030,1 – Altruisme / Egoïsme

– Aimer son prochain comme soi-même (vaste programme) implique, d’abord, qu’on s’aime, soit qu’on veille à ses intérêts (à ne pas entendre dans le strict sens matériel).

– A terme, l’altruisme excessif, irréfléchi et prolongé, surtout à l’égard de proches, peut devenir très nocif, la déconsidération ultérieure de soi-même en prime (sans compter la douloureuse exposition à l’ingratitude possible) ce qui mène sûrement à la perte d’estime de soi. Cette sorte d’absence de souci et de soin de soi est la cause cachée de beaucoup de déprimes sévères et a posteriori pour la conséquence que je viens de dire.

– Savoir cependant qu’un acte de dévouement représente pour son auteur une récompense en soi.

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« Autrui ne peut venir qu’en second lieu, même si en ce lieu sa position est la première … Mais l’individu idiosyncrasique (celui qui se comporte selon et dans sa particularité) doit y trouver son compte, en termes de plaisir, de joie et de bonheur … Il serait contre nature qu’il en allât autrement., comme il serait contradictoire de pratiquer l’altruisme par égoïsme et de se dévouer à autrui par un calcul intéressé d’inspiration hédoniste. Contradictoire pour le point de vue éthique, mais nullement pour le psychisme, qui n’aurait aucun mal à définir une stratégie du développement égocentrique, où le dévouement à autrui aurait pour objectif de l’asservir au sujet. » (Jean Baechler) – Les pseudo élites françaises vont-elles s’y reconnaître ?

« Procès de sécularisation … La grégarité idéologisée doit conduire à la valorisation d’un ensemble excluant tout le reste : la nation, la race, la classe, la religion, la culture… La compassion idéologisée doit être sensible à toutes les misères du monde et s’émouvoir pour les soulager … L’amour idéologisé doit se disposer à assurer le bonheur d’autrui, au besoin malgré lui et contre lui … La justice idéologisée part en guerre contre toutes les injustices sans tenir compte ni des contextes ni des conséquences … Les résultats produits par la sécularisation d’une aire culturelle marquée par telle ou telle religion … Sachant que les aires  bouddhistes et musulmanes entament à peine un processus de modernisation (donc difficile de savoir), l’aire chrétienne et son segment judaïque vérifient les prédictions : autrui a été le prétexte de toutes les corruptions et perversions altruistes, induites par le traitement idéologique de la grégarité, de la justice, de l’empathie et de l’amitié. » (Jean Baechler) – «   Les idées chrétiennes devenues folles. » (Chesterton)

« L’homme ne peut que périr d’étouffement au contact de l’homme, si dans cette éternelle rencontre avec lui-même, qui constitue la vie de tous les jours – qu’il s’agisse de la rencontre de l’homme avec lui-même dans la solitude, ou avec ses semblables dans la communauté : celle du tête à tête solitaire, ou celle de la place publique – il ne rencontre jamais que l’homme. Si dans autrui, rien d’autre ne s’offrait que ce que chacun connaît foncièrement par lui-même : cet être avec sa limitation… Pourquoi le ‘Je’ devrait-il se perdre et se sacrifier pour un ‘Tu’, qu’il ne peut, au niveau le plus profond, estimer autrement que lui-même … Pourquoi un homme qui ne s’estime pas lui-même profondément, devrait-il estimer son semblable ? Pourquoi supposerait-il chez son frère un état d’esprit plus noble que chez lui-même ? » (Père Hans Urs von Balthasar)

« Tous les excès s’expient, même celui d’avoir été bonne sans mesure. » (Anne Barratin)

« Occupe-toi des autres, mais ne  t’oublie pas toi-même. » (saint Bernard – au pape d’alors, un de ses proches)

« Le dévoilement de la volonté de puissance et du ressentiment toujours sous-jacents à l’expression mystifiée des valeurs altruistes. » (Luc Boltanski  – évoquant Nietzsche selon Georges Bataille)

« A force de célébrer cet extérieur à soi, c’est nous qui sommes devenus extérieurs à nous-mêmes. » (François Bousquet) – Danger d’un altruisme, qui d’ailleurs ne reflète qu’un narcissisme exacerbé.  

« C’est quand on est le frère de tous qu’il fait si froid entre les hommes … La partialité dément l’altruisme, et pourtant l’altruisme présuppose cette partialité qui est sa condition contradictoirement vitale. L’étroitesse du choix garantit son authenticité. » (Pascal Bruckner)

« La tentation est grande pour certains de confondre le nécessaire tintamarre autour des victimes avec le délicieux brouhaha autour de leur personne. » (Pascal Bruckner)

« Le Téléthon, mis en scène d’une générosité hystérique, mélange d’obscénité et d‘efficacité, de farce et de foi résume toutes nos ambivalences envers les victimes. Nous les plaignons sincèrement, mais nous avons besoin d’elle pour nous aimer et nous racheter à travers leurs épreuves … Fusion de deux morales, l’utilitariste et la ludique. Être bon devient à la fois profitable et amusant … Marathon et kermesse … S’époumoner, s’enthousiasmer bruyamment … les standards sont saturés, les records s’affichent sur des écrans géants … Les présentateurs sautillant, trépignant, hurlant … Débauche d’exploits inutiles (et souvent grotesques) : trente heures d’affilés de tennis, de rock, etc., le plus grand saucisson du monde, etc. … On se croyait du côté des Evangiles, on se retrouve dans le livre des records. » (Pascal Bruckner)

 « Quand je m’occupais d’autrui, c’était pure condescendance, en toute liberté, et le mérite entier m’en revenait : je montais d’un degré dans l’amour que je me portais. » (Albert Camus – La chute)

« C’est une qualité très française que la générosité que l’on pratique sur le dos des autres. » (Michel Del Castillo)

« Les gestes nobles sont toujours suspects. On regrette, chaque fois, de les avoir faits. C’est du faux, du théâtre, de la pose. Il est vrai qu’on regrette presque autant les gestes ignobles. » (Emil Cioran)

« Notre époque semble plus incapable que les époques antérieures d’interpréter un propos dissensuel autrement qu’en termes d’intérêt personnel … Cette psychosocialisation qui conduit à n’envisager pour tout motif à nos actes qu’arrière-pensées intéressées. » (Jean-Philippe Domecq)

« L’amour abstrait de l’humanité est presque toujours de l’égoïsme. » (Dostoïevski)

« Plus j’aime l’humanité en général, moins j’aime les gens en particulier. » (Dostoïevski – Les frères Karamazov)

« Le comble de l’altruisme : laisser les autres s’occuper d’autrui. » (Georges Elgozy)

« Le bénéficiaire de la générosité disparaît derrière le spectacle de la générosité : à force de donner (et de le faire savoir) on ne sait plus à qui on donne … En donnant (publiquement) à autrui, on donne d’abord de soi-même (et à soi-même) l’image flatteuse de celui qui donne. On fait à soi-même le cadeau de donner … Il suffit pour donner vraiment de donner sans compter. Or c’est exactement, par définition, ce que le ‘Téléthon’ ne fait pas. Dans un tel système, la personne du destinataire passe après l’ego du donateur. » (Raphaël Enthoven)

« Egoïsme – Se plaindre de celui des autres et ne pas s’apercevoir du sien. » (Flaubert – Dictionnaire des idées reçues)

« Il n’y a pas d’oubli de soi qui ne soit payant pour soi. » (Alain Finkielkraut)

« L’altruiste est un égoïste déraisonnable ; il voudrait modeler tous les hommes sur sa propre sensibilité. » (Rémy de Gourmont)

« Je ne me sens plus la force ni l’envie de faire quoi que ce soit pour autrui, moi qui ne peux déjà rien pour moi. » (Roland Jaccard)

« Cette fonte et débâcle soudaine de la disposition autiste. » (Vladimir Jankélévitch)

« De toutes les doctrines d’altruisme, notre époque a réalisé la seule qui fût vraiment pratique : la camaraderie … ‘Aimez-vous les uns les autres’ c’était une formule divine. La formule humaine est plus simple : ‘Passe-moi la rhubarbe ; je te passerai le séné’. » (Robert de Jouvenel – La république des camarades)

« Quand on est soi-même en étant en Celui qui est en et pour lui-même, on peut être en et pour autrui, mais l’on ne peut être soi quand on est uniquement pour les autres. » (Kierkegaard)

– Plus que tout autre, l’impératif altruiste a perdu son pouvoir d’obligation morale et son statut suréminent dans la hiérarchie des valeurs … érigé en principe permanent de vie, c’est une valeur disqualifiée, assimilée à une vaine mutilation de soi … L’individualisme postmoraliste a dissous l’idéal de renoncement complet et régulier, il ne reconnaît que le dévouement limité, principalement en situation d’urgence, dans les situations exceptionnelles de vie et de mort. » (Gilles Lipovetsky)

« Le nouvel âge individualiste a réussi l’exploit d’atrophier dans les consciences elles-mêmes l’autorité de l’idéal altruiste, il a déculpabilisé l’égocentrisme et légitimé le droit de vivre pour soi-même … La morale rigoriste culpabilisait les consciences, la nouvelle charité les déculpabilise dans le divertissement … Alors même que l’altruisme n’est plus assimilé à un devoir obligatoire, nous sommes témoins d’un déferlement caritatif et secouriste sans précédent orchestré par les média. Band aid, restaurants du cœur, Téléthons, mégashows, immenses concerts, marathons, maintes émissions de télévision… Après les objets, les loisirs et le sexe, les bons sentiments ont fait leur entrée dans l’arène médiatique. Les ‘entrepreneurs moraux’ ne sont plus seulement les associations … mais aussi les chaînes de télévision et les stars. Plus la religion du devoir s’amenuise, plus nous consommons de la générosité … La charité s’associe aux décibels, l’humanitarisme au show-biz … plus de nobles causes sans stars, de grande collecte sans sono … Les promesses affluent, elles sont comptabilisées, le standard est saturé, les records battus … Exploit des montants recueillis, de la mobilisation générale, ‘olympiade de la bienfaisance’, ‘marathon du cœur’ … Place aux feux d’artifice et au spectacle. » (Gilles Lipovetsky) – Et une contradiction de plus. Rien d’étonnant à ce que ce soit le milieu le plus pourri, le milieu médiatique plus encore que le politique, qui se charge de masquer sa propre turpitude.

« Quiconque abandonne ses aises pour les aises d’autrui, perd les siennes sans qu’on lui en sache aucun gré. » (Machiavel)

« Sans l’apprentissage premier du don, de la fidélité et de la gratitude (avec nos proches que nous n’avons pas choisis), sans ce cadre anthropologique initial, nos affinités électives ultérieures se verront presque toujours soumises aux lois non dépassées de l’égoïsme infantile.  Rousseau ne voulait rien dire d’autre lorsqu’il rappelait que nul ne peut prétendre ‘aimer les Tartares’ (ou s’intéresser réellement aux sans-abri ou aux immigrés clandestins) s’il n’est pas d’abord capable d’aimer ses voisins, ses parents et ses proches. Autrement dit, ce n’est jamais en sautant la case départ qu’un être humain peut accéder à l’universel. Théorème qui a l’avantage d’éclairer au passage, la face psychologique cachée de bien des engagements officiellement ‘humanitaires’, ‘associatifs’ ou ‘citoyens’ (il ne manque pas de Richard Durn, de Bertrand Cantat ou de militants de ‘l’arche de Zoé’ pour le confirmer). » (Jean-Claude Michéa)

« Être sujet, c’est conjoindre l’égoïsme et l’altruisme. » (Edgar Morin)

« L’homme s’intéresse si peu à autrui, que même le christianisme recommande de faire le bien ‘pour l’amour de Dieu’ ». (Cesare Pavese)

«  Être altruiste désormais, ce n’est plus s’investir, c’est s’abstenir. Renoncer à avoir pour autrui une exigence – c’est-à-dire une ambition – ne marque plus le désintérêt, ou la désaffection ; mais témoigne au contraire de l’amour qu’on lui porte…. La neutralité devient alors l’horizon indépassable : et vis-à-vis de l’enfant, vis-à-vis de l’étranger, il ne s’agit plus d’être un parent ou un pays singuliers, mais un parent quelconque, et un pays quelconque, La préservation de la virginité ontologique de l’Autre est à ce prix. Il nous faut devenir page blanche, pour l’enfant, et terre vierge, pour l’étranger. L’adulte et le natif ne sont plus des figures à imiter, des référents culturels avec lesquels coïncider un jour, pour le nouveau-né et le nouveau-venu. » (Sylvain Quennehen)

« L’altruisme est cette doctrine qui demande que l’homme vive pour les autres et qu’il place les autres au-dessus de lui-même … Se sacrifier soi-même aux autres … Du masochisme comme idéal moral … Une société fondée sur l’éthique de l’altruisme qui traite l’homme comme un animal sacrificiel et le pénalise pour ses vertus de manière à pouvoir récompenser des parasites, des mendiants, des pilleurs, des brutes et des bandits  pour leurs vices … L’altruisme jauge la vertu d’un homme par le degré avec lequel il abandonne ses valeurs, y renonce ou les bafoue, puisque l’aide à un étranger ou à un ennemi est considérée comme plus vertueuse, moins  ‘égoïste’ que l’aide à ceux qu’on aime … Seul un manque d’estime de soi pourrait donner plus de valeur à la vie d’un étranger qu’à notre propre vie … C’est seulement dans les situations d’urgence que l’on doit se porter volontaire pour aider des étrangers, si cela est en notre pouvoir, et on ne peut considérer toutes les souffrances humaines comme des situations d’urgence … Les exemples des apologistes de l’altruisme sont toujours tirés de situations exceptionnelles … Toute aide doit être une exception et non la règle, un acte de générosité et non un devoir moral.» (Ayn Rand – La vertu d’égoîsme – considérations éparses sur la vertu d’altruisme)

« L’intérêt parle toutes sortes de langues et fait jouer toutes sortes de personnages, même celui de désintéressé. » (La Rochefoucauld)

Il y a un : « amour qui n’est plus l’effet d’une surabondance de force vitale… il masque seulement une évasion, un sempiternel dégoût de soi, où l’on ne se tourne vers les autres que par ricochet, par incapacité de demeurer chez soi … excursion dans les affaires d’autrui. Qui ne connaît de ces gens si nombreux parmi les socialistes, les suffragettes, et, d’une façon générale, parmi tous ceux qui professent des idées sociales ? Cet altruisme, cette orientation de tout son être vers les autres n‘a rien à voir avec l’amour. C’est un refus de se regarder soi-même … Quand ils font allusion aux compensations, aux consolations que ces humbles trouveront au Ciel pour leurs peines (‘les premiers seront les derniers’), on sent très bien l’homme plein de ressentiment qui se borne à projeter en Dieu la vengeance qu’il ne peut lui-même exercer sur les grands de ce monde … et assouvit, au moins en imagination, la vengeance qui lui échappe ici-bas. » (Max Scheler)

« L’œuvre qui t’est confiée n’est pas l’autre, c’est toi. » (Christiane Singer) – S’occuper d’abord de soi-même, puis de ses propres affaires

« Ceux qui aiment tout le monde, je m’en méfie ; ils s’aiment en tout le monde. » (André Suarès)

« Amis, j’ai perdu un jour. » (Titus – se reprochant de n’avoir rien fait pour les autres – cité par Suétone)

« Ceux qui cultivent le Tao – Ne cultivent pas le devoir et la justice sociale – Mais développent d’abord leurs qualités propres – Car celui qui voit les autres sans se voir lui-même – Celui qui entend les autres sans s’entendre lui-même – Perd la clarté de sa vision – Et devient quelqu’un d’autre – Que lui-même. » (Tchouang Tseu)

« Dans les sociétés démocratiques, chaque citoyen est habituellement occupé par la contemplation d’un objet très mesquin, qui est lui-même … Si les devoirs de chaque individu envers l’espèce sont plus clairs, le dévouement envers un homme devient plus rare, le lien des affections humaines s’étend et se desserre … Nous sommes des solitaires sociaux. » (Alexis de Tocqueville)

« On s’épuise à n’aimer que par pitié ; le jour vient où l’on a besoin de recevoir, et, ce jour-là, on réagit férocement contre l’être aimé. On devient démon à vouloir jouer à Dieu. » (Simone Weil)

« Un altruisme camaradivore. » (? – sur la mentalité  solidariste dans les syndicats et partis politiques)

« Qui aime autrui plus que lui-même se meurt de soif à la fontaine. » (proverbe)

« Qui est trop bon pour autrui ne l’est pas assez pour soi. » (proverbe)

« Ce qui est à moi est à moi, pour ce qui est à toi, on partage. » (? – une attitude anglaise)

 

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