115,4 – Social – Le processus de socialisation

– Derrière l’expression on peut souvent  lire : jalousie, envie, ressentiment, haine même parfois.

– Véritable épidémie, au moins de mots, tout le monde fait du social : les caisses de retraite, les mutuelles, les entreprises, les associations, les municipalités et les innombrables organismes politiques, (y compris les intellectuels et les milliardaires)… si bien que tout le monde se pavane et que personne ne fait le travail qu’il est d’abord censé faire. Le maquis est gigantesque, la fraude probablement en proportion, sans compter la dépense d’énergie de ces  institutions et des gens qui en auraient besoin. Quand tout le monde fait tout, personne ne fait rien, si ce n’est se valoriser comme bien-pensant et gaspiller efforts et argent.

– On peut en dire autant que du culturel, tout le monde fait du culturel. Prodigieuse vacuité.

– « Il n’y a pas de société sans imaginaire social, donc sans quelque forme de transcendance capable de créer celui-ci. Ce terme désignant tout ce qui tire ou pousse une société vers ce qu’elle n’est pas, ou pas encore. Dans quel magma, en forme de bourbier, tentent de vivre les sociétés occidentales ? A quand la fin ? Nous n’avons même plus ce qu’on appelait les petites transcendances profanes du quotidien (culte de l’école, du républicanisme, de la patrie, du progrès, du fonctionnement social harmonieux…) qui permettaient au moins d’établir une articulation entre le microsocial et le macrosocial, le spécifique et l’universel, les sentiments personnels et les codes … de relier son sort à celui des autres, et celui des autres au sien. » (Yves Barel)

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« On peut distinguer trois états dans le social. Le premier, fluide, chaud, passionné, bénéficie d’une grande force d’attraction et est très solidaire. Mais il est instable et tend à évoluer vers les deux autres états. Reprenant Max Weber, je l’ai  appelé l’état ’naissant’. Le second est l’état ‘institutionnel’, dont les étapes sont franchies au terme d’un choix et par un acte de volonté. L’institution est ce qui a été voulu, décidé, réalisé, à partir de l’état naissant. L’état d’institution est animé lui aussi par la foi et une puissante solidarité. Mais il n’est pas aussi ardent que l’état naissant. Il comporte plus de dogmatisme et de rigidité. Le troisième état, que j’ai appelé ‘quotidien’ est le produit de l’affaiblissement ou de la décomposition de l’institution. Il est caractérisé par une solidarité faible et des rapports intéressés et pragmatiques. » (Francesco Alberoni – essentiellement sur les groupes, du couple à l’association importante)

« L’économie va donc jouer, dès la fondation de l’individualisme moderne, à la fois comme principe de régulation et d’harmonisation des rapports individuels et comme principe d’explication du fonctionnement social ; la combinaison des deux se cristallisant dans le concept de ‘marché’ … La politique devient tendanciellement inutile, : si elle doit subsister, ce ne sera qu’au titre de résidu ou de supplément rendu nécessaire par les éventuels dysfonctionnements de la loi d’intérêt réciproque qui échoue à assurer, à elle seule, l’autorégulation du social … Envahissement et réduction du social à l’échange généralisé qui aboutit à l’éviction ou à l’exténuation du politique … Le marché concept organisateur et unificateur du rapport social … L’institution du politique n’est plus la condition de l’existence de l’ordre social : c’est la régulation des passions et des intérêts à travers les mécanismes du marché qui en est le centre de gravité. » (Myriam Revault d’Allonnes) 

« Les masses continuent d’aspirer à un ‘standing’ petit-bourgeois ; elles tendent à s’intégrer à la bourgeoisie bien plutôt qu’à la liquider. » (Raymond Aron) – Au grand désespoir des intellectuels gauchisants aussi richissimes que méprisants.

« Devenue technique de la gestion et de l’administration, ordonnancement de la vie publique, la technique politique, avec son idéologie, sa mentalité, ses mœurs, ses cérémonies s’empare, démocratico-totalitairement, des individus et des foules … l’individu ne constitue pas un bastion imprenable … Aussi les ressortissants d’une société, d’un parti, d’une institution, d’un Etat jouent-ils double ou triple jeu. Les gens vivent avec des mensonges, de l’hypocrisie, du faire-semblant, des accommodements, des compromis. C’est comme si cet état des personnes et des choses formait le ciment social. Le conformisme généralisé régit paroles, actions, omissions, comportements … La non-conformité, parfois recherchée avec ostentation et sophistication, est encadrée. » (Kostas Axelos)

« Le pouvoir perd ce qui faisait sa force dans les sociétés de tradition : être le gardien du sens, en étant lié à un ordre symbolique relativement stable par lequel le social est institué. »  (Georges Balandier)

« Avec la disparition du désert extérieur, le désert intérieur a pris le dessus. L’homme socialisé‚ souffre d’asthme spirituel et d’accès d’étouffement. » (Père Hans Urs von Balthasar)

« Désormais un mouvement social a pour but, non de gagner quelque chose, mais de conserver un acquis … Les acquis sociaux, comme si quelque chose était acquis en ce bas monde. » (Olivier Bardolle)

« Le vide social, c’est d’abord l’apparition d’une distance presque infranchissable entre la base et le sommet, le local et le global, distance créée par l’usure ou la disparition de nombreux canaux, médiateurs, codes de communication … Rupture du dialogue entre la population et les appareils ou institutions qui la représentent, entre la ‘périphérie’ et le ‘centre’ … Distance presque infranchissable entre la base et le sommet … L’establishment social cherche sa population, ne la trouve pas et la croit déstructurée. Inversement, la population ne sait pas où est le ‘pouvoir’ et comment s’adresser à lui … L’Etat de plus en plus seul au milieu de son peuple … Une partie de la population se met en retrait de la société dans de micro-univers sociaux … Elle se crée une petite société à son image et abandonne volontiers la grande société à elle-même … Non pas tellement l’absence des choses, qu’une absence du sens des choses, de la possibilité de leur transcendance.. » (Yves Barel – citant Alexis  de Tocqueville)

« Sous la III° république, il y avait de quoi faire (qu’on soit d’accord ou non avec le contenu de l’action) … : l’école publique et laïque, les colonies, l’acclimatation du parlementarisme, la républicanisation du mouvement ouvrier… Aujourd’hui, il y a sûrement de quoi faire, mais on ne sait pas quoi. » (Yves Barel) – Et ne comptons pas sur la prétendue élite, obsédée par le maintien de sa domination, pour nous le dire ; surtout ne pas réveiller, le peuple, le grand malade qu’on a endormi pour mieux le sucer.

« La transcendance sociale, en dehors des somptuosités de la religion ou de la philosophie, est la capacité, à tous les niveaux de la vie sociale (de l’individu à la nation et au monde) d’imaginer et de réaliser un projet, c’est-à-dire d’exercer la fonction politique … La transcendance se porte mal dans nos sociétés, moins parce qu’elles ne savent plus provisoirement secréter de grandes idéologies, que parce qu’elles ont de la peine à se doter de projets crédibles et à exercer leur fonction politique … Le vide social exprime non pas tellement une absence des choses, qu’une absence du sens des choses, en particulier de la possibilité de leur transcendance … On entend ce double cri :’ ça ne peut plus durer comme ça’, bien qu’il soit démontré qu’on peut vivre longtemps de cette façon … On ne voit pas quel remède apporter aux problèmes qui se posent, sentiment d’impuissance … On voit bien que les choses ne peuvent pas continuer ainsi et on ne voit pas comment elles pourraient changer. » (Yves Barel)

« A partir du moment où l’on commence à perdre Dieu ou le Monarque, il faut se donner d‘autres points de repère grâce auxquels le social se met à distance de lui-même pour pouvoir continuer à ‘se’ comprendre ou à ‘se’ supporter : l’Etat ou la Société civile, la Classe, le Parti, la Loi de l’histoire, sans évoquer la myriade de succédanés dont le social se bombarde lui-même, sans jamais se lasser, depuis deux siècles (l’un des drames de la contemporanéité est l’inexistence de succédanés présentables) … La transcendance réussie, c’est-à-dire capable de créer l’imaginaire social dont les hommes ont besoin … Il y a de grandes transcendances (religieuses), et il y en a de moins grandes (l’idéologie républicaine forgée par la III° République) ou de toutes ‘petites’ (la cohésion symbolique et idéologique recherchée dans les grandes entreprises économiques ou administrations) … Elle n’est pas forcément surhumaine, elle est aussi de l’ordre de l’humain, et de l’humain quotidien … Mais ce n’est pas en additionnant des ‘petites’ transcendances qu’on sera assuré d’en fabriquer de ‘grandes’. » (Yves Barel)

« Un jour prochain, le social sera totalement réalisé, et il n’y aura que des exclus. » (Jean Baudrillard) 

« D’abord, la ‘survalorisation’ des individus libérés des contraintes imposées par un réseau dense de liens sociaux. Une seconde rupture suivit de près : la fragilité, la vulnérabilité sans précédent de ces individus dépouillés de la protection jadis offerte très naturellement … Perspective séduisante bientôt suivie par la peur de l’inadéquation …. Les peurs modernes naquirent au cours de la première fournée de dérégulation/individualisation, lorsque furent relâchés ou brisés les liens de parenté et de voisinage resserrés par les nœuds de la communauté ou de la corporation … Substitution d’équivalents artificiels tels que associations, syndicats … La solidarité allait succéder à l’appartenance comme principal bouclier … La seconde dérégulation ne se fit pas par choix mais sous la pression de forces planétaires incontrôlables, et sans déboucher sur de nouvelles formes sociétales de gestion de la peur et de l’incertitude… la concurrence remplaçait la solidarité. » (Zygmunt Bauman)

« Les deux dimensions du jugement social : – La désirabilité sociale ; personne remarquable / personne à éviter dans les relations humaines ou interpersonnelles. La réputation de la personne de susciter des affects positifs et d’aller dans le sens des motivations d’autrui – L’utilité sociale ; personne remarquable / personne à éviter pour l’activité ou le travail. La réputation qu’à cette personne de pouvoir occuper certaines positions dans le fonctionnement social. » (Jean-Léon Beauvois)

« Dans nos démocraties libérales … maintenir le plus grand nombre … dans les couches les plus soumises et les plus déterminables des organisations et de la vie sociale. On y parvient en faisant vivre les gens dans un onirisme idéologique fait d’idées émollientes et sans authentique référence (apprendre à se connaître, être soi-même, se sentir libre, savoir se remettre en cause, se faire ses propres opinions, prendre soin de soi…). Ces idées molles nous éloignent de toute analyse de nos positions d’agent social et nous anesthésient contre tout vécu  de la soumission et de l’obéissance. Nombre de ces idées prédisposent en outre aux influences sournoises et à la manipulation. » (Jean-Léon Beauvois)

« Avant d’oser parler de ‘justice sociale’, commencez donc par refaire une société , imbéciles ! » (Georges Bernanos) 

« En passant de la raison à l’instinct, l’idée de justice, par exemple, acquiert une prodigieuse capacité de destruction. Elle n’est d’ailleurs pas plus, alors, la justice que l’instinct sexuel n’est l’amour, elle n’est même pas le désir de justice, mais la concupiscence féroce et une des formes les plus efficaces de la haine de l’homme pur l’homme. L’instinct de justice … s’apprête à ravager la Terre. » (Georges Bernanos) – Ecrit vers 1947. Pas démenti depuis lors.

« Le champ social se réduit progressivement à un champ de bataille entre égoïsmes juxtaposés … Le ‘chacun pour soi’ déborde en ‘excès de soi’. » (Jean-Paul Besset)

« Le plus grand adversaire du lien social est la démarche consistant à jouer les minorités actives contre l’opinion publique. » (Raymond Boudon) – Ce que font systématiquement tous les gouvernements français soumis aux associations-lobbys.

« La plupart des institutions sociales paraissent avoir pour objet de maintenir l’homme dans une médiocrité d’idées et de sentiments qui le rendent plus propre à gouverner ou à être gouverné. » (Chamfort)  

« La droite gère l’économie et la gauche l’évolution des mœurs, main dans la main … Le ’sociétal’ est devenu la meilleure stratégie du capitalisme pour obérer le progrès social. » (Michel Clouscard) – D’où l’association libéral-libertaire.

« L’instance étatique doit remplacer les solidarités interdites. Elle le fait sous les totalitarismes. Elle le fait aujourd’hui … Lien entre la suppression des groupes médiateurs qui suscite l’atomisation sociale, et la nécessité d’un Etat autoritaire. » (Chantal Delsol)

« La vie quotidienne implique d’innombrables figures de cérémonial, tantôt rituel, tantôt subjectif, mais toujours intégrés à l’ensemble humain dans lequel nous vivons. L’individu a le choix entre adhérer aux règles ou bien en dissimuler la violation. Le contrôle social exerce sa pression, mais la perception de cette obligation suggère d’innombrables ruses … De multiples aménagements ou compromis sont à l’œuvre dans l’action des  groupes et des individus les uns sur les autres … Une ruse qui se joue des postulations apparemment incontournables assouplit l’effet des codes et des impérieuses exigences de la religion ou de l’idéologie … La passion commence lorsque l’un ou l’autre des membres de la  collectivité ne se satisfait plus des interactions autorisées ou clandestines, n’admet plus les règles du commerce des vivants entre eux …  Malgré l’obsession de la cohérence, on mesure combien la vie quotidienne est formée d’équivoques, de compromis, d’ambiguïtés de ruses  …  Tentations auxquelles s’opposent le rêve utopique et cohérent par quelques penseurs d’une société réglée comme une machine, la ‘liturgie de l’ordre’ qu’Auguste Comte associait au progrès et dont il souhaitait que le gestion soit confiée à quelques penseurs qualifiés ….  Les émotions, les sentiments, les passions ne sont pas identiques entre eux et ne différent pas seulement par la coloration que leur apporte une culture, une religion, une économie. Ils apparaissent comme autant de manière de surmonter tout à la fois les exigences de la nature, les institutions et les obstacles qui limitent, socialement, la libre interaction des êtres entre eux  … Désirer des choses inconnues par les autres ne suscite d’adhésion collective que si les  semences dispensées par l’hérétique peuvent engendrer des formes ultérieures de communauté, de connivence, de solidarité. » (Jean Duvignaud – considérations éparses autour des passions et de la vie en société) 

« L’entrée dans la modernité politique, c’est l’appropriation monopolistique par l’Etat de l’institution du lien de société et l’irrésistible dessaisie des anciens îlots de socialité. » (Marcel Gauchet)

Types de liens sociaux : « d’un côté, des modèles communautaires régis par des liens primaires (familles, parenté, groupes divers, village, associations, équipes, jadis nationalité…), de l’autre, des liens secondaires fondés sur le contrat et le statut (producteur-usager, employé…) ‘Dans la communauté on reste lié malgré toute séparation, dans la société on demeure séparé malgré toute liaison’ … Le lien secondaire, instrumental, tendrait  effectivement à libérer l’individu de tout lien personnel (et ainsi à entraîner indirectement sa solitude et sa désespérance). Mais le lien primaire (le modèle communautaire) peut aussi être libre dans la mesure où ce type de rapport n’est pas imposé … et selon la structure d’autorité qui le caractérise. » (tiré de Jacques Godbout – citant Ferdinand Tönnies)

« La culture moderne, au lieu de se préoccuper d’abord de ce qui nous relie les uns aux autres, vise d’abord à nous libérer les uns des autres, à nous émanciper des liens sociaux conçus comme autant de contraintes inacceptables. » (Jacques Godbout) – Dépression…

« Premières victimes de la mondialisation, les couches populaires observent les élites fêter la fin de la question sociale … Une droite moderne, libérée (enfin) de la Nation, et une gauche moderne (enfin) libérée de la question sociale pourront alors multiplier avec délectation des débats sociétaux fondamentaux : ‘réchauffement, pas réchauffement’, ‘diversité, pas diversité’, ‘vélo ou bus’… » (Christophe Guilluy)

« La focalisation sur les pauvres de la banlieue ne relève pas d’une bienveillance particulière. Elle vise à circonscrire la question sociale aux seules banlieues. Cette représentation univoque et exclusive de la pauvreté permet aussi d’orienter les politiques publiques vers des populations et territoires cibles … Evidemment, cette stratégie de classe provoque le ressentiment des populations non ciblées ou s’estimant oubliées par rapport aux banlieues (lire : aux ‘immigrés’) ce qui permettra aux prescripteurs d’opinion de valider la représentation de la France périphérique, et singulièrement du monde rural, comme ‘repliée’, ‘aigrie’, pétainiste’ ou ‘raciste’. » (Christophe Guilluy)

« Comment comprendre ce paradoxe qui fait que les individus perdent à ce point la conscience du social, alors qu’ils en sont d’une certaine façon saturés ? » (Claudine Haroche) – Ceci explique peut-être cela ; ras-le-bol.

« ‘Justice sociale’, l’expression a été définie comme une ‘falsification sémantique’, appartenant à la même catégorie que ‘démocratie populaire’ (Curran) … Perversion mentale … Pourquoi appeler certaines actions ‘sociales’, telles que celles destinées à réduire ou à supprimer les différences de revenus, alors qu’il ne s’agit que de s’assurer des voix pour avoir une majorité… » (Friedrich von Hayek) – L’ISF n’a rien de social, au contraire puisqu’il aboutit à faire fuir les sources qui alimentaient la redistribution sociale, c’est une mesure politique, pour appeler les choses par leur nom.

« A partir du moment où les individus, dans la jouissance de libertés nouvellement acquises, commencent à ne plus se rapporter qu’à eux-mêmes, c’est désormais, avec la perte du lien social, le médium universel grâce auquel ils peuvent développer une identité raisonnable qui menace de se dissoudre … Pertes pour l’individu de la chance d’appartenir à un tout qui le dépassait et dont il était un élément constitutif, de sa relation à une universalité gouvernée par la raison, d’un noyau de convictions communes quant à des valeurs situées en arrière-plan des intérêts individuels … Déficit d’universalité rationnelle … Les sujets éprouvent manifestement de manière douloureuse le déficit de finalités communes et universelles. » (Axel Honneth)

« Le développement de la civilisation va de pair avec un raffinement croissant des besoins, ce processus rend l’homme dépendant de convoitises créées artificiellement et le prive de plus en plus de sa liberté originelle jusqu’à aboutir à la lutte de tous contre tous … processus de décadence … La domination instrumentale par laquelle l’être humain s’affirme vis-à-vis de la nature se poursuit par la domestication de la vie instinctive, l’appauvrissement de la richesse sensitive, la domination totalitaire du présent … ‘L’homme sociable toujours hors de lui ne sait vivre que dans l’opinion des autres’. » (Axel Honneth – reprenant Rousseau et son Discours sur l’inégalité, puis Théodor Adorno) 

« Tout gueux qu’il fut, d’Artagnan avait son valet … La disparition des serviteurs personnels est du point de vue de l’égalité sociale un changement capital. La plus petite maison bourgeoise avait deux entrées, répondant à une classification fondamentale. Tout cela a disparu. Et c’est un des plus grands changements imaginables que l’effacement d’une distinction entre ‘servis’ et ‘serviteurs’. Cela tient-il au progrès technologique ? Que nenni !  … La politique de plein emploi, à elle seule, a été génératrice de plus de changement social que toutes les réformes sociales réunies … Et pas de retour possible, parce qu’on ne veut plus de ce genre de travail, c’est là une attitude psychologique nouvelle (plus la ressource alternative de l’allocation chômage) … Nous voyons ici un très important phénomène social de la vie quotidienne qui ne doit rien au progrès technologique … Si vous aviez fourni à un prévisionniste de l’année 1913 toute l’évolution technologique du demi-siècle suivant, jamais il n’en aurait tiré la disparition du phénomène domestique. » (Bertrand de Jouvenel)

« Une fois le manège social lancé à toute allure autour de son axe économique, il n’est plus besoin d’arrimer les individus : la vitesse de rotation leur interdit de lâcher prise une seconde. » (Bertrand Leclair)

« Seul le discours persiste, comme fondement des rapports sociaux. Sans critère, ni de véracité ni d’authenticité, pas même d’objectivité. Ce qui veut dire que les rapports perdent leur base. Le discours, forme de la communication, en devient aussi l’instrument et le contenu … Auparavant, le message se déchiffrait suivant un code connu en se rapportant à un référentiel accepté … La chute des référentiels et d’un code fournissant des ‘lieux communs’ facilite le décrochage des signifiants et des signifiés, le non apport d’un signifié (commun) au signifiant … Faute de référentiel, la marge d’incertitude se comble difficilement. On consomme des signifiants, massivement, indistinctement … L’accrochage se fait n’importe comment, n’importe où … L’accrochage, c’est l’autorité qui s’en charge, (autrement dit la ‘doxa’ férocement imposée), elle peut imposer n’importe quoi ou presque. » (Henri Lefebvre – traitant de la perte des référentiels : image et idée de la société comme totalité, des critères éthiques ou religieux, des absolus métaphysiques ou théologiques. Après le bon sens pratico-sensible, tous les autres référentiels vont disparaître : l’Absolu philosophique, le dogme religieux, l’impératif moral… Si les référentiels ont disparu, non leur souvenir (au moins pour deux ou trois générations) et l’exigence d’un système de références.)

« Nous savons avec quelle rapidité le comportement social peut se dégrader lorsque la sélection naturelle cesse d’intervenir. » (Konrad Lorenz)

« Si l’homme n’est rien d’autre qu’un nœud de rapports sociaux, on risque de voir dans l’adversaire social un ennemi total … Force et dureté deviennent les vertus essentielles. » (cardinal Henri de Lubac) – Ce n’est plus un risque, c’est maintenant un fait.

« Rien ne fera jamais que, dans une société non transcendante, la réduction de l’homme à ses repères sociaux ne s’opère au détriment de l’intériorité personnelle et n’engendre, quelle que soit la nouveauté de son mode, la tyrannie. » (cardinal Henri de Lubac) – Nous y sommes. Softement, la férocité du politiquement correct a pour but, entre autres, de masquer cette dernière.

« Si urgent que soit le social, maintenir toujours en soi, chercher à maintenir partout la primauté de l’humain. Car le social n’en sera pas négligé : il est contenu dans l’humain. Mais l’humain pourrait être exclu du social, sacrifié au social, et dans ce cas le social lui-même perdrait sa valeur. Il ne tarderait point à redevenir le social antique. Il ne serait plus qu’un nouveau Moloch. » (cardinal Henri de Lubac)

« L’ordre social le plus parfait peut être un monde d’âmes mortes. Il a même quelques chances de plus que tout autre d’être de ce monde…. Un paradis social peut être un enfer spirituel ; auquel cas, d’ailleurs, il cesserait bien vite d’être même un paradis social. Il peut être aussi tout simplement un désert spirituel, et s’il dure, alors ce ne peut être qu’au bénéfice d’une humanité diminuée, atrophiée. » (cardinal Henri de Lubac)

« Tout ce mal qui est en l’homme et qui fait si souvent de chacun pour l’autre, ainsi qu’on l’a dit, un enfer, tout cela n’aurait point d’autres causes que l’ordre social ? Mais qui donc a d’abord posé ces causes ? L’homme lui-même n’est-il pour rien dans le fonctionnement actuel de la société ? » (cardinal Henri de Lubac)  

« Supposons l’homme pleinement ‘émancipé’, par impossible affranchi de toute contrainte, de toute exploitation par son semblable, de toute tyrannie de l’Etat : il n’est pas pour autant ‘libéré’. La société ne pèse plus sur lui, en ce sens qu’il n’est plus dominé, exploité par d’autres hommes. Elle pèse  cependant sur lui d’un poids plus lourd que jamais, puisqu’elle l’absorbe tout entier. Jadis, quelque chose de lui-même pouvait échapper à la contrainte et à l’exploitation : maintenant Il n’est plus qu’une fonction sociale, qu’un ‘ensemble de rapports sociaux’ … Monde infiniment plat. La plus incompréhensible régression de l’homme s’il s’en accommodait ; son plus affreux supplice au cas contraire. L’homme social, l’homme historique de Marx, n’a plus que deux dimensions. » (cardinal Henri de Lubac)

« La ‘socialité’ ne saurait plus être réduite au ‘social’ moderne, dominé par la raison, l’utilité et le travail … Elle intègre les paramètres essentiels (et habituellement dédaignés) que sont le ludique, l’onirique et l’imaginaire. » (Michel Maffesoli)

« Pour moi, le terme ‘socialité’ signifie que la vie sociale ne saurait se réduire aux simples relations relationnelles ou mécaniques qui servent, en général, à définir les rapports sociaux … Intégrer dans l’analyse des paramètres tels que le sentiment, l’émotion, l’imaginaire, le ludique, dont on ne peut plus nier l’efficace, multiforme, dans la vie de nos sociétés … Ce que R. Hoggart appelle les ‘jouissances au jour le jour’ … Espèce d’élan vital qui pousse à l’agrégation, qui fait chercher la compagnie des autres, qui pousse à la confusion … L’anodin fonde la socialité : conversations sans conséquences sur la santé, la météo, le sport les émissions de télé…, quoi de plus passionnant que les faits divers, les scandales, les frasques des personnalités connues … communication pour partie non verbale : rituels non pensés, gestes, comportements … C’est cette vie triviale que l’on a tendance à mépriser qui est au fondement de la communication. » (Michel Maffesoli) 

« La question sociale se trouve désamorcée lorsqu’elle est reformulée en termes ethnico-culturels, ne s’agit-il pas simplement de répartir les inégalités sans discrimination d’origine ni de sexe, plutôt que de les supprimer ? » (Walter Benn Michaels)

« La logique de cette gauche moderne qui n’a plus d’autre objectif politique, pour reprendre la formule célèbre de Léon Blum, que de ‘gérer loyalement le capitalisme’ … La gauche moderne dont la volonté de prendre en charge toutes les révolutions sociétales imposées par le développement du capitalisme est devenue l’unique ‘marqueur symbolique’. » (Jean-Claude Michéa)

« On répète qu’il faut faire ou refaire du ‘lien social’. On s’ébroue avec les ‘réseaux’ eux aussi ‘sociaux’, mais on n’a pas encore vu émerger une pensée pour laquelle ‘l’avec’ ou ‘l’ensemble’ précéderait et fonderait une existence singulière. » (Jean-Luc Nancy) – Vacarme chaotique.

« La société est gérée en tant qu’auxiliaire du marché. Au lieu que l’économie soit encastrée dans les relations sociales, ce sont les relations sociales qui sont encastrées dans les relations économiques. » (Karl Polanyi)  

« Brisant les vieilles solidarités qu’avaient lentement tissées monarchie, noblesse et Eglise, la révolution protestante a dissous le lien social et atomisé les individus. » (Jacques Rancière)

« La plupart entrent au service de l’Etat-providence, dans les métiers du social pour des raisons de ‘militantisme prophétique’ ou de  ‘bénévolat inspiré’ (suivant Pierre Bourdieu !). Ils affirment qu’ils ne font pas un ‘métier comme les autres’, font tout pour ne pas être assimilés à l’employé ordinaire ou au bureaucrate … Multiplication de ces emplois par trois ou quatre en vingt ans … Floraison de termes : travailleur social ou culturel ou…, éducateurs, médiateurs, aides, moniteurs, agents de, coordinateurs, etc.. » (Dominique Schnapper) – On n’est pas obligé de croire ce que racontent les intéressés ou Pierre Bourdieu.

« Une société ne peut se construire que par le bas … Lorsque les sociétés sont organisées verticalement, par le haut, que ce soit par une dictature révolutionnaire ou par une bureaucratie impersonnelle et impénétrable, le devoir de rendre des comptes disparaît rapidement. Les régimes où le gouvernement s’exerce de manière pyramidale produisent des individus irresponsables, là où la société civile est confisquée par l’Etat se généralise le refus de se prendre en charge … Hegel critiquait déjà l’incorporation de la société civile à l’Etat. » (Roger Scruton) – Que dirait-il maintenant !

« Toutes les tentatives d’accomplir un ordre social planifié dans lequel les biens et les opportunités sont distribués selon une formule préconçue ont pour conséquence de restreindre ou de contraindre la liberté des individus de faire des choix autonomes … Plus marché noir, système de droits privés (en clair, privilèges et corruption). » (Roger Scruton) – Et c’est bien là l’un des objectifs de l’Etat omniprésent ; rendre dépendant.

« Le ‘social’ d’aujourd’hui, qui s’occupe de tout au monde, sauf de lui-même et de ses affaires n’est qu’un malheureux, vidé, mû par la recherche de soi. Ce que Nietzsche a parfaitement montré, c’est la morbidité de cette manière de vivre et de sentir, qui, caricature d’une moralité plus haute, est symptôme à la fois de dégénérescence vitale et de nihilisme masqué. » (Max Scheler)

« La plupart entrent au service de l’Etat-providence, dans les métiers du social pour des raisons de ‘militantisme prophétique’ ou de  ‘bénévolat inspiré’ (suivant Pierre Bourdieu !). Ils affirment qu’ils ne font pas un ‘métier comme les autres’, font tout pour ne pas être assimilés à l’employé ordinaire ou au bureaucrate … Multiplication de ces emplois par trois ou quatre en vingt ans … Floraison de termes : travailleur social ou culturel ou…, éducateurs, médiateurs, aides, moniteurs, agents de, coordinateurs, etc.. » (Dominique Schnapper) – On n’est pas obligé de croire ce que racontent les intéressés ou Pierre Bourdieu.

« Plus les gens ont de barrières tangibles entre eux, plus ils sont sociables … Pour être sociables, les êtres humains ont besoin de se retrouver protégés les uns des autres. Augmentez le contact intime, vous diminuez la sociabilité. » (Richard Sennett) – Voir l’expérience des bureaux conçus comme des open space.

« Le masque permet la pure sociabilité … La civilité préserve l’autre du poids du moi … Elle consiste à traiter les autres comme s’ils étaient des inconnus, à forger avec eux des liens sociaux respectant cette distance première … L’incivilité est inverse, c’est le fait de peser sur les autres de tout le poids de sa personnalité … Pensons à ces personnes inciviles qui déversent sur leurs interlocuteurs les traumatismes quotidiens  qui les assaillent ; pensons à toutes ces autobiographies, à toutes ces biographies qui décrivent compulsivement les goûts sexuels, les habitudes financières, les faiblesses caractérielles … L’incivilité des leaders politiques contemporains, et spécialement des leaders charismatiques permettant aux structures de la domination de rester dissimulées et intactes … La perversion de la fraternité dans l’expérience communautaire moderne … où la fraternité n’est plus que l’union d’un groupe sélectif qui rejette tous ceux qui ne font pas partie de lui … Plus la communauté est intimiste, moins elle est sociable. » (Richard Sennett)

« La manie de vouloir absolument trouver les ‘lois’ de la vie sociale est simplement un retour au credo philosophique des anciens métaphysiciens selon lequel toute connaissance doit être absolument universelle et nécessaire. »  (Georg Simmel)

« La métaphore du « pont et de la porte » (selon Georg Simmel) – L’un qui relie, l’autre qui ferme.

« Recourir pour penser la société à des catégories fondées sur des attitudes de consommation ( les catégories branchées du journal ‘Libération’, telles que gays, femmes, jeunes, beurs…c’est masquer les vraies catégories sociales marquées elles par la production, détenteurs de capital, techno-gestionnaires, employés, sous-prolétaires. » (Alain Soral)

« L’homme qui est dirigé par la Raison est plus libre dans la Cité où il vit selon le décret commun, que dans la solitude où il n’obéit qu’à lui-même. » (Spinoza)

« Est admise l’idée d’association du vide religieux à l’état d’atomisation de nos sociétés, à l’amoralité fondamentale de nos élites, à leur corruption, à leur amour de l’argent. Partir de ce constat pour aboutir à la conclusion que le remède social est seulement d’ordre technique, politique, économique est pur paralogisme. » (Emmanuel Todd)

« La Renaissance a été une grande époque parce qu’elle n’a pas cherché à résoudre des problèmes sociaux et que ces préoccupations ne l’intéressaient pas ; elle a permis à l’individu de se développer librement, naturellement, dans la beauté ; et c’est pour cela qu’elle a produit des artistes immenses et singuliers et des hommes immenses et singuliers. » (Oscar Wilde) – A comparer avec la petitesse de notre temps.

Ci-dessous, extraits du livre de Friedrich von Hayek, Le mirage de la justice sociale.

 «  ‘Dans une société libre, l’Etat n’administre pas les affaires des hommes. Il administre la justice parmi des hommes qui conduisent leurs propres affaires’.  (Walter Lippmann) L’expression de ’justice  sociale’ est sans consistance, dépourvue de signification … L’indéniable indignation intime que nous ressentons devant certaines situations s’avère impossible à légitimer par une règle générale, telle qu’en implique l’idée de justice … L’expression ne signifie rien du tout et son emploi est soit irréfléchi, soit frauduleux … Les règles de conduite ne sont pas des moyens en vue de buts particuliers connus, mais des adaptations à des types de situation que l’expérience passée a montrées récurrentes dans le monde où nous vivons … Importance des règles abstraites comme guides dans un monde où la plupart des faits précis sont inconnus … Le souci primordial des responsables publics devrait être, non pas de servir certains intérêts spéciaux connus mais d’assurer les conditions favorables au maintien d’un ordre spontané qui permette aux individus de parer à leurs besoins par des moyens dont l’autorité n’a pas connaissance … Faire droit aux intérêts collectifs de groupes particuliers est, fréquemment, contraire à l’intérêt général … Le positivisme juridique est simplement l’idéologie du socialisme, forme la plus influente et la plus respectable du constructivisme, idéologie  enfantée par la volonté d’acquérir le contrôle complet de l’ordre social et par la croyance qu’il est en notre pouvoir de déterminer tous les aspects de cet ordre … le  pouvoir nécessairement illimité de quelque autorité, l’Etat omnipotent … Le libéralisme exigeait des individus qu’ils agissent justement, la ‘nouvelle société’ charge du devoir de justice des autorités ayant pouvoir de commander aux gens ce qu’ils ont à faire … Le prestige actuel de la croyance en la ‘justice sociale’ est probablement ce qui menace le plus gravement la plupart des autres valeurs d’une civilisation de liberté … On a remis aux mains des gouvernements des pouvoirs que ses dirigeants ne peuvent maintenant refuser d’employer, pour satisfaire les revendications d’une foule toujours accrue d’intérêts particuliers … Nos émotions morales héréditaires … sont en partie inapplicables dans la ‘Société Ouverte’ et l’espèce de ‘socialisme moral’ réalisable dans le groupe restreint est probablement dommageable, sinon  impossible, dans la ‘grande Société’ (Par exemple : que les membres d’un même métier s’abstiennent de se concurrencer sauvagement) … Déchaînement de la lutte de tous contre tous … La ‘justice sociale’ implique que chacun participe d’un groupe d’intérêt … sans compter l’animosité ou la banale envie, les instincts de pillage des multitudes … Atrophie de la sensibilité morale authentique … Le devoir d’accorder la même estime à tous (égalitarisme) incompatible avec le fait que  notre propre code de moralité repose sur l’approbation et la désapprobation de la conduite d’autrui … Les tentatives pour ‘corriger’ les résultats du marché dans la direction de la  ‘justice sociale’ ont probablement engendré plus d’injustices sous la forme de nouveaux privilèges … et d’efforts déçus qu’elles n’ont apporté d’adoucissement au sort des pauvres … Le vocabulaire qui qualifie de ‘problème social’ n’importe quelle cause de mécontentement d’un groupe quelconque, suggérant par là l’intervention du législateur de faire quelque chose à propos  de cette ‘injustice sociale’ a fait du concept de ‘justice sociale’ un pur prétexte à réclamer des privilèges pour des intérêts particuliers. » – Tout ceci est tellement évident

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– Le processus de socialisation.

– A considérer en regard avec la fin de l’histoire et le dernier homme : 400,1 (fin).

« Une ligne évolutive qui a fait passer l’humanité de la bande, à la tribu, à la chefferie indienne ou au marché-centre chinois (les deux regroupant quelques dizaines de villages) ou à la ville-capitale d’Asie Antérieure, plus tard en Europe et au Japon à la seigneurie féodale, et de celles-ci au royaume et parfois à l’empire. » (Jean Baechler – très simplifié) – Où allons-nous après être passés par la Nation ?

 « L’homme contemporain n’est pas ‘sans qualités’, il est devenu ‘sans liens’. Cette ‘déliaison’ peut être vue comme une libération (soyez libres, sans attaches…), mais elle porte aussi en elle le danger de la solitude, de la déréliction, la peur constante d’être ‘jeté’. Le monde liquide de la modernité triomphante est ainsi celui de la liberté, de la flexibilité, mais aussi celui de l’insécurité … Ils ‘languissent d’établir des rapports avec autrui’ ; et pourtant l’état ‘d’être en rapport’ les fait hésiter, en particulier celui du ‘rapport pour de bon’, sans parler de ‘pour toujours’, dans la mesure où ils craignent que cela leur impose des charges et leur cause des pressions … On ne s’étonnera donc pas que les ‘relations’ forment un des principaux moteurs du ‘boom des conseillers’ actuels … Ce qu’ils espèrent apprendre c’est la quadrature du cercle : avoir le beurre et l’argent du beurre, écrémer les délices de la relation sans en conserver l’amertume et les désagréments … Dans le réseau on s’engage dans une connexion à la demande, connexion que l’on peut rompre à volonté. Les connexions sont des relations virtuelles … Quand la qualité nous fait faux bond, nous cherchons la rédemption dans la quantité … Être en mouvement était jadis un privilège … c’est désormais indispensable. Maintenir sa vitesse n’est plus une aventure grisante, c’est aujourd’hui une épuisante corvée… ‘Pour survivre sur une fine couche de glace, il faut patiner vite’ (R. W. Emerson). Futilité, fragilité et fugacité sans précédent marquent toutes sortes de liens sociaux. » (Zygmunt Bauman)

« La construction sociale est omniprésente dans les sociétés humaines, mais elle ne s’effectue jamais à partir de rien. Elle élabore, elle habille, elle transforme un déjà-là, c’est-à-dire qu’elle prend toujours appui sur ce donné que constitue la bipolarité biologique des sexes. » (Alain de Benoist – à propos de la théorie du genre) – Mais on peut étendre à tous les processus de socialisation.

 « ‘Vivre ensemble’ est-il concevable sans le secours d’une scène et d’une distance imaginaire, sans les dramaturgies de nobles représentations et de certaines abstractions symboliques ? C’est l’émergence d’un monde symbolique doublant le monde réel avec des effets d’allégement, de retard et de mise à distance … Cet ordre secondaire coûte cher, puisqu’il exige de chacun le sacrifice des instincts ou de la pulsion … Aux antipodes de  l’ordre secondaire issu de la représentation (le signe, qui n’est pas la chose, remplace et réitère à sa manière la présence de celle-ci), nous trouvons des communautés réduites aux ‘affects’ (supporters gesticulant, public d’un concert de rock, cercle de rieurs aux dépens … au pire horde de lyncheurs) … La représentation n’est pas l’ennemie de la présence … mais elle la cadre ou la hiérarchise …  Re-présenter, c’est rendre la présence ou le présent disponibles, voire optionnels (je peux quitter mon siège, éteindre la télévision), c’est laisser au sujet ses facultés d’interprétation … La carte doit rester distincte du territoire … Garder les contraires et de l’immersion et de la distance … Le bon vieux spectacle nous protégeait. Sa distance tant dénoncée par Debord agissait comme un pare-chocs … En cassant la distance et la convergence des regards, les technologies numériques accélèrent le démantèlement du spectacle … Jouant la ‘vie’ contre la ‘vue’ … L’immédiateté, le direct, le sursaut de la ‘vie’ peuvent flatter nos impatiences, mais ces slogans ne constituent pas une pensée critique. » (Daniel Bougnoux – interprété tel que compris – sur la représentation)

« L’humanité émerge du Chaos, de l’Abîme, du Sans-Fond. Elle en émerge comme psyché : rupture de l’organisation régulée du vivant, flux représentatif-affectif-intentionnel indéterminé et immaîtrisable, qui tend à  tout rapporter à soi et vit tout comme sens constamment recherché …   Psyché en elle-même radicalement inapte à la vie .., L’espèce humaine survit en créant la société et l’institution. L’institution permet à la psyché de survivre en lui imposant la forme sociale de l’individu, en lui proposant et imposant une autre source et une autre modalité du sens ; la signification imaginaire sociale … Le social-historique, création une fois pour toutes de la signification et de l’institution, et source d’une création continuée … L’institution de la société est institution des significations imaginaires sociales qui doit conférer sens à tout ce qui peut se présenter ‘dans’ la société comme ‘hors ‘ de celle-ci … La signification émerge pour recouvrir le Chaos, faisant être un mode d’être qui se pose comme négation du Chaos … La monade psychique ne saurait survivre un instant si elle ne subissait pas sa socialisation violente et forcée … L’humanité se constitue en faisant surgir la question de la signification et en lui fournissant d’emblée des réponses … Mais aucun système de déterminations instrumentales, fonctionnelles, s’épuisant dans la référence à la ‘réalité’ et à la ‘rationalité’, ne peut se suffire à lui-même … la société ne peut jamais s’enfermer dans ‘l’en-deçà’ de son existence réelle … C’est que celte existence réelle est  impossible et inconcevable, comme existence d’une société, sans la positions de ’fins’ de la vie individuelle et sociale, de ‘normes’ et de ‘valeurs’ qui règlent et orientent cette vie, de ‘l’identité’’ de la société considérée, du ‘pourquoi’ et ‘pour quoi’ de son existence, de sa place dans le monde, de la nature de ce monde … A l’individu, l’institution sociale assigne chaque fois imaginairement une origine, une cause et un ‘pour quoi’ qui est fin ou destination (généalogie, famille, milieu social°, fonction, fin, destination sociale et cosmique…) pour lui faire oublier que son existence est sans ‘pour quoi’ et sans fin. C’est cette assignation  d’une origine et d’une fin hors lui, l’arrachant au monde de la monade psychique qui fait de l’individu quelque chose de socialement déterminé, qui lui permet de fonctionner comme individu social. » (Cornelius Castoriadis) –  Où sont nos origines depuis que nous ignorons, méprisons, salissons le passé ? Où sont nos fins, nos ’pour quoi’, depuis que dominent (merci les média) le  fric, le cul, l’envie et la haine de l’autre se traduisant par la  dénonciation haineuse et le lynchage en meute assoiffée de sang de tout ce qui dépasse le ruisseau dans lequel nous nous vautrons. 

« Il faut aux hommes pour qu’ils s’associent réciproquement à leurs destinées, autre chose que l’intérêt. Il leur faut une opinion, il leur faut la morale. L’intérêt tend à les isoler, parce qu’il offre à chacun la chance d’être seul plus heureux ou plus habile. » (Benjamin Constant)  – Qu’ont-ils en commun aujourd’hui où l’on a tout détruit ?

« L’individu, comme tel, n’existe pas, le concept de l’homme est non pas celui d’un individu, mais celui d’un genre … L’homme ne devient homme que parmi les hommes. » (Fichte)

« Le ‘premier homme’ de Hegel désire non seulement des objets réels, mais aussi des objets qui sont entièrement non matériels. Par-dessus tout, il désire le désir des autres hommes, c’est-à-dire d’être reconnu par ceux-ci … L’homme être social … Son identité et sa valeur liés à la valeur que les autres humains lui accordent … Le souhait d’être reconnu, et en tant qu’homme … La caractéristique la plus fondamentale et la plus exclusivement humaine : la capacité de l’homme à risquer consciemment sa vie … Situation débouchant sur une relation de maître à esclave (ceux capables de risquer leur vie et les autres) … Les différences de classe fondées non sur des fonctions économiques mais sur l’attitude face à la mort violente … L’éthique guerrière … En risquant sa vie (dans des batailles de pur prestige) l’homme prouve qu’il peut agir à l’encontre du plus puissant et du plus fondamental des instincts, celui de conservation pour sa seule dignité (et non pour la satisfaction de quelque besoin animal) … Là est le sens de la liberté humaine selon Hegel, la liberté ne commence que là où la nature cesse … Même Hobbes le grand matérialiste se rapproche de la conception de Hegel : ‘Car chaque homme tient à ce que son compagnon l’évalue au même prix qu’il s’estime lui-même ; et à tous les signes de mépris ou de mésestime, il s’efforce … d’arracher une estimation plus grande de ses contempteurs par la querelle, et des autres par l’exemple’ … La logique de la reconnaissance conduit en dernière instance au désir d’être universellement reconnu, c’est-à-dire à l’impérialisme. » (Francis Fukuyama – considérations regroupées et simplifiées) – Le désir de reconnaissance, caractéristique de l’humain, moteur de l’histoire.

Le processus de socialisation « le processus par lequel on apprend à se regarder comme un autre parmi d’autres. » (Marcel Gauchet) – « Au travers de la socialisation, il ne s’agit pas simplement d’apprendre à coexister avec d’autres, mais d’apprendre à se regarder comme un parmi d’autres, comme n’importe qui du point de vue des autres. » (Olivier Rey)

« La socialisation, qui s’effectuait antérieurement dans les familles, dans les villages ou les quartiers, a été largement reportée dans des instances spécialisées, séparées du monde commun. » (Jean-Pierre Le Goff) – Ce qui permet de procéder à l’endoctrinement nécessaire au service des dominants et d’habituer les jeunes esprits à la salutaire police de la pensée.

« Le soi social de l’homme est la reconnaissance que celui-ci obtient de ses semblables … Aucun châtiment plus diabolique ne saurait être conçu … que d’être lâché dans la société et de demeurer totalement inaperçu de tous les membres qui la composent. » (William James – cité par Tzvetan Todorov) – La reconnaissance par l’autre est une condition d’existence. Le rejet est acceptable, pas le déni.

«  Une société dans laquelle la frustration n’a plus droit de cité,  le monde livré au régime des pulsions. Nous sommes la société dans laquelle les adultes font de la trottinette et où les enfants regardent du porno … Infantilisation par le haut. Platon dit de la démocratie extrême qu’’elle traite les enfants comme des hommes et les hommes comme des enfants. Nous y sommes… » (Vincent lamkin)

« La relation sociale est le miracle de la sortie de soi. » (Emmanuel Levinas) – « On est bien à l’étroit quand on se renferme au-dedans de soi-même. » (Fénelon)

« La logique sociale, pour ainsi dire, s’inverse, tandis que la société antérieure s’organisait pour lier ses membres, que tout en elle était destiné à représenter et à consolider le lien social, notre société s’organise pour délier ses membres, pour garantir leur indépendance et leurs droits … Notre société se veut une dis-societé … les liens doivent être à chaque instant voulus et pour ainsi dire renoués à chaque instant … Ou bien j’entre dans une communauté, une association, une relation, un lien, et je me transforme en partie d’un tout … je m’incorpore et je perds ma liberté, ou bien je me refuse à toute association, à toute relation, à tout lien, et je n’exerce pas ma liberté. L’idée même que nous nous faisons de notre liberté et de notre individualité nous place ainsi devant un dilemme tendanciellement paralysant. » (Pierre Manent)

« C’est à l’individu de se mettre au diapason, de ‘baisser le ton’ s’il veut être admis à participer au grand concert social, et encore davantage s’il désire assez d’approbation pour briguer un premier pupitre … En recherchant la sympathie de la société, l’individu ne contribue pas seulement à la cohérence sociale, mais également, par un retour sur lui-même, à sa propre sérénité. » (Christian Marouby – exposant des thèses d’Adam Smith)

« Trois idéaux-types, évidemment jamais rencontrés à l’état parfaitement purs : – L’individu à détermination traditionnelle ressent les effets de sa culture comme un tout … au sein d’un groupe spécifique et réduit de personnes avec lesquelles il est en contact quotidien et qui attendent de lui qu’il se comporte de la manière généralement admise … Buts relevant de la tradition reçue – L’individu intro-déterminé est doté d’un gyroscope psychologique réglé initialement par ses parents, mais susceptible de recevoir des signaux venant d’autres autorités qui lui ressemblent … Stabilité … Il est le seul des trois à pouvoir poursuivre son chemin en solitaire, sans relever d’un groupe d’appartenance (l’Anglais sous les tropiques qui continue à mener la même vie réglée) … Buts relevant de la vie intérieure – L’individu extro-déterminé apprend à réagir aux signaux d’un cercle de personnes beaucoup plus vaste que celui de ses proches parents … Son milieu social est plus vaste … Cosmopolite, il est chez lui partout et nulle part, capable d’une intimité rapide, et superficielle, avec tout le monde … Réceptivité aux espoirs et préférences d’autrui … On peut décrire les quatre ou cinq derniers siècles de l’histoire européenne sous l’angle de la domination successive de deux types de caractère : le groupe intro-déterminé qui a pris la place du groupe à détermination traditionnelle, pour être supplanté ensuite par le groupe extro-déterminé. » (David Riesman – La foule solitaire)

« Les porcs-épics, s’ils sont trop éloignés les uns des autres, ils ont froid, mais s’ils se serrent de trop près pour se réchauffer, ils se blessent mutuellement … Ainsi, le besoin de société, né du vide et de la monotonie de leur vie intérieure, pousse les hommes les uns vers les autres ; mais leurs nombreuses manières d’être antipathiques et leurs insupportables défauts les dispersent de nouveau.  La distance moyenne qu’ils finissent par découvrir et à laquelle la vie en commun devient possible, c’est la politesse et les belles manières. » (parabole de Schopenhauer)

« Comment une société qui n’organise pas les formes de relations des individus avec le sacré, qui ne donne plus de réponse à l’angoisse métaphysique de l’homme ni de sens au malheur individuel et collectif peut-elle contribuer à ‘faire société’ … à assurer le lien social, à maintenir le sens des valeurs communes et à garder, éventuellement, la volonté de les défendre ? » (Dominique Schnapper) – Que les dominants s’occupent de leur fric et d’asservir les petits, pour le reste !

« L’homme qui est dirigé par la Raison est plus libre dans la Cité où il vit selon le décret commun, que dans la solitude où il n’obéit qu’à lui-même. » (Spinoza)

« Ce qu’ils veulent, c’est la socialisation la plus intense possible, et non, ce qui est bien différent, l’organisation sociale la plus  forte et la plus haute possible. Une vie sociale débordante dans un organisme social amoindri leur suffirait. » (Gabriel Tarde) – Aux partisans forcenés du progrès, de l’université pour tous jusqu’à cinquante ans.

« L’homme n’existe pas avant la société, et l’humain est fondé dans l’interhumain …’Il faut pour le moins être deux pour être humain’ …  La demande de reconnaissance est nécessairement un combat ; et puisque pour les humains, la reconnaissance est une valeur supérieure à la vie, c’est un combat à la vie et à la mort … Se faire reconnaître, c’est s’imposer … L’idée de reconnaissance se trouve indéfectiblement attachée à celle de la lutte pour le pouvoir. » (Tzvetan Todorov) – On s’approche du surhomme de Nietzsche.

Ci-dessous, extraits simplifiés du livre de Louis Chauvel, Le destin des générations.

– On ne voit l’égalité que dans l’espace. Or, était-il opportun de naître au temps de la peste noire, du choléra, avant l’anesthésie ? Plus près de nous, était-il intéressant pour un Français, pour un Allemand… d’avoir 20 ans en 1914 ? D’être envoyé à la mort par ses aînés ou, si femme, de finir vieille fille ? L’humanité existe dans le temps autant que dans l’espace.

« Même en Chine … pour la première fois, de jeunes générations de diplômés commencent à douter de la qualité des places qu’ils trouveront en comparaison avec ce que leurs aînés titulaires du même diplôme avaient connu … L’ampleur et la profondeur des difficultés françaises à socialiser correctement les jeunesses de la crise … Les générations sorties de l’école avant 1973 avaient connu dans les douze mois de leur entrée dans le monde  du travail un taux de chômage de seulement 6%, ceux sortis en 1985 ont subi un taux moyen de 36% … depuis ce chômage dit transitionnel n’est jamais descendu au-dessous de 20% , le chômage est devenu pour beaucoup une étape ‘normale’ de l’entrée dans la vie adulte, la mobilité n’est plus le choix  du salarié et  s’appelle flexibilité … Une fois venu le temps de la stagnation, celle-ci est essentiellement subie par les nouvelles générations entrant dans la vie adulte et non par la totalité de celles déjà engagées dans le monde contemporain … Or le plein emploi à l’entrée dans la vie adulte est une ressource collective inestimable, le point de départ dans la vie adulte porte des conséquences lourdes sur toute la trajectoire ultérieure  …  En France, les statuts sociaux tôt acquis ou à l’inverse les échecs précoces tendent à se cristalliser et à prendre un tour définitif, car il n’existe guère de seconde chance, pour l’individu engagé dans une carrière ascendante  ou sur une voie de garage, sa situation devient rapidement irréversible (c’est l’effet d’accumulation dit’ effet Matthieu’, accumulation des gains chez les gagnants, des pertes chez les perdants – voir au début de la rubrique ‘Admiration, 065, 2’) … Déclassement scolaire massif des jeunes bacheliers par surabondance des diplômés par rapport aux positions sociales disponibles … Le baccalauréat, massivement dévalué (seulement 5% de bacheliers dans une génération du premier tiers du XX° siècle !) , n’est plus vraiment un diplôme … ‘Le diplôme est une condition de plus en plus nécessaire et de moins en moins suffisante de la réussite sociale’ (?) … Pour une génération nourrie dans  la société de consommation, bénéficiant d’un niveau scolaire supérieur à celui des parents, habitué à penser avec les termes de la modernité (croissance, progrès…), la confrontation aux réalités crues (déclin, déclassement, difficulté à se loger…) peut relever de la perte brutale de toutes les illusions (contrairement aux générations antérieures socialisées, elles,  dans un contexte de pénurie, d’effort, de souffrance et d’abnégation) … Rappelons que les nouveaux modes de vie familiaux (célibat prolongé, instabilité matrimoniale, monoparentalité, recompositions familiales…) furent inventées par les catégories sociales qui en avaient les moyens (soit déjà installées)  et furent diffusées ensuite à celles qui n’avaient pas cette indépendance et cette sécurité et pour qui ce nouveau mode d’existence comportait de nombreux risques existentiels (suivant propos d’Irène Théry) … Les générations nées au début du XX° siècle furent sans liberté par rapport aux modèles d’encadrement social (Eglise, Communisme, Etat…), plongées dans une structure sociale verticale comportant des écarts béants. Celles nées dans l’entre-deux-guerres ont connu la même soumission aux encadrements idéologique et confessionnels mais bénéficièrent de l’intégration professionnelle de la société salariale émergente et de l’expansion des Trente Glorieuses ; celles nées dans le courant des années  1940 connurent l’émancipation par rapport aux normes et aux repères sociaux traditionnels tout en continuant à bénéficier de l’expansion ; les suivantes nées à partir de 1950 arrivent essentiellement dans un monde où seule existe l’émancipation. »

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