, mais parce qu’il y a droit. » (Paul-François Paoli)

« Lorsqu’une discussion ne tourne pas à notre avantage, il reste, en dernier ressort, à placer une statistique. Les médecins de Molière avaient le grec et le latin, nous avons les statistiques et les sondages. Jadis la pédanterie était éloquente, désormais elle est sèche et scientifique. » (Georges Picard)

« Le calife Haroun-al-Rachid des  ‘Mille et une nuits’ parcourt les rues de Bagdad sous les traits d’un humble pour connaître l’opinion de ses sujets … Sous l’Ancien Régime, les ‘mouches’ se mêlaient à la foule des rues, prenaient part aux conversations pour saisir les rumeurs, pressentir l’humeur du public, voler un secret. » (Dominique Reynié) – On faisait des sondages même avant Gallup.

A tester : « La preuve de l’existence de Dieu par les résultats des sondages. » (Claude Roy)

« S’il continue à descendre dans les sondages, il va finir par trouver du pétrole. » (André Santini sur ?)

« Juger des opinions à leur valeur et non pas à leur nombre. » (Sénèque)

« Si l’on ouvre toute grande la gueule d’un âne et qu’on lui dise qu’il a droit à la parole, que peut faire le pauvre animal, sinon braire ? » (Jacob Slauerhoff)

« Les pronostics tellement rabâchés qu’ils ressemblent trop souvent plus à des ‘ordres à exécuter’. » (Régis Soubrouillard – sur les sondages unanimistes en matière politique)

« Si l’on répandait le bruit que telle manière de voir est universellement reçue, l’on obtiendrait l’unanimité, malgré le sentiment intime de chacun. » (Germaine de Staël) –Avec une bonne (et féroce) propagande,  même plus besoin de truquer les sondages.

« Les spécialistes des sondages politiques savent, sans pour autant toujours reconnaître ce fait sociologique trivial … que les enquêtes qu’ils réalisent sur commande ont ‘moins pour objet de faire progresser la compréhension des phénomènes politiques’ que de ‘produire des effets de légitimité (le peuple est avec moi)’ … ‘Ils sont engendrés … plus par des préoccupations politiques très pratiques et très immédiates’, au point de pouvoir alimenter la manipulation politique … ‘Les mots utilisés (démocratie…) ne sont plus les moyens d’une analyse scientifique, mais ils constituent un appel politique en vue de solliciter des prises de position chez les autres.’ » (Pierre-André Taguieff – citant Patrick Champagne)

« Il n’est pas de pire anarchie que l’acceptation docile d’un joug réputé vil, que la soumission méprisante et unanime à des maîtres qui sont l’objet de la suspicion de tous. » (Gabriel Tarde) – Regardons-nous. Si on ne veut pas trop se mépriser, il vaut mieux interdire les sondages.

« Dans les temps d’égalité les hommes n’ont aucune foi les uns dans les autres, à cause de leur similitude ; mais cette même similitude leur donne une confiance presque illimitée dans le jugement du public ; car il ne leur paraît pas vraisemblable qu’ayant tous des lumières pareilles, la vérité ne se rencontre pas du côté du plus grand nombre. » (Alexis de Tocqueville)

« Ce qui va déterminer la réponse à la question, ce n’est pas la question en tant que telle, sous la forme où elle a été posée, c’est le sens que va donner à cette question celui à qui elle a été posée, c’est aussi l’idée que se fait le sujet interrogé de la tactique la plus appropriée à adopter pour y répondre en fonction de l’idée qu’il se fait des attentes de l’interrogation. » (Michel Tort – Le quotient intellectuel)

« Le sondé, s’il veut faire bonne figure (on a aussi toujours peur de se faire ficher), doit donc décoder le sens caché des questions et deviner quelle réponse est correcte et moralement recevable et apprendre, en conséquence, à mentir. On chercherait à détruire tout sens moral et tout sens de la réalité qu’on ne s’y prendrait pas autrement. » (Michèle Tribalat – sur certains sondages, notamment ceux sur l’immigration destinés à faire désapprouver tout sentiment d’inquiétude)

« Si vous avez de l’argent, les sondeurs vous mettent dans l’offre. Ils vous cherchent et vous trouvent. Ils vous sondent et vous exposent … Sinon ils vous ignorent ou vous mettent dans la catégorie peu enviable des ‘petits candidats’. Et la presse les suit. … Les journalistes sont des copistes. Ils font tous le même article. » (Philippe de Villiers)

« Le moine répond comme l’abbé chante. » (proverbe)

 « La publication d’un mouvement sensiblement haussier a pour effet d’amplifier la dynamique dans l’opinion. » (?)

Ci-dessous, extraits simplifies et remaniés du livre de Patrick Champagne, Faire l’opinion – sur la question des sondages. On pourra voir également du même auteur à la rubrique Opinion publique, 175, 4.

« La démocratie est sans doute aujourd’hui moins menacée par le totalitarisme que par la démagogie et le cynisme que la pratique des sondages encourage par contre très directement … Délégitimation des corps intermédiaires chargés d’élaborer des positions politiques (la production d’une opinion, surtout en politique, implique une compétence et une information minimales, elle se ‘construit’), en même temps que  disqualification des opinions minoritaires, dissidentes, marginales, non suivies, bref, illégitime  … Les instituts de sondage sont loin d’enregistrer des ‘états’ de l’opinion. Ils contribuent surtout à faire croire qu’il existe, sur tout ou presque, une ‘opinion publique’ (si elle était vraiment publique, elle serait connue de tous, elle ne ‘surprendrait…’ ni ne ‘bouleverserait…’ personne …) … Les sondages permettent à la presse d’exprimer ses propres positions politiques, qui se trouvent comme ratifiées par le peuple … Il suffit de poser la bonne question (‘Les revendications des agriculteurs sont-elles justifiées ?’ ou ‘Les paysans se plaignent-ils trop, ?’) … Qui pose la question livre sa vision et l’impose, les grands problèmes de société de notre temps sont les questions que les médias se posent (ou imposent) … Les sondeurs confondent ce qui existe en fait avec ce qui est normativement posé comme devant être  … Additionner les réponses d’individus très hétérogènes socialement, postuler que tous les individus ont une opinion sur tout, qu’ils se posent tous la question qu’on leur pose et enfin que toutes les opinions se valent et qu’elles ont la même force sociale … La bonne qualité des estimations électorales est devenue rapidement un argument commercial, prouvant le sérieux des instituts de sondage … Or, d’un point de vue scientifique, il serait facile de montrer tout ce qui sépare, les enquêtes préélectorales ou ‘sorties des urnes’ des enquêtes d’opinion proprement dites (car les premières ne sont pas des enquêtes d’opinion mais des enquêtes sur des ‘comportements’ ou des ’intentions de comportement’) … Le sondeur cherche à recueillir non pas des opinions effectives, mais le maximum de réponses (pour pouvoir parler ‘d’opinion publique’), d’où une formulation des questions pour que n’importe qui puisse répondre quelque chose (le ‘pas d’opinion’ est à réduire par tout moyen) … Les sondés sont souvent les mêmes (la ‘Sofres’ dispose en Haute-Loire d’un ‘panel’ d’une cinquantaine de personnes ‘qui ont accepté de répondre et de collaborer régulièrement’  avec cet organisme … ‘correspondants permanents et officiels de la Sofres’ … Ce qui explique qu’on puisse monter un sondage en vingt-quatre heures ou poser une question en début d’émission et donner les résultats une demi-heure après … En plus de l’économie – s’il fallait constituer un ‘panel’ représentatif sur tout le territoire à chaque sondage !) … Un slogan (la ‘force tranquille’) est ‘gagnant’ parce que Mitterrand a gagné, c’est là du pur marketing (si Mitterrand  avait perdu, on aurait enterré le slogan) … Les seules opinions qui semblent pouvoir être publiquement exprimées sont celles qui sont statistiquement majoritaires dans les sondages. La pratique du sondage fabriquant et, en même temps, disqualifiant l’opinion minoritaire, dissidente, marginale, non suivie, bref, illégitime.» »

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