– « L’utilité d’un acte, d’une parole, est le critérium de sa moralité. » (Julien Benda – en le déplorant évidemment)
– La question du médiocre, bien décidé à le rester, principalement devant quelque enseignement (latin…) : « A quoi çà sert ? Il va de soi qu’on a déjà répondu à cette question dès qu’on l’a posée sur le ton lassé de l’évidence. » (François Taillandier)
– Ce qu’on peut apprendre sert rarement où on pouvait le penser, mais de manière surprenante ailleurs. Il n’y aurait qu’une réponse (mais pour se faire massacrer) : à rendre moins con.
– « Ce qui est utile pour l’un ne l’est pas pour l’autre … L’opposition des utilités traduit l’opposition des intérêts. » (Julien Freund) – Caractère subjectif de l’utilité. Tout dépend des fins poursuivies, la paix, la guerre, le statu quo, la révolution, le pouvoir, l’argent, l’amour… ?
– L’utilité peut se révéler relative et dépendre du contexte. Devinette : quand il n’est pas disponible en rayon, et si on en croit les autorités et les experts en service commandé, l’objet est inutile et sans aucun intérêt. Dès qu’il devient disponible, et suivant les mêmes voix, le même devient soudainement fort utile et absolument recommandable. Réponse : le masque en tissu protecteur contre certaines épidémies.
– Il comprenait « l’utilité de l’inutile. » (Pierre Paquet – hommage à Simon Leys)
Sur la doctrine dite Utilitariste (Jeremy Bentham, John Stuart Mill…), voir à la rubrique Morale, Ethique, 460, 3, à John Stuart Mill.
Voir aussi aux rubriques Possession et Détachement, Renoncement, 580, 1 ET 2
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« L’utilitarisme est la façon de penser de la vie quotidienne. » (Francesco Alberoni)
« On peut dire que la valeur des choses ne nous est pas connue, mais qu’elle nous apparaît tout à coup, quand nous sommes sur le point de les perdre ou qu’elles sont menacées … maladie d’un proche. » (Francesco Alberoni)
« L’absence de sens qu’engendrent en fin de compte toutes ces philosophies strictement utilitaires … Où les hommes fascinés par les possibilités nouvelles de fabrication, ont tout pensé en termes de moyens et de fins … où tout but atteint est changé en moyen d’une fin nouvelle … où le but d’aujourd’hui devient le moyen d’un meilleur lendemain, jusqu’à la question : ‘A quoi sert’ ou ‘quelle est l’utilité de l’utilité ?’ » (Hannah Arendt – citant G. Lessing)
« Agissons pour éviter que l’accessoire ne devienne plus important que l’essentiel. » (Aristote)
« Ce qui n’est pas utile à la ruche n’est pas non plus utile à l’abeille. » (Marc-Aurèle)
« La plupart de nos paroles et de nos actions n’étant pas nécessaires, les supprimer est s’assurer plus de loisirs et de tranquillité. Il résulte de là qu’il faut, sur chaque chose, se rappeler à soi-même : ‘ne serait-ce point là une de ces choses qui ne sont pas nécessaires ?’ Et non seulement il faut supprimer les actions qui ne sont pas nécessaires, mais aussi les idées. De cette façon, en effet, les actes qu’elles pourraient entraîner ne s’ensuivront pas. » (Marc-Aurèle)
« Pendant la crise sanitaire l’épisode des masques fut révélateur d’un monde indigent pour le nécessaire et se nourrissant du superflu. Pas de masques, pas de tests mais la promesse d’un traçage sophistiqué. Pas de masques, donnez-leur donc des smartphones. » (Geneviève Azam – Comment tout peut s’effondrer)
« La conquête du superflu procure une excitation spirituelle plus grande que la conquête du nécessaire. L’homme est une créature du désir et pas une création du besoin. » (Gaston Bachelard)
L’inutile et le superflu sont plus indispensables à l’homme que le nécessaire. Le chant du merle est inutile, la rose est superflue, le travail est nécessaire. » (René Barjavel)
« Approche ton inutilité du travailleur ; elle rougira. » (Anne Barratin)
« Être un homme utile m’a toujours paru quelque chose de bien hideux. » (Baudelaire)
« Les fanatiques de l’ustensile. » (Baudelaire)
« L’épouvantable inutilité d’expliquer quoi que ce soit à qui que ce soit. » (Baudelaire)
« Tant de choses sont produites et accumulées qu’elles n’auront plus jamais le temps de servir (c’est tout à fait heureux dans le cas des armes nucléaires). Tant de messages et de signaux sont produits et diffusés qu’ils n’auront plus jamais le temps d’être lus. Heureusement pour nous ! Car avec l’infime part que nous absorbons nous sommes déjà en état d’électrocution permanente. Il y a une nausée particulière dans cette inutilité prodigieuse. La nausée d’un monde qui prolifère, qui s’hypertrophie, et qui n’arrive pas à accoucher. Toutes ces mémoires, toutes ces archives, toutes ces documentations qui n’arrivent pas à accoucher d’une idée, tous ces plans, ces programmes, ces décisions qui n’arrivent pas à accoucher d’un événement. » (Jean Baudrillard) – La stupidité de la modernité, de l’agitation.
« Les deux dimensions du jugement social : – La désirabilité sociale ; personne remarquable / personne à éviter dans les relations humaines ou interpersonnelles. La réputation de la personne de susciter des affects positifs et d’aller dans le sens des motivations d’autrui – L’utilité sociale ; personne remarquable / personne à éviter pour l’activité ou le travail. La réputation qu’à cette personne de pouvoir occuper certaines positions dans le fonctionnement social. » (Jean-Léon Beauvois)
« ‘Economie’, voilà le mot qui peut désormais servir à tout, expliquer tout, justifier tout. Dès que quiconque développe un projet, il est rappelé à l’ordre : l’œil de Dieu le regarde, les lois du marché l’encerclent. La production et ses mécanismes le tenaillent. S’il veut paraître un peu sérieux, tout alternatif doit donner des gages : employer quelques mots sacrés, économiques … juste pour éprouver sa soumission … Dès qu’un acte s’inscrit dans la logique utilitariste induite, il nous apparait immédiatement clair et compréhensible. Si c’est pour l’argent, le profit ou l’intérêt, tout peut s’expliquer … La chose économique érige ceux-ci en biens normatifs. Celui qui ne les désire pas devient un déviant, un marginal. Toute autre dimension dans une marchandise que sa valeur d’échange, la valeur d’usage par exemple, va être considérée comme archaïque, voire absurde. » (Miguel Benassayag, Florence Aubenas) – On peut justifier n’importe quel travail ou occupation, fût-il ou elle socialement critiquable ou même nuisible parce que c’est bien payé.
« Le corps formaté par la technique, par la société de l’utilitarisme, est devenu pour nous ‘muet’ ; nous n’avons de lui que, pour ainsi dire, de mauvaises nouvelles … L’homme de la technique n’est plus le même homme que celui qui savait entretenir une certaine amitié avec la nature, mais aussi avec lui-même, avec sa propre fragilité. » (Miguel Benasayag – La fragilité)
« L’étoffe même du phénomène humain entre à 90% dans la catégorie ‘inutilité’ … Les ‘savoirs inutiles’ sont en effet fondamentaux pour l’existence même des humains, l’amour, la pensée, la recherche, etc. » (Miguel Benasayag)
« C’est parce qu’existent les téléphones portables que je développe les situations problèmes dont cette communication mobile est la solution préalable … (l’urgentiste éloigné…) Ce qu’on nomme la solution précède et détermine le problème. » (Miguel Benasayag)
« Dans la vision utilitariste (celle des sophistes contrée par Socrate), le seul objectif du berger, sa seule activité, faisant abstraction du cycle, ne serait orientée, que vers la vente des moutons … déréalisation du monde et folie actuelle, l’objectif n’est même plus la vente des moutons, mais l’argent. Le néolibéralisme, à son apogée, considère ainsi le processus de production comme une perte de temps : si le mercantilisme implique la circulation marchandise-argent-marchandise, et le capitalisme argent-marchandise-argent, le néolibéralisme est l’époque où la circulation est argent-argent-argent. L’utilitarisme explique et rend légitime une telle folie. » (Miguel Benasayag)
« Le projet utilitariste vise à établir sur les décombres de la société traditionnelle le règne d’une raison froide, hédoniste et calculatrice … un monde de cauchemar selon les conservateurs, un monde sinistre et ténébreux… Dans la société moderne nul n’est notre prochain. » (Philippe Bénéton – évoquant la pensée conservatrice) – C’est le monde de la mondialisation. Vu la stupidité de l’Occident, seuls les changements climatiques réussiront à le faire avorter, mais à quel prix et dans quelle ambiance !
« Les technocrates utilitaristes qui préparent dans les universités la cohorte passive des monotechniciens abrutis. » (Jean-Marie Benoist)
« Je n’ai rien fait de passable en ce monde qui ne m’ait d’abord paru inutile, inutile jusqu’au dégoût. Le démon de mon cœur s’appelle : ‘A quoi bon ? » (Georges Bernanos)
-La distinction entre ce qui est profond et ce qui est superficiel, base des études sérieuses, n’a guère résisté à la tendance démocratique naturelle qui consiste à demander ‘à quoi ça sert ?’ » (Allan Bloom)
« L’essentiel n’est rien d’autre que ce qu’on néglige. » (Christian Bobin)
« C’est nuire à la découverte de la vérité que de l’apprécier d’après son degré d’utilité. » (Gustave Le Bon)
« L’utile (d’une théorie) n’est pas le vrai. » (Raymond Boudon)
« Tendirent à être jugées vraies ou justes des théories utiles au sens où elles servaient les intérêts d’un Etat-nation, d’une classe sociale ou d’un groupe ethnique. » (Raymond Boudon – sur l’abandon de l’idéal universaliste de la rationalité au XX° siècle au profit de l’utilitarisme pur.) Seulement au XX° ? « La fausseté d’un jugement n’est pas une objection contre ce jugement. » (Nietzsche) – Il peut en effet être utile. « Anything goes, Tout est bon. » – Relativisme.
« Si je me rends aux urnes pour voter, bien que je ressente le vote plutôt comme une corvée et que je comprenne fort bien que mon vote n’a aucune chance de faire la différence, c’est que je crois en la démocratie. Si je participe à certaines manifestations religieuses ou politiques, c’est que je crois aux idées qu’elles expriment. Le plaisir de la participation ne vient que de surcroît … Deux analyses opposées de ces phénomènes. Pour William James, la participation du croyant à une cérémonie religieuse s’explique par les bénéfices psychologiques qu’il en attend (vie meilleure, plaisir à partager ses émotions avec d’autres…). Selon Emile Durkheim, le plaisir éventuel n’est qu’un effet et non une cause, on participe à une manifestation de ce genre parce qu’on croit aux idées et aux valeurs qu’elle exprime. Si seule comptait la chaleur et l’effervescence on verrait davantage de communistes aux J. M. J. et plus de catholiques à la fête de l’Huma. » (Raymond Boudon) – La première thèse reflète le point de vue utilitariste où tous les actes et comportements s’expliquent par leur intérêt ou utilité.
« La vérité d’une idée se détermine à partir de son utilité en faveur de telle ou telle cause politique. » (Raymond Boudon – critiquant fortement certains personnages, historiens notamment, tels Georges Sorel, Houston Chamberlain, Heinrich von Treitschke…Il pourrait aujourd’hui incendier quasiment tous les politiciens et gens des média). A titre d’exemple, du même auteur : « Pour les hommes politiques américains il était utile d’oublier qu’Abraham Lincoln avait possédé des esclaves et que le thème de l’anti-esclavagisme avait été bruyamment présenté comme étant à l’origine de la guerre de Sécession deux ans seulement après son déclenchement … pour en neutraliser l’impopularité croissante auprès des élites européennes. L’idée qu’elle visait à abolir l’esclavage devint alors vraie, car elle était utile. » – A l’époque, tout le monde savait qu’elle avait servi à libérer de la main d’œuvre bon marché pour les usines du Nord.
« Elles sont totalement inutiles et nous donnent par là-même une idée de la valeur de ce qui est inutile. On dit : ‘Elles ne servent à rien’. Quel magnifique éloge ! » (Rémi Brague – sur la réhabilitation des langues anciennes)
« L’existence de l’humanité a avec les langues anciennes un point commun : elle ne sert à rien. » (Rémi Brague)
Un utilitarisme rigide sera le style de vie dominant. » (Jacob Burckhadrt) – Prohétisant dés 1870.
« Ce qu’il y a lieu d’expliquer, ce n’est pas l’apparition du propos utilitariste, on le trouve partout, mais la transformation de l’utilitarisme en système d’explication et de légitimation du monde massivement dominant … Quatre facteurs l’expliquent : la Réforme renvoyant Dieu dans sa transcendance infinie – Le remplacement de Dieu par la Raison et son enfant chéri, la science – L’économie de marché et le triomphe des classes moyennes, eux qui ne sont presque rien en regard des aristocrates et du clergé et n’ont à opposer que la certitude de leur travail et donc de leur utilité – La poussée démocratique vers l’égalisation des conditions entraînant l’apparition d’un dénominateur commun. » (Alain Caillé)
« Les passions sont dangereuses, pour l’Etat… Les moralistes se sont demandés comment combattre les passions les unes par les autres et ont abouti à la conclusion que la passion la plus forte, devant laquelle les autres devaient céder, est celle de l’intérêt (Descartes écrit encore un ‘Traité des passions’ et non un ‘Traité de l’intérêt’), qui deviendra l’intérêt presque exclusivement économique que nous connaissons … Certes … Mais la dificulté, dans le cas de l’utilitarisme, est qu’il repose sur le postulat que si les hommes sont intéressés, égoïstes et calculateurs, c’est par nature. » (Alain Caillé)
« Les sociétés modernes semblent être devenues à elles-mêmes leur propre et unique norme. Ce qu’elles sont est nécessairement bon, juste et légitime puisque ce sont elles qui le sont … Des sociétés de part en part rationnelles, c’est-à-dire n’obéissant plus qu’au critère et à la logique de l’utilité individuelle et collective … via trois institutions : le Marché et le jeu des intérêts matériels dépourvus d’ambiguïté, l’Etat démocratique débarrassé de la violence et de l’autorité par l’élection de représentants des intérêts, la Science réduisant le symbolisme légitime à la seule expression des intérêts de la Raison, garante de la rationalité des intérêts. » (Alain Caillé – simplifié)
« Pour les modernes, est largement incompréhensible et irrecevable ce qui n’est pas susceptible d’être traduit en termes d’utilité et d‘efficacité instrumentale. Au mieux, ce qui ressortit au champ pourtant énorme du non-utilitaire est pensé sous le registre du luxe, plus ou moins superflu, ou de l’idéal inaccessible, car pas de ce monde. » (Alain Caillé)
« L’imaginaire utilitariste … il dégrade la Raison en rationalisme, la science en scientisme et la démocratie en technocratisme … Il ne peut pas ne pas réduire, théoriquement et pratiquement, les sociétés et les sujets humains au seul jeu des intérêts et, deuxième réduction, ceux-ci aux seuls intérêts économiques. » (Alain Caillé)
« Extension de l’utilitarisme restreint … Plus qu’une réduction de l’impératif utilitariste au magasin des accessoires, c’est à sa généralisation effective qu’on assiste désormais, mais sous la forme de prime abord déconcertante d’une sorte d’hommage rendu par le vice utilitaire à la vertu anti-utilitariste. Il faut mobiliser le non-utilitaire, toutes les capacités d’enthousiasme, de dévouement, de sens du travail bien fait, de générosité, du goût du risque au service de l’utilitaire … L’anti-utilitaire, le désintéressement, est payant … Le gain prend des allures paradoxales … de qui perd gagne, puisqu’il est d’abord gain en prestige qui va à qui donne le plus (ce qui se monnaye ensuite), la règle du jeu implique de savoir attendre. »» (Alain Caillé)
« L’affrontement souvent violent et sordide des intérêts ne date ni d’aujourd’hui ni d’hier. Au moins, jusqu’à il y a peu, y mettait-on encore à peu près les formes et avait-on à cœur d’être ne fût-ce qu’hypocrite. Ce qui frappe chez les modernes, et dont ils se font gloire avec candeur, c’est leur franchie désarmante. Tel qui vous a fait subir les pires traîtrises se croira excusé et comme sanctifié lorsqu’il vous aura révélé que c’était par calcul d’intérêt. Les hommes politiques ne se donnent même plus la peine de faire semblant et de justifier leurs revirements … Ne sont-ils pas la preuve de leur finesse et de leur compétence professionnelle… de même des vedettes médiatiques du monde intellectuel. » (Alain Caillé)
« Le principal reproche, au fond, qu’on puisse adresser à l’esprit de la modernité, c’est qu’il interdit d’être pauvre. Pas dans les faits bien sûr. On redécouvre aujourd’hui la misère profonde qu’on croyait à jamais enfuie. Mais en droit. Toutes les cultures passées ont su trouver des vertus à la pauvreté. Hypocrisie, peut-être, encore qu’on puisse en douter. Mais les pauvres n’y étaient pas nécessairement et systématiquement pris pour des imbéciles ou des demeurés. Les pauvres n’étaient pas tous des pauvres types. Au moins, en droit … La généralisation de l’imaginaire utilitaire induit que la valeur des personnes est de plus en plus immédiatement proportionnelle à la valeur des biens marchands qu’elles possèdent et celle-ci, à son tour, est supposée immédiatement proportionnelle à leur utilité sociale. » (Alain Caillé)
« Parmi les adversaires du paraître sont le ‘commode’ et le ‘plus pratique’ ainsi que le ‘plus simple’ et le ‘plus confortable’. » (Renaud Camus)
« Le nouvel homme n’a-t-il pas la religion de l’utilité par-dessus les valeurs dont il s’épaule ? … La Réforme brisa avec les traditions héritées du Paganisme et parvint même à sanctifier le travail, beaucoup firent leur salut dans le monde en ne cessant de besogner … Le Capitalisme, comme le Socialisme au reste, s’avouent fils et petit-fils de la Réforme moralisante et puritaine … Ils partent de la même source, la démesure est leur péché mortel … La démesure est leur essence et l’univers entier est monté sur ce ton, le refus de la démesure entraînerait l’explosion immédiate… » (Albert Caraco) – La déesse Croissance !
« C’est difficile d’arriver à l’essentiel, la fantaisie résiste toujours. » (Louis-Ferdinand Céline)
« Il n’y a que l’inutilité du premier déluge qui empêche Dieu d’en envoyer un second. » (Chamfort)
« L’essentiel est souvent menacé par l’insignifiant. » (René Char)
« Après la mort de Dieu … sur quoi fonder l’ordre social sinon sur l’activité utilitaire ? Sur un labeur quotidien, peu-être asservissant, mais qui par cela même rétablit une discipline, remplit la vie, et ne laisse plus le temps de penser à la mort … Comment fuir l’angoisse, sinon dans le métier ? … Ne pas être occupé, voilà la racine du mal … L’ennemi, c’est le temps : pour le volatiliser, il suffit de le bourrer à éclater. » (Bernard Charbonneau)
« Si les bêtes possèdent tout ce qui est utile, ce qui est vraiment humain, c’est l’inutile … Le rite est beaucoup plus ancien que la pensée ; il est beaucoup plus simple et plus libre que la pensée. » (Chesterton)
« Je ne connais personne de pus inutile et de plus inutilisable que moi. » (Emil Cioran)
« La plus formidable machine à produire est par cela même la plus effrayante machine à détruire. Races, sociétés, individus, espace, nature, forêt, sous-sol…, tout doit être utile, tout doit être utilisé, tout doit être productif, d’une production poussée à son régime maximum d’intensité. » (Pierre Clastres)
« Il y a deux organes inutiles, la prostate et la présidence de la république. » (Clémenceau) – Au moins le premier n’est-il ni coûteux ni normalement nuisible.
« Ma formule pour ce qu’il y a de grand dans l’homme est ‘amor fati’ : ne rien vouloir d’autre que ce qui est, ni devant soi, ni derrière soi, ni dans les siècles des siècles … Ce qui a le caractère de la nécessité ne me blesse pas. » (Nietzsche – Ecce homo) – « ‘L’amor fati’ définit un fatalisme libéré du ressentiment, un consentement à la vie, ‘l’adhésion allègre à la nécessité’ (Julien Gracq), ‘un optimisme sans progressisme’ (Roland Barthes), l’énergie du désespoir de Chateaubriand, le nihilisme actif de Nietzsche, la ‘vitalité désespérée’ de Pasolini. » (Antoine Compagnon)
« La rue courbe est le chemin des ânes, la rue droite le chemin des hommes … Le terrain plat est le terrain idéal. Partout là où la civilisation s’intensifie, le terrain plat fournit les solutions. » (Le Corbusier) – Que le Ciel nous préserve de la civilisation d’un Le Corbusier.
« Cette utilité qui se crut une nécessité. » (Léon Daudet – sur quelque insignifiant)
« Moins on est d’utilité publique, plus on soigne sa publicité. » (Régis Debray)
« Les stoïciens occidentaux … fondaient le bien moral sur l’utilité et non sur la connaissance d’un bien aléatoire. » (Chantal Delsol) – c’est là que nous retournons après l’abandon de la notion de vérité.
« Depuis la Renaissance s’établit peu à peu la souveraineté de l’utile. La religion se justifie de plus en plus par son profit moral. » (Chantal Delsol)
« Le moment postmoderne marque le remplacement consommé du vrai par l’utile. » (Chantal Delsol)
« Refuse tout agrément qui ne comporte aucune utilité. » (Démocrite)
« C’est proprement ne valoir rien que de n’être utile à personne. » (Descartes)
« L’inutilité revient sous les formes les plus ostensibles envahir jusqu’à saturation les très complexes réseaux techniques de communication réalisés pour célébrer l’utilité … Satellites de communication lancés par des propulseurs spatiaux d’une intense complexité pour assurer quoi ? La retransmission de masse d’insipides jeux télévisés … Le téléphone et notre incoercible babil … Le visiophone et l’échange de nos mimiques ponctuant notre bla-bla et nos grammaires ‘gestiques’… ou la gigantesque déperdition en utilités constitutives de nos processus de communication. » (Dany-Robert Dufour – Les mystères de la trinité)
« La raquette de tennis que l’on achète, mais que l’on n’utilise pas, la carte de club que l’on acquiert pour ne jamais ou presque le fréquenter. A ce stade, la possession a purement et simplement remplacé l’usage. » (Jean-Pierre Dupuy) – Tel le livre qu’on n’ouvrira jamais.
« Le bien étant préalablement et indépendamment défini, une action juste est celle dont les conséquences contribuent à la maximisation du bien, celle qui contribue à accroître le plaisir net (somme algébrique des plaisirs et des peines), qui procure le plus grand bonheur du plus grand nombre. » (Jean-Pierre Dupuy) – Doctrines dites conséquentialistes (l’action est jugée suivant ses résultats), proches de l’éthique de responsabilité. A la limite : « Il vaut mieux qu’un seul meure plutôt que tout le peuple périsse » (Evangiles, Caïphe condamnant Jésus)
« Tout ce qui a une motivation passionnelle ou irrationnelle a tenu, tient, et tiendra dans la conduite humaine, une place beaucoup plus grande que la petite utilité. Si on ne reconnaît pas ce fait, une grande partie de l’histoire des hommes devient inintelligible. » (Julius Evola)
« L’essentiel, nous ne savons pas le prévoir. Chacun de nous a connu les joies les plus chaudes là où rien ne le promettait. » (Saint-Exupéry)
« De tout on doit pouvoir passer commande. » (Alain Finkielkraut – sur la PMA, GPA et autres aberrations)
« Je plaide coupable d’avoir placé la question de la culpabilité et de l’innocence avant celle de l’utilité et de la nocivité. ‘Finalement, je plaide coupable d’avoir mis l’idée de l’homme au-dessus de l’idée d’humanité’. » (Alain Finkielkraut – citant Le zéro et l’infini d’Arthur Koestler et le vieux bolchevique avouant des crimes imaginaires pour servir encore le Parti)
« Pyramide. – Ouvrage inutile. » (Flaubert – Dictionnaire des idées reçues)
« Nous faisons cas du beau, nous méprisons l’utile – Et le beau souvent nous détruit – Ce cerf blâme ses pieds qui le rendent agile – Il estime un bois qui lui nuit. » (La Fontaine – Le cerf se voyant dans l’eau)
« Dés qu’une chose devient utile, elle cesse d’être belle. » (Théophile Gautier)
« On ne peut vivre dans un monde où on croit que l’élégance exquise du plumage de la pintade est inutile. » (Jean Giono)
« La confusion utile-intérêt n’est pas nouvelle … L’idée d’utilité est différente de celle d’intérêt. En disant ‘utile’, en effet, on introduit déjà une restriction, une norme, un jugement. On juge de ce qui est bon pour… L’intérêt est une notion plus neutre que l’utilité et se rapproche de l’idée de préférence … Même si la notion d’intérêt contient encore, elle aussi, un jugement … ‘Ce n’est pas dans son intérêt’ … Seule la notion de préférence est sans ambiguïté … parce qu’elle conçoit l’intérêt ou l’utilité tels que souhaités, voulus, demandés par l’usager … et non tels que perçus ou compris par quelqu’un d’autre … Il y a là comme une neutralité axiologique. » (Jacques Godbout – simplifié)
« Le don n’est ni bon ni mauvais en soi, ni partout souhaitable. Tout dépend du contexte de la relation … Le marché peut être préférable … L’utilitarisme est pertinent pour toutes les relations où l’on souhaite que l’interlocuteur demeure étranger. C’est la relation minimale. » (Jacques Godbout)
« Le rapport qu’une civilisation entretient avec ce qui lui paraît le moins immédiatement utile est le signe de l’importance qu’elle accorde à la liberté de l’esprit. » (Jean-Pierre Le Goff)
« Pour Benjamin Franklin, la morale est utilitaire ou n’est pas … les vertus ne sont vertus que dans la mesure où elles sont pratiquement utiles à l’individu, en particulier dans le commerce, honnêteté, ponctualité, ardeur à la besogne, tempérance… ; et c’est pour cela qu’elles sont des vertus … On pourrait conclure que lorsque l’apparence de l’honnêteté rend les mêmes services, celle-ci est suffisante… » (Roland Gori – s’appuyant sur une remarque de Max Weber sur Benjamin Franklin et la gigantesque hypocrisie américaine)
« Il vaut mieux se laisser guider par l’utilité que par la vérité. L’utilité, si elle est moins noble, est plus docile. S’il fallait toujours avant d’agir se mettre en possession de la vérité, l’action serait impossible. » (Rémy de Gourmont)
« L’utile, dans le langage ordinaire, est généralement opposé au nuisible ou au superflu, ce qui implique un certain jugement moral … Il sert à quelque chose … Au contraire, dans son acception économique, l’utilité ne signifie rien d’autre que la propriété de satisfaire à un besoin individuel (et momentané) quelconque. Est utile, tout ce qui est, ici et maintenant, désirable, même le nuisible, le superflu et, au sens courant, l’inutile … L’utilité économique est si largement comprise qu’elle déborde tout concept d’utilité morale (besoins raisonnables ou désirs passionnels et capricieux, même niveau) … La force d’enveloppement de la logique économique. » (Jean-Joseph Goux)
« ‘Mais à quoi ça sert l’utilité ?’ L’utilité s’évalue toujours à partir d’un système de valeurs … La technique n’est pas qu’une médiation entre l’homme et la nature, il faut la considérer aussi comme intermédiaire entre les êtres qui composent un groupe. » (Alain Gras – citant l’interrogation de Lessing) – Exemple résumé d’Alain Gras : La machine à laver soulage la femme, et lui permet aussi d’entrer dans l’espace public du marché du travail ; lorsque le lavoir rassemblait la partie féminine du village, il devenait un centre de circulation des informations et un lieu de pouvoir. Ainsi et de même, la vitesse change les rapports sociaux. Marx avait bien vu cette ambiguïté de la technique.
« La tournure utilitaire qui est inhérente à la mentalité moderne et profane en général … Le pragmatisme : la substitution moderne de l’utilité à la vérité … Dans l’état présent de déchéance intellectuelle, on en est arrivé à perdre complètement de vue la notion de vérité, si bien que celle d’utilité ou de commodité a fini par s’y substituer entièrement. » (René Guénon)
« L’ennui est que l’utilité sociale n’est pas distribuée suivant un principe quelconque de justice. » (Friedrich von Hayek)
« Tout advient par discorde et par nécessité » (Héraclite) – Le consensus ne mène jamais qu’à la stagnation, c’est-à-dire à la soumission à la dominance telle qu’actuelle.
« Au yeux de la raison formalisée (subjective), une activité n’est raisonnable que si elle sert un autre objectif, par exemple la santé ou la relaxation, qui aide à reconstituer la force de travail … Cette société a fait de l’utilité son évangile. » (Max Horkheimer)
« Il n’est pas contraire à la raison de préférer la destruction du monde entier à l’égratignure de mon doigt. » (David Hume) – Ce pourrait être la devise des marchés financiers, ajoute Jean-Claude Michéa.
« Si on ne comprend pas l’utilité de l’inutile, l’inutile de l’utilité, on ne comprend pas l’art. » (Eugène Ionesco)
« L’utilité est tellement une propriété de la vérité qu’elle en indique sûrement ou la présence ou les approches. » (Joseph Joubert)
« Pour saisir avec l’esprit, il faut d’abord avoir saisi avec la main. … primitivement, l’homme ne fait pas ce qu’il pense, il pense ce qu’il fait … Primitivement, penser est en même temps manier ; c’est une affaire purement pratique … les meilleurs chauffeurs que j’ai connus étaient des primitifs au sens large … Primitivement, la pensée n’est dirigée vers aucun but spirituel. Elle est utilitaire, pratique et tout à fait ‘terre à terre’ … La plupart des constructions de la pensée ne doivent pas être comprises à partir de la question ‘Pour quel motif ?’ mais de la question ‘Dans quel but ?’» (Hermann von Keyserling)
« La coutume et l’usage furent toujours que le résultat vienne en dernier lieu et que, si l’on veut vraiment apprendre quelque chose des grandes actions, il faut justement prêter attention au commencement. Si celui qui doit agir veut se juger lui-même à partir du résultat, jamais il ne parviendra à commencer … On ne connaît le résultat que lorsque tout est terminé … On devient un héros parce qu’on commence. » (Kierkegaard)
« Les ‘fouilleurs de poubelle’ sont des passionnés de l’inessentiel. » (Milan Kundera) – A qui pensait-il ? Aux passionnés de la Transparence ? Chacun son interprétation.
« Rien de fécond ne se fait dans l’ordre de l’esprit par une recherche utilitaire. Il faut évacuer tout souci pragmatique si on veut produire un fruit substantiel et durable. » (cardinal Henri de Lubac)
« Dans tout ce qui touche à l’Esprit, l’utilitarisme est redoutable, n’étant pas seulement superficiel mais corrupteur, engendrant infailliblement le mensonge. » (cardinal Henri de Lubac)
« La plus grande corruption : celle qui dissout l’idée de bien dans l’idée de l’utile; celle qui dissocie le moyen et la fin, les rendant hétérogènes l’un de l’autre. » (cardinal Henri de Lubac)
« Pouvoir ou faire est ‘l’ultima ratio’ de la pensée. Et il n’est qu’à voir l’obsession de la professionnalisation à tous les niveaux de l’éducation, université comprise, pour se rendre compte du chemin parcouru par l’idéologie, la gangrène diront certains, de l’utilitarisme. » (Michel Maffesoli)
« Dans nos masses et dans nos élites, la dépense pure et irrationnelle est de pratique courante … ‘L’homo oeconomicus’ n’est pas derrière nous, il est devant nous … L’homme a été très longtemps autre chose ; et il n’y a pas bien longtemps qu’il est une machine, compliquée d’une machine à calculer … Regardant notre dépense, notre consommation à nous, combien de besoins satisfaisons-nous ? Et combien de tendances ne satisfaisons-nous pas qui n’ont pas pour but dernier l’utile ? » (Marcel Mauss) – Dépenses de prestige, mariages, fêtes…
« C’est une violente maîtresse d’école que la nécessité. » (Montaigne)
« On argumente mal l’honneur et la beauté d’une action par son utilité. » (Montaigne) – Exemple : je veille sur mes parents en me justifiant par l’espoir que mes enfants veilleront sur moi à leur tour.
« C’est la nature du commerce de rendre les choses superflues utiles, et les utiles nécessaires. » (Montesquieu)
« A force de sacrifier l’essentiel pour l’urgence, on finit par oublier l’urgence de l’essentiel. » (Edgar Morin)
« L’utilité pourrait bien être la bêtise néfaste par quoi un jour nous périrons. » (Nietzsche)
« Les masses humines tendent à haïr l’excellence quand d’aventure elle ne coïncide pas avec ce qui leur est utile. » (Ortega y Gasset)
« L’utilitarisme anglo-américain est un conséquentialisme en vertu duquel seule l’utilité détermine la moralité d’un acte, d’une parole, d’un geste, d’une action. » (Michel Onfray) – Ce qui permet au monde anglo-saxon de se livrer aux pires saletés en invoquant la morale.
« La connerie a un sens inné de l’utilitarisme : ‘A quoi çà sert’ (sous-entendu, à rien) fait partie de ses leitmotivs préférés. » (Georges Picard)
« On appelle ‘utilitarisme’ le système qui consiste à ramener la notion du juste à celle de l’utile, par conséquent à faire de l’intérêt le principe du droit et de la morale. » (Joseph Proudhon)
« A la vérité de l'”être en-soi” s’est substituée aujourd’hui l’utilité‚ des choses pour nous, confirmée par la “vérité‚” des résultats. Mais, connaître le monde dans sa fonctionnalité, ce n’est pas encore comprendre le sens du monde et de l’être. » (cardinal Joseph Ratzinger)
« C’est bien plus beau lorsque c’est inutile. » (Edmond Rostand)
« Ne tolère rien auprès de toi qui ne te soit utile ou que tu ne trouves beau. » (John Ruskin)
« Les plus belles choses du monde sont les plus inutiles : par exemple, les paons, les lys. » (John Ruskin)
« On sait ce qu’il en est de l’arrêt de nutrition du corps … L’arrêt de nutrition spirituelle se traduit par le sommeil ou la démence … L’arrêt de nutrition psychique, les contacts sociaux où l’on retrouve les instincts animaux de grégarisme et d’isolement, de domination et de soumission, de coopération et de concurrence … conventionalisés par les coutumes particulières du groupe … le goût très général des grandes villes traduit le besoin d’avoir autour de soi des réserves inépuisables de nourritures psychiques de toutes sortes. » (Raymond Ruyer)
« Se garder de l’agitation inutile. Ne pas travailler à des choses inutiles ni d’une façon inutile, c’est-à-dire ne pas désirer ce que nous ne pouvons pas atteindre ou, si on arrive à bout, ne pas comprendre trop tard la vanité de nos désirs. » (Sénèque)
« Trois forces façonnent le spectre de l’inutilité en tant que menace moderne. L’offre mondiale de travail … les emplois migrent des pays à hauts salaires vers les économies à bas salaires avec des travailleurs qualifiés et parfois surqualifiés – L’automation (exemple élémentaire et à grandes répercussions du code-barre ; informatique) – La gestion du vieillissement … Employés âgés : figés, lents, perdant leur énergie, et en plus sceptiques et facilement critiques, obsolescence rapide des compétences. » (Richard Sennett)
« Trois valeurs critiques de nature à créer un ancrage culturel. Le ‘fil narratif’ … La nécessité pour les individus d’avoir une progression narrative, que les événements inscrits dans le temps s’enchaînent, que l’expérience s’accumule, qu’il en existe un récit possible – L’utilité … avoir un statut, un rang … On possède un statut quand des institutions vous confèrent une légitimité … Être utile dans un cadre, être publiquement reconnu (exemple anglais : travailler en hôpital public plus que dans le privé) – Le métier … Le nouveau monde du travail est trop mobile pour que le désir de bien faire pour bien faire s’enracine dans l’esprit d’une personne au fil du temps … La vertu cardinale du métier : l’attachement, l’engagement désintéressé à bien, correctement, faire une chose, quand bien même elle ne doit rien vous rapporter. » (Richard Sennett)
« La sobriété (technique) : très peu de matière en amont – d’énergie en fonctionnement – de déchets en aval. » (Pablo Servigne, Raphaël Stevens)
« ‘A quoi ça sert ?’ Il va de soi qu’on a déjà répondu à cette question sitôt qu’on l’a posée sur le ton lassé de l’évidence. » (François Taillandier)
« Tout le monde connaît l’utilité de l’utile, mais personne ne sait l’utilité de l’inutile. » (Sagesse taoïste)
« Engagé dans un certain idéal de rationalité, oubliant l’horizon au profit des faits et des situations … l’utilitariste vit à l’intérieur d’un horizon moral dont sa propre théorie morale ne peut rendre compte. » (Charles Taylor)
« A maintes reprises … on a affirmé qu’une société instrumentale (accordant la priorité aux résultats) traduisant un mode d’existence commercial, capitaliste, et finalement bureaucratique, occultant les significations les plus profondes, tend à vider l’existence de sa richesse, de sa profondeur ou de son sens. Il ne reste plus de place pour l’héroïsme, pour les vertus … Mais des normes élevées nécessitent des sources morales fortes … Disposons-nous toujours des moyens de voir que ‘cela est bon’ ? … L’obligation de bienveillance peut mener au sentiment d’être indigne qui peut conduire à projeter le mal hors de soi, sur une personne ou un groupe (bouc émissaire) … L’absence de sens qui accompagne fréquemment un sentiment de culpabilité peut conduire à l’adhésion à une idéologie fortement polarisée pour donner un sens à sa vie et retrouver un sentiment de pureté fondé sur l’opposition aux puissances des ténèbres (‘Les Démons’ de Dostoïevski) … Les aspirations et les idéaux spirituels les plus élevés menacent d’imposer à l’humanité les fardeaux les plus écrasants. Les grandes visions spirituelles de l’histoire humaine ont aussi été des coupes empoisonnées (jusqu’au marxisme récemment) … Si les idéaux les plus élevées sont aussi les plus destructeurs, alors la voie la plus prudente est peut-être la plus sûre. (Charles Taylor) – On pourrait aussi évoquer l’imposition brutale de la démocratie à certains pays si ce noble idéal ne dissimulait pas parfois quelques intérêts plus concrets. – Le Grand Inquisiteur de Dostoïevski était moins dangereux que certains personnages des Démons.
« Il faut savoir ce qui est inutile pour connaître ce qui est utile … Ce qui est utile à l’homme c’est un endroit où poser ses pieds. » (Tchouang Tseu)
« L’harmonie totale et perpétuelle des ombres de la Caverne n’implique pas la moindre ascension vers le monde de la lumière. » (Gustave Thibon) – Rester dans le strict utilitaire ne permet pas de monter.
« La supériorité de l’homme est due à ses pensées inutiles. » (Paul Valéry)
« La lune éclaire la nuit, ce qui est extrêmement utile. Le soleil n’éclaire que le jour quand il n’en est pas besoin. » (Alexandre Vialatte)
« L’ascèse protestante intramondaine s’est opposée à la jouissance ingénue des possessions, elle a eu pour effet de libérer la recherche du gain, de lever les obstacles qui s’opposaient à l’acquisition des biens, elle a restreint la consommation. Le résultat extérieur va de soi : c’est la formation de capital par la contrainte ascétique à l’épargne … L’orientation utilitariste s’est insinuée dans l’idée avec le dépérissement de la racine religieuse de celle-ci. » (Max Weber – L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme)
« Ce sont les idées et non les intérêts qui sont la cause dominante immédiate de l’action humaine. » (Max Weber – cité par Raymond Boudon) – «Les conflits les plus violents, y compris les conflits avec soi-même, ne portent-ils pas sur sur les valeurs et les idées ? » (Raymond Boudon)
« Tous les gens comprennent l’utilité de ce qui est utile, mais ils ne peuvent pas comprendre l’utilité de l’inutile. » (Zhuang Zi – cité par Simon Leys)
« C’est plus beau lorsque c’est inutile. » (devise de Cyrano)
« Un bon maçon ne rejette aucune pierre. » (proverbe)
« C’est l’art de servir le thé, ceux du jardin, de l’emballage et du bouquet qui ont contribué à garder sa solidité et son homogénéité au japon. » (?)
« J’aime la maison où je ne vois rien de superflu, seulement le nécessaire. » (?)
« La nécessité est sans loi. » (?)
« Dans le silence et la solitude on n’entend plus que l’essentiel. » (?)
Quelques mots sur le Pragmatisme que l’on peut insérer, sans trop d’illogisme, à la rubrique Utilité 720,1
« Dès que nous abandonnons la distinction entre raison et passion, nous ne pouvons plus rejeter une idée sous le prétexte de ses origines. Nous entreprenons de classer les idées en fonction de leur utilité relative plutôt que de leur source … S’il y a quelque chose de spécifique au pragmatisme c’est qu’il substitue la notion d’un meilleur futur de l’humanité aux notions de ‘réalité’, de ‘raison’ et de ‘nature’. On peut dire du pragmatisme ce que Novalis disait du romantisme : qu’il est : ‘une apothéose du futur’ … La seule justification qu’on puisse apporter d’une mutation, qu’elle soit biologique ou culturelle, consiste dans la contribution qu’elle apporte à l’existence d’une espèce plus complexe et plus intéressante quelque part dans le futur … Mais ‘Utiles à quoi ?’, ‘Quel est le critère du meilleur ?’ … C’est la vision, non le but final, qui importe … On passe du goût pour la compréhension du monde au goût pour sa transformation (la phrase de Marx : ’Il n’importe aux philosophes de comprendre le monde mais de le transformer’) … On privilégie la production du nouveau sur la contemplation de l’éternel … Il s’agit d’un anti–essentialisme, de la substitution d’un futur meilleur pour nous-mêmes, la construction d’une société utopique et démocratique, à la tentative de nous connaître en nous plaçant en dehors du temps et de l’histoire. » (Richard Rorty – définissant le pragmatisme)