635,3 – Sens

– Terrorisé par tout, et d’abord par lui-même, pour tenter de sauvegarder la raison, garde-fou contre son délire, l’homme moderne veut donner un sens à tout. Il « veut déduire un sens de la succession d’événements qui en eux-mêmes n’en ont pas » (Alain Gras) – En histoire, en sociologie, en science… et même, le bouquet, en économie et en politique.

– Par notre vision ultra simpliste, enfantine, nous avons englouti l’histoire, le réel, ses errements et ses contradictions ; dans notre rage de construction-destruction nous avons presque fini de massacrer la nature naturelle, il est donc temps pour les démolisseurs de massacrer à son tour la nature humaine. Le tentateur a bien travaillé.

– Nous arrivons enfin à la grande confusion, à la bienheureuse indistinction, « la nuit où toutes les vaches sont noires » comme l’appelait Hegel.

– Le non-sens, ou seulement l’insignifiance,  a remplacé le bon sens comme le sens commun.

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« Le pouvoir perd ce qui faisait sa force dans les sociétés de tradition : être le gardien du sens, en étant lié à un ordre symbolique relativement stable par lequel le social est institué. »  (Georges Balandier)  

« Derrière la cacophonie trompeuse de l’information règne, en fait, un énorme silence. Comme une panne de la production de sens, une panne de toute transcendance. Le vide social … une manière de vivre ‘en attendant’. Mais en attendant quoi ? … La transcendance sociale, en dehors des somptuosités de la religion ou de la philosophie, est la capacité, à tous les niveaux de la vie sociale (de l’individu à la nation et au monde) d’imaginer et de réaliser un projet, c’est-à-dire d’exercer la fonction politique … Aujourd’hui, il y a sûrement de quoi faire, mais on ne sait pas quoi … La transcendance se porte mal dans nos sociétés, moins parce qu’elles ne savent plus provisoirement secréter de grandes idéologies, que parce qu’elles ont de la peine à se doter de projets crédibles et à exercer leur fonction politique … Le vide social exprime non pas tellement une absence des choses, qu’une absence du sens des choses, en particulier de la possibilité de leur transcendance … On entend ce double cri :’ ça ne peut plus durer comme ça’, bien qu’il soit démontré qu’on peut vivre longtemps de cette façon … On ne voit pas quel remède apporter aux problèmes qui se posent, sentiment d’impuissance … On voit bien que les choses ne peuvent pas continuer ainsi et on ne voit pas comment elles pourraient changer. » (Yves Barel)

« Pour commencer, avant toutes choses, Dieu oppose à l’abîme la Lumière qui advient par une parole : ‘Que la Lumière soit’ ! Autrement dit, que le Sens, faisant corps avec la parole, vienne déchirer la nuit de l’abîme. Cela confirme que le contraire du mal n’est pas le bien, mais le Sens, la Lumière … La Lumière ne peut surgir que du fond de l’abîme, le Sens ne peut naître que du non-sens, la parole que du silence, mais il n’y a là aucune chronologie. » (Lytta Basset)

« Nous sommes dans un univers où il y a de plus en plus d’informations et de moins en moins de sens … La déperdition du sens est directement liée à l’action dissolvante, dissuasive, de l’information, des media … L’information dévore la communication et le social … Car, au lieu de faire communiquer, elle s’épuise dans la mise en scène de la communication, Au lieu de produire du sens, elle s’épuise dans la mise en scène du sens … Et, derrière cette mise en scène exacerbée de la communication, l’information au forcing poursuit une irrésistible destruction du social. » (Jean Baudrillard) – Il n’y a plus que de la ‘Com’.

« On leur donne du sens, elles veulent du spectacle. Aucun effort n’a  p u les convertir au sérieux des contenus, ni même au sérieux de code. On leur donne des messages, elles veulent du signe … Elles flairent la terreur simplificatrice qui est derrière l’hégémonie idéale du sens. » (Jean Baudrillard – sur les masses)

 « Le plus profond besoin spirituel des hommes n’est ni la justice ni l’ordre, mais la signification. Chaque personne a besoin que sa vie ‘signifie’. » (Albert Béguin)

« Une éducation et une culture centrée sur la méfiance envers les sens, et qui donnent une place privilégiée aux mécanismes de la conscience, finissent par produire aussi un refoulement de nos sensations, de nos connaissances… » (Miguel Benasayag) – Il ne  s’agit pas là du sens profond mais de nos sens physiques.

« A quoi bon user de sa raison quand le choix fondé en raison vaut le choix le plus futile, quand un sentiment raisonnable a la même valeur qu’un sentiment déraisonnable, quand les règles de vie sont purement arbitraires ? Les choix perdent toute signification … N’importe, chacun fait ce qu’il veut. Le choix est insignifiant. Si tout choix est justifiable par lui-même, s’il n’a d’autre fondement que la subjectivité pure, l‘absurde règne … Chacun est pour soi-même le maître du sens, le maître d’un sens insignifiant. » (Philippe Bénéton)

« L’individu est pour lui-même le maître du sens, il règle à sa mesure la valeur des choses. Il est le maître d’un sens insignifiant. » (Philippe Bénéton) – C’est bien commode.

« La quantité de sens est exactement proportionnelle à la présence de la mort et à la puissance de la ruine. » (Walter Benjamin) – Aussi lugubre que pertinent.

« Le sens commun … sagesse du cœur, intelligence de la sensibilité qui accompagne l’être … détermine ce ‘qui va de soi’ et ‘n’est pas bien’ … ne dicte pas le Bien mais protège du Mal, des délires dogmatiques, des fanatismes religieux ou idéologiques, des logiques économiques implacables, des fascinations technicistes, des brutalités marchandes, des outrances du désir … Fonctionne comme un baromètre intérieur pour indiquer le sens des réalités, des responsabilités, des proportions et des limites. Il conseille le doute, le tri, la prudence. Il encourage la paix et la solidarité avec les  autres, la sérénité et la modestie vis-à-vis de soi-même … Ultime barrière mentale contre les assauts du non-sens. » (Jean-Paul Besset – considérations éparses simplifiées)

« L’homme moderne n’a plus à travailler sur soi. Il est censé être un donné initial … ‘mesure de toutes choses’ … C’est de lui qu’on attend qu’il donne un sens à tout ce qui est … ‘J’ai fondé ma cause sur rien’ … pourrait servir de devise à l’homme moderne. » (Rémi Brague) – Un sens reçu de ce pantin ! Pitié Seigneur !

« La question n’est pas de savoir si l’homme peut savoir par lui-même comment il devrait bien vivre. Elle est plutôt de savoir s’il peut vouloir survivre sans une instance extérieure pour l’affirmer … pour lui donner une légitimité. » (Rémi Brague)

« Lorsque vous êtes en quête de signes ils finissent toujours par arriver (voir l’utilisation par les sectes) … Capacité, ou manie, des êtres humains de conférer un sens aux phénomènes. » (Gérald Bronner)

« Nous sommes passés de la langue de bois à la langue de caoutchouc. » (Cornelius Castoriadis) – « Tout est admis, et par là, tout est rendu insignifiant. Tout est montré à la télévision, et par là, tout disparaît aussitôt. » (Jean-Pierre Le Goff)

« Un leader, aujourd’hui, c’est quelqu’un qui donne du sens … C’est quelqu’un qui inspire plus qu’il ne fait. » (Pierre-André de Chalendar)

« Les anciennes disciplines s’effondrent. Mais dans le détail une organisation matérielle sans cesse plus raffinée multiplie les contraintes ; seulement ce sont celles d’une certaine richesse et non plus de la misère. ‘Le minimum de sens pour le maximum de disciplines’. » (Bernard Charbonneau)

« Si Narcisse est si inquiet, c’est aussi parce qu’aucun discours théorique ne parvient plus à le rassurer. Il a beau consommer frénétiquement du spirituel, il ne paraît pas plus serein pour autant. L’ère de l’hyperconsommation et de l’hypermodernité a signé le déclin des grande structures traditionnelles de sens … Ainsi meurent les dieux : non dans la démoralisation nihiliste de l’Occident et l’angoisse du vide des valeurs, mais dans les saccades du sens. » (Sébastien Charles – avec Gilles Lipovetsky)

« Chercher un sens à quoi que ce soit est moins le fait d’un naïf que d’un masochiste. »(Emil Cioran)

« Tant que j’agis, je crois que ce que j’exécute comporte un ‘sens’, autrement je ne pourrais pas l’exécuter. »(Emil Cioran)

« Attribuer au processus historique une signification, c’est souscrire à une forme de providence. Bossuet, Hegel et Karl Marx, du fait même qu’ils assignent aux événements un sens, appartiennent à une même famille, l’important n’étant pas de définir, de déterminer, ce sens mais d’y avoir recours, de le postuler. » (Emil Cioran)

« Blanchot, l’auteur idéal pour apprendre à taper à la machine, parce qu’on n’est pas  ‘dérangé par le sens’. » (Emil Cioran – cité par Michel Houellebecq) – Blanchot n’est pas le seul, chez les modernes, à bénéficier de cet indéniable avantage. 

 « Si une œuvre peut continuer à avoir de l’intérêt et de la valeur pour les générations futures, alors son sens ne peut pas être arrêté par l’intention de l’auteur ni par le contexte originel (historique, social, culturel) Le sens désigne ce qui reste stable dans la réception d’un texte ; il répond à la question : ‘Que veut dire ce texte ?’ La signification désigne ce qui change dans la réception d’un texte ; elle répond à la question : ‘Quelle valeur a ce texte ?’. Le sens est singulier ; la signification, qui met le sens en relation avec une situation, est variable, plurielle, ouverte, et peut être infinie. Lorsque nous lisons un texte, contemporain ou ancien, nous relions son sens à notre expérience, nous lui donnons une valeur hors de son contexte d’origine. Le sens est l’objet de ‘l’interprétation’ du texte ; la signification provient de ‘l’application’ du texte au contexte de sa réception, et donc de son évaluation. Le texte a donc un sens originel, mais aussi des sens ultérieurs et anachroniques. Il a une signification originelle, mais aussi des significations ultérieures qui peuvent s’en écarter … Une satire qui ne nous dirait plus rien, pour laquelle il n’y aurait plus aucun rapport entre son contexte d’origine et le nôtre, n’aurait pas de signification pour nous, mais n’en conserverait pas moins son sens et sa signification originels. Les grandes œuvres sont inépuisables ; chaque génération les comprend à sa manière … les lecteurs y trouvent de quoi éclairer un aspect de leur expérience. Mais si une œuvre est inépuisable, cela ne veut pas dire qu’elle n’ait pas  de sens originel, ni que l’intention de l’auteur ne soit pas le critère de ce sens originel … Toute interprétation est une assertion sur une intention, et si l’intention d’auteur est niée, une autre intention prend sa place … Extraire une œuvre de son contexte littéraire et historique, c’est lui donner une autre intention (un autre auteur : le lecteur), c’est en faire une autre œuvre. » (Antoine Compagnon – Le démon de la théorie) – Distinction entre sens et signification, interprétation et évaluation, réception première et réceptions ultérieures à différents moments de l’histoire et jusqu’à présent, horizon d’attente (du lecteur), imitation et écart esthétique (du même lecteur), innovation – L’auteur, de ce texte, raisonne à propos de la littérature, mais on peut étendre ses remarques.  

« La société qui repose sur l’industrie moderne n’est pas fortuitement ou superficiellement ‘spectaculaire’, elle est fondamentalement ‘spectacliste’. Dans le spectacle, image de l’économie régnante, le but n’est rien, le développement est tout. Le spectacle ne veut en venir à rien d’autre qu’à lui-même. » (Guy Debord – La société du Spectacle)

« Le sens s’est perdu avec le centre connaissable. » (Guy Debord – La société du Spectacle) – Avec le gigantisme des institutions, des organisations. Ce n’est certes pas la mondialisation qui va nous aider à le retrouver, d’ailleurs elle est faite aussi pour détruire toute notion de sens.

« Que manque-t-il lorsque plus rien ne manque ? … La désertion du sens annonce l’avènement d’une existence fade et déroutée, c’est-à-dire, dépouillée de sa route … Que fais-je là ? » (Chantal Delsol) – Se dit l’homme contemporain.

« N’importe quel sens engendre chez nous la méfiance, et nous récusons d’emblée tout ce qui vient. Installés, pour ainsi dire, dans un néant bien propre, épargné par les illusions et les crimes dont nous sortons, nous sommes habités par un désespoir tout neuf : celui du rien … Le desesperado d’aujourd’hui ne ferait pas de mal à une mouche. Mais il sonne creux comme un tambour. Rien ne l’emplit, il se garde de tout. Il rit. » (Chantal Delsol) – Et sous le rire, on entend grincer les dents.

« Le cycle du nihilisme prophétisé par Nietzsche : d’abord on croit que tout a un sens, et ensuite, lorsque cette totalité s’est effondrée, plus rien n’a de sens. » (Jean-Marie Domenach)

« ‘Donnez-nous une interprétation du monde, complète et satisfaisante, qui nous permette de militer, la conscience tranquille, pour un avenir radieux ; donnez-nous notre dogme de tous les jours…’ Cette prière qui monte de la société du bien-être… » (Jean-Marie Domenach)

« Si l’on sort du rapport de sens, on ne peut aller que vers le pur rapport de forces et vers une ère de violence généralisée. » (Dany-Robert Dufour) – C’est bien dans cet objectif que les pédagogistes veillent à massacrer le sens, dès l’école.

« La transgression est proclamée comme un droit, si ce n’est un devoir. Dans  son entreprise de démystification le monde moderne n’a pas compris que ces systèmes (l’hyper production, l’hyperconsommation) impliquaient que des limites soient fixées à la condition humaine, tout en leur donnant sens. En remplaçant le sacré par la raison et par la science, il a perdu tout sens des limites et, par là même, c’est le sens qu’il a sacrifié. » (Jean-Pierre Dupuy)

« ‘Nous entrons maintenant dans des sociétés qui ont une telle capacité d’action sur elles-mêmes qu’elles ne peuvent reconnaître l’existence d’aucun ordre qui transcende l’ordre social’. On comprend mieux le prix que la modernité doit payer pour s’être affranchie de toute transcendance. Les hommes ont voulu être les seuls maîtres du sens. Ils ont aboli ainsi toute distance entre le pouvoir et le lieu symbolique que toute société postule comme celui depuis lequel elle peut être pensée et maîtrisée  … Or aucune forme social-historique ne peut rester stable dans ces conditions : puisqu’elle est postulée maîtrisable à volonté, il n’y a aucune raison nécessaire de s’en tenir à celle-là plutôt qu’à une autre. Sa contingence ontologique est insupportable. Sans distance, il n’y a que du non-sens. ..  Les hommes n’ayant plus d’horizon extra-mondain vers lequel diriger leurs regards, cherchent désespérément un repère chez leurs semblables. Ils s’épient, mutuellement fascinés. » (Jean-Pierre Dupuy – citant Alain Touraine)

« Je ne puis être que dans un certain ordre, et ma liberté n’existe que si elle joue dans un certain ordre … Il n’y a  de sens possible que par rapport et dans un certain ordre. » (Jacques Ellul)

« L’homme ne peut pas vivre dans un univers fou, incohérent, il faut que les choses aient un sens. Celui-ci peut être fictif, pourvu qu’il soit quand même un sens. La religion trace une histoire et fournit une vue du monde qui permet à l’homme de se situer … Elle a donc une visée existentielle et pragmatique. C’est pourquoi la science ne peut pas en tant que telle, et dans la mesure où elle reste effectivement science, se substituer à la religion : car elle ne remplit pas cette fonction-là. » (Jacques Ellul)

« François Cheng nous indique que c’est le mot français le plus essentiel puisqu’il condense en lui la sensation (l’éprouvé, le vécu…), la direction (le processus, le cheminement…) et la signification (l’interprétation du monde et des êtres) » (Eugène Enriquez)

« Comment penser que le monde a un sens ou que du sens soit nécessaire au monde puisqu’il doit toujours changer (injonction principale) » (Eugène Enriquez) – « Tout est brisé, toute cohérence s’en est allée. » (John Donne) – « Le désert croît. » (Nietzsche)

« Tout se passe comme si, à l’image du monde matériel, l’ordre spirituel se déployait dans un écosystème spécifique d’énergie spirituelle … Nous ne prenons vraiment conscience de l’eau et de l’air que lorsqu’ils viennent à manquer. Ainsi en va-t-il du sens. Jusqu’à aujourd’hui nous ne savions pas son absence mortelle. Nous vivions inconsciemment dans sa surabondance. Nous le produisions tout naturellement plus que nous ne le consommions. Nos réservoirs en débordaient. » (Père Gérard Eschbach) – Et ils sont à sec. Nous avons tout détruit, tout épuisé.

« ‘L’homme n’a inventé Dieu qu’afin de pouvoir vivre sans se tuer’. L’implication est évidente : c‘est la nécessité, pour l’homme, d’avoir un centre, une valeur de base ; ne le trouvant pas en lui-même, il l’avait placé hors de lui, l’avait projeté en Dieu … avait supposé qu’il existait (ce centre) mais chez un autre. Et la foi en cet autre avait provisoirement résolu le problème existentiel. » (Julius Evola – citant un personnage de Dostoïevski)

« Au lieu de se demander si la vie a un sens, c’est à nous de lui donner un sens. » (Victor Frankl)

 « Dans le débat public, l’expression émotionnelle a valeur d’autorité contre le travail intellectuel et les convictions  sensées … Le ‘ressenti individuel’ balaie tous les arguments … L’hégémonie sentimentale rabat tout sur le même plan … Les affects s’exhibent. » (Jean-Pierre Le Goff)

«  La faillite des instances dispensatrices de sens (la religion, la patrie, la famille, la morale, parti, le sens de l’histoire, etc.) qui expose nos contemporains à de nouvelles formes de servitude. » (Roland Gori et Pierre Le Coz)

« Trois choses dans l’acte de signification (selon les stoïciens) entre le signifié, le signifiant et le référent. » (Jean-Joseph Goux – approx.) – Exemple du bienfait : l’intention incorporelle, le fait de, la chose ; de même pour tous les actes, tous les mots.

 « Alors qu’une humanité avait reconnu ses semblables à leur commune recherche d’un sens, une autre humanité les rassemble aujourd’hui dans leur commune indifférence au sens comme au non-sens. Heureuse époque celle qui s’affligeait des contresens ! Car le contresens était encore une manière de se rapporter au sens. » (Nicolas Grimaldi)

« Assurons-nous d’abord un taux de croissance, une bonne santé de la Bourse, une pratique compétitive de l’internet et nous pourrons, ensuite, nous occuper du sens. » (Jean-Claude Guillebaud)

« Dans le fond, ces pensées n’ont pas la moindre signification. Les choses arrivent tout simplement et, comme des millions d’hommes avant moi, je cherche à leur trouver un sens parce que mon orgueil ne veut pas admettre que le sens d’un événement est tout entier dans cet événement. Aucun coléoptère que j’écrase sans y prendre garde ne verra dans cet événement fâcheux pour lui une secrète relation de portée universelle. Il était simplement sous mon pied au moment où je l’ai écrasé : un bien-être dans la lumière, une courte douleur aiguë et puis plus rien. Les humains sont les seuls à courir après un sens qui ne peut exister. » (Marlen Haushofer – citée par Jean-Luc Nancy – à propos des peines, souffrances, malheurs…, mais on peut étendre)

« Que tu deviennes professeur, savant ou musicien, aie le respect du ‘sens’ ; mais ne t’imagine pas qu’il s’enseigne. C’est en voulant enseigner le sens que les philosophes de l’Histoire ont perverti la moitié de l’Histoire mondiale. » (Herman Hesse)

« Il (l’être) désire aussi au plus profond de son être que l’ensemble de ses actions et de ses activités, que son existence, sa vie et sa mort inéluctable aient un sens. Il aspire avec force à ce que ses gestes et ses aspirations ne répondent pas simplement à une utilité momentanée, mais soient justifiés par une signification supérieure, sanctifiés et motivés par un idéal élevé …  Même l’homme terre à terre, superficiel et hostile à la pensée conserve le besoin séculaire de savoir que son existence a un sens ; dés qu’il ne parvient plus à le trouver, sas mœurs se dérèglent et sa vie privée est dominée par un égoïsme exacerbé, par une peur accrue de la mort. »» (Hermann Hesse) – Nous y sommes.

« Pour la société du XX° siècle, on ne peut réaliser un sens que d’une seule manière ; il faut être au service d’un objectif donné. » (Max Horkheimer)

« Sans l’imagination  qui confère au réel un sens qu’il ne possède pas en lui-même, nous aurions déjà disparu … Le sens est notre drogue dure. Sous forme d’idéal politique ou religieux, elle est non seulement dure et pure. Pour s’en procurer, certains iront jusqu’à tuer père et mère, voire à sacrifier leur propre vie (les kamikazes). » (Nancy Huston – L’espèce fabulatrice)

« Ce qui est déterminant est ce qui fait sens pour le sujet, et seulement cela. » (Nancy Huston – reprenant Freud)

« L’ordre et le sens viennent de Dieu, et si Dieu est réellement mort, c’est en vain que nous nous persuadons que le sens peut être sauvé. Si Dieu est mort, il ne reste qu’un vide indifférent qui nous engloutit et nous anéantit. » (Leszek Kolakowski)

« Tant que les gens sont plus ou moins jeunes et que la partition musicale de leur vie n’en est encore qu’à ses premières mesures, ils peuvent la composer ensemble et échange des motifs, mais quand ils se rencontrent à un âge plus mûr, leur partition musicale est plus ou moins achevée et chaque mot, chaque objet signifie quelque chose d’autre dans la partition de chacun. » (Milan Kundera)

« Parce qu’il ne peut plus compter sur l’autre pour poser la limite, le sujet d’aujourd’hui, pour que cette opération ait lieu, ne peut plus compter que sur lui-même. Mais recevoir la limite de l’autre ou devoir se l’imposer soi-même n’est pas du tout équivalent. Se l’imposer soi-même, tâche à recommencer sans cesse, est beaucoup plus difficile et lourd à porter …Tout peut-être à chaque fois renégocié, tout est toujours susceptible d’être remanié …  La pyramide organisée hiérarchiquement ne reposait que sur un leurre, une illusion, celle de l’extériorité radicale d’un ‘Autre’ substantiel, en l’occurrence, et ‘in fine’, celle de Dieu, sur l’existence non discutable d’une place d’exception absolue ; démasquée, nous nous sommes retrouvés face à un système qui avait perdu ce qui lui donnait sa consistance … La vie collective ne se soutient plus d’un ordre préétabli qui transmet des règles, mais d’un ordre qui doit émerger des partenaires eux-mêmes, si tant est qu’on consente à ce qu’il émerge … Forts de ce que le’ grand Autre’ n’existe pas (nous étant débarrassés de ses incarnations), nous nous sommes libérés de la transcendance … et dans la foulée, de tout ce qui relève du transcendantal. » (Jean-Pierre Lebrun) – Plus de place d’exception absolue, plus de transmission, plus de sens, plus de hiérarchie, fut-elle fictive, illusoire, plus de discours possible affirmant, plus de contestation édifiante, plus d’être consistant, plus de civilisation, magma pluraliste. Nous y sommes.

« Seul le discours persiste, comme fondement des rapports sociaux. Sans critère, ni de véracité ni d’authenticité, pas même d’objectivité. Ce qui veut dire que les rapports perdent leur base. Le discours, forme de la communication, en devient aussi l’instrument et le contenu … Auparavant, le message se déchiffrait suivant un code connu en se rapportant à un référentiel accepté … La chute des référentiels et d’un code fournissant des ‘lieux communs’ facilite le décrochage des signifiants et des signifiés, le non apport d’un signifié (commun) au signifiant … Faute de référentiel, la marge d’incertitude se comble difficilement. On consomme des signifiants, massivement, indistinctement … L’accrochage se fait n’importe comment, n’importe où … L’accrochage, c’est l’autorité qui s’en charge, (autrement dit la ‘doxa’ férocement imposée), elle peut imposer n’importe quoi ou presque. » (Henri Lefebvre – traitant de la perte des référentiels : image et idée de la société comme totalité, des critères éthiques ou religieux, des absolus métaphysiques ou théologiques. Après le bon sens pratico-sensible, tous les autres référentiels vont disparaître : l’Absolu philosophique, le dogme religieux, l’impératif moral… Si les référentiels ont disparu, non leur souvenir (au moins pour deux ou trois générations) et l’exigence d’un système de références.)

« Quand nous travaillons avec obstination à désidentifier les individus, l’islamisme leur livre un kit n’autorisant aucun jeu, aucun écart ; quand nous nous faisons un devoir de lever tous les interdits, l’islam radical parle d’autorité, imposant prescriptions, proscriptions à ses recrues, leur confie des missions meurtrières assurément mais qui donnent un sens, une signification et une direction à leur vie. La propagande islamiste vient moins satisfaire un ‘irrésistible besoin de spiritualité ou de religion’ … que combler un vide existentiel … Gardons-nous de confondre le prêt-à-penser délivré par le discours islamiste avec quelque vie de l’esprit que ce soit. » (Bérénice Levet – Le crépuscule des idoles progressistes P 63) – Et nous, quel sens donnons-nous aux individus, à notre jeunesse ?

« Il ne suffit pas de se pencher sur un plan de vie purement individuel … pour expliquer un mode de comportement … à côté de la genèse individuelle du sens, existe celle induite par les structures de la vie des groupes sociaux (sociologie). » (Karl Mannheim)

« Tous avaient en commun un même dessein … Celui d’en finir avec les récits fondateurs, en littérature, en philosophie, en religion, qui imposaient la primauté d’un sens … Le trait commun de toutes les formes de déconstruction, la dénonciation de la préséance de l’idée … Décapiter tout ce qui tient au ‘cap’, au ‘capitaine’ et donc au ‘chef’, qu’il soit père, roi, principe, soleil, fondement, idée, origine, ou, plus simplement, source de lumière, de vie et de sens … Déconstruire toute instance transcendantale qui prendrait la figure du père, du ‘Logos’ et de la Parole pour dire l’origine et articuler organiquement le son et le sens, le signifiant et le signifié, l’homme et le monde … L’impossibilité à décider entre le vrai et le faux, la vie et la mort, le bien et le mal, à trancher entre les oppositions de la métaphysique … Trancher, c’est choisir une voie unique qui met le cap sur une direction unique. » (Jean-François Mattéi – sur les déconstructeurs, Derrida, Deleuze, Guattari… et la french theory qui a révolutionné les campus américains d’abord et l’Europe moutonnière à la suite ; la mort des sociétés et de l’homme)

 « Les hommes ont besoin d’un centre distinct de sa périphérie, d’une permanence qui donne son poids au fugitif, et d’une configuration de l’existence qui se relie à la connexion du tout … La déconstruction a fêté un bal des adieux à tout ce à quoi l’homme s’était identifié dans son histoire. L’adieu à l’âme ; l’adieu au corps ; l’adieu au sujet ; l’adieu à l’œuvre ; l’adieu au monde ; l’adieu au sens ; l’adieu à Dieu, enfin, qui sonne le glas des meurtriers. L’adieu à ce qui faisait la substance de l’humanité … l’adieu à la condition humaine … A la lumière de l’être, il faut préférer la nuit du néant … Rien ne semble résister au travail de la taupe qui a sapé les principes sur lesquels reposait la civilisation. Descartes rappelait que la ruine des fondements signe en même temps la ruine de l’édifice … Le monde cassé de Kafka ou la terre dévastée de Kundera n’offrent plus à l’humanité de foyer qui est le sien. » (Jean-François Mattéi – contre les déconstructeurs, les Blanchot, Derrida, Deleuze, Guattari, Foucault, Judith Butler… et leurs ignares disciples, gauchistes démolisseurs de tout)

« ‘Anything goes’ (tout marche, tout ira…) : tout fait sens et donc rien ne fait sens parce que le lien initial avec le monde, le ‘hilum’ a été neutralisé par le nihilisme, ‘ne-hilum’ … La post-modernité s’offre ainsi comme l’esthétisation du désespoir : ‘no future’ … Ou ce que Castoriadis appelait ‘la montée de l’insignifiance’. » (Jean François Mattéi)

« ‘Introduire un sens dans le monde, une tâche qui reste encore absolument à accomplir’ … Si l’authenticité de l’homme est le sentiment vécu de sa propre existence, elle ne peut en rien lui donner un sens puisque le sens implique la distance d’un horizon moral vers lequel il tend … La pure présence à soi, dans l’écoulement indifférent de la vie, abolit tout horizon de signification en aveuglant le regard que l’on porte sur le monde. » (Jean-François Mattéi – citant Nietzsche)

 « Le renoncement à la transcendance a été payé par l’abandon du sens … ‘Il n’y a plus d’Esprit du monde … il n’y a plus de sens du monde’ … Il faut renoncer, non seulement au sens, mais à la demande de sens, sinon au renoncement lui-même qui garderait une nostalgie inavouée du sens … Après le traumatisme d’Auschwitz ‘nous savons que c’est la fin du monde’ et que les hommes sont livrés à un présent sans présence, un passé sans mémoire et un avenir sans espoir. Il nous reste seulement à vivre, et à mourir, dans un monde désenchanté dénué de Dieu, de transcendance et de sens, sans mythe ni grand récit qui vienne le rattacher à lui-même, et soumis à l’interdiction de le réenchanter … ‘L’évacuation de la transcendance, l’erreur la plus colossale de l’histoire’. » (Jean-François Mattéi – citant Jean-Luc Nancy et Hans Jonas)

 « Le silence des anciens absolus, l’effacement de la transcendance et la perte de tout repère ont abouti au nihilisme de l’époque postmoderne où tout se vaut parce que rien ne vaut rien. Les Anciens voyaient dans l‘éternel retour le signe de la régénération du temps ; les Chrétiens attendaient la parousie qui dévoilerait la fin de la création. Privé d’éternité comme d’histoire, le temps des grands récits aboli, le monde contemporain se meut dans un temps vide qui ne mène nulle part ailleurs qu’au relativisme généralisé … Privés de retour éternel aussi bien que d’éternité, les Modernes se meuvent dans un temps vide et chaotique qui vient de nulle part et ne mène nulle part … C’est lorsque  l’orientation se perd puis se désagrège au profit de directions multiples que la notion de sens disparaît … L’hypothèse nietzschéenne amplifiée par Heidegger qui voit dans notre temps, l’époque de la compète absence de sens. » (Jean-François Mattéi – La crise du sens) – Et depuis Nietzsche et Heidegger !

« Qui cherchera le sens des choses ? On ne veut plus qu’en être ému. » (Charles Maurras – qui s’interrogeait déjà à une époque où l’émotion n’était pas encore divinisée)

« L’artificialité domine car rien n’a de sens dans le grand provisoire environnant.» (Thomas Molnar)

« …Plus on regarde, moins il y a à voir. L’arbre ne cache plus aucune forêt… » (Philippe Muray)

« On ne cesse de répéter que notre époque manque de sens, et qu’elle est en quête de sens. Ce diagnostic n’est peut-être pas le bon.  Nous avons perdu, en effet, le ‘sens’ que les religions et les philosophies proposaient comme une ‘vision du monde’, avec ses valeurs et ses buts. Cette époque est révolue … Il nous reste à découvrir comment le ‘monde lui-même’, en tant que l’espace de nos existences, et selon la dimension mondiale qui devient la sienne, ‘est le sens’. Mais on ne peut le reconnaître comme tel qu’à la condition de reconnaître aussi qu’il n’y a pas à s’approprier ce sens comme une signification. Le sens de l’existence, c’est précisément qu’elle ne puisse pas maîtriser son sens. Ce qui, après tout, a peut-être été le savoir fondamental de toute philosophie. » (Jean-Luc Nancy – Le sens du monde)

« Une ‘mondialisation’ qui ne laisse plus de ‘dehors’, et par conséquent plus de ‘dedans’, ni sur cette terre, ni hors d’elle, ni dans cet univers, ni hors de lui, par rapport à quoi un sens pourrait se déterminer. Or il n’y a de sens que dans un rapport à quelque ‘dehors’ ou ‘ailleurs’ à quoi le sens consiste à se rapporter. Il n’y a plus ce ‘à’ du sens : ce ‘à’ du renvoi signifiant ou de l’envoi directionnel, index d’une idéalité finale et/ou référentielle… » (Jean-Luc Nancy – Le sens du monde)

« Tant que le monde était essentiellement en rapport avec de l’autre (avec un autre monde ou avec l’auteur du monde), il pouvait avoir un sens. Mais la fin du monde, c’est qu’il n’y a plus ce rapport essentiel, et qu’il n’y a plus essentiellement (c’est-à-dire existentiellement) que le monde ‘lui-même’. Alors, le monde ‘n’a plus’ de sens, mais il ‘est’ le sens. » (Jean-Luc Nancy – Le sens du monde)

« Le sens n’est jamais donné ni disponible, il s’agit de se rendre disponible pour lui, et cette disponibilité se nomme liberté. » (Jean-Luc Nancy – commentant Hegel)

« Il n’y a pas de sens pour un seul, disait Bataille. Ce qui fait sens, c’est ce qui ne cesse de circuler et de s’échanger, comme la monnaie, mais une monnaie qui aurait une valeur incommensurable à aucune équivalence. Le sens est partagé ou il n’est pas … Le sens unique est toujours unilatéral et ne fait plus de sens par cette raison même. » (Jean-Luc Nancy)

« La ‘fin des idéologies’, c’est tout au moins la fin du sens promis ou la fin de la promesse du sens comme visée, fin et accomplissement. » (Jean-Luc Nancy)

« Nous n’avons plus de sens parce que nous sommes nous-même le sens, entièrement, sans réserve, infiniment, sans autre sens que ‘nous’. » (Jean-Luc Nancy – Être singulier pluriel)

« Heidegger posant l’être-avec comme constitutif de l’être-là … ‘L’avec’, trait essentiel de l’être … Penser absolument et sans réserve à partir de ‘l’avec, en tant que propriété d’essence d’un être qui n’est que l’un avec l’autre’ … Que l’être, absolument, est ‘être-avec’, voilà ce qu’il nous faut penser. ‘Avec’ est le premier tarit de l’être.. ‘Être–avec’, c’est faire sens mutuellement, et seulement ainsi … Il n’y a de sens qu’en raison d’un ‘soi’, en quelque manière … Mais il n’y a de soi qu’en raison d’un ‘avec’, qui, en vérité, le structure. » (Jean-Luc Nancy – Être singulier pluriel

« N’importe quel sens vaut mieux que pas de sens du tout. » (Nietzsche)

« Pour l’audience, les passions tristes font merveille : l’insulte et le sarcasme, l’injure et l’invective, l’outrage et l’offense, la raillerie et l’affront, la vexation et l’humiliation suffisent ; pour l’intelligence et le débat, la raison et la pensée, la réflexion et la discussion, il y avait, jadis, les mots et leur sens enseignés … Plus besoin de signifiants clairs avec des signifiés précis quand triomphe partout le désir de faire de l’audience. » (Michel Onfray)

« Plus l’individu s’érige comme sens unique du monde et plus le monde s’appauvrit et s’étiole dans le non-sens. » (Paul-François Paoli – évoquant la position de Michel Houellebecq)

« Le sens est ce sur le fondement de quoi quelque chose devient compréhensible. » (Jan Patocka – s’inspirant de Heidegger)

« Pour être un sens effectif, tout sens singulier présuppose un sens total et absolu, mais aucun sens relatif et partiel ne pourra donner sens au tout, car le sens particulier peut s’accorder avec le non-sens ou en être le produit : seule une teneur de sens totale peut empêcher tout le singulier de se noyer dans le non-sens … L’homme ne peut pas vivre sans sens, sans un sens total et absolu. » (Jan Patocka –reprenant une réflexion de Weischedel sur les degrés du sensé)

« L’injection de sens est une entreprise éminemment humaine, peut-être la plus humaine qui soit. L’être humain doit être introduit dans l’univers, et cette introduction passe par l’institution d’un sens qui doit d’abord lui être livré par ceux qui l’ont précédé, avant qu’il ne soit en âge d’y travailler lui-même et d’additionner son œuvre à l’édifice collectif. J’insiste encore : la demande instinctive de sens qui est inscrite en nous n’a rien d’un couronnement dispensable ; elle n’est pas au faîte d’une quelconque pyramide des désirs, elle est à la base, à côté du boire et du manger. Nous avons besoin de sens comme nous avons besoin de pain. Nos âmes aussi ont leurs estomacs ; partant, comment ne pas comprendre qu’elles ont aussi leurs famines ? » (Sylvain Quennehen) – Avec le monde moderne, exit le sens.

« La science, en effet, ne secrète aucun sens : tout son objet, au contraire, consiste précisément à en reculer l’origine vers des amonts toujours plus lointains. Le sens requiert un dessein, une volonté, une aspiration ; la science ne chérit que les causalités implacables et aveugles, à l’indifférence inhumaine … Bientôt, la ‘pensée calculante’, pour parler comme Heidegger, finit par avoir raison de toute ‘ pensée méditante’.  Alors, comme le notait avec justesse Spengler, en 1931, dans ’L’homme et la technique’ : ‘On ne pense plus qu’en chevaux-vapeur. On ne regarde plus de chute d’eau sans vouloir la transformer en électricité ; on ne regarde plus d’enclos de troupeaux qui paissent sans penser à l’exploitation de leur stock de viande’.  Bref, on ne croit plus qu’aux seules vertus de la logique et du nombre. » (Sylvain Quennehen)

« Notre société ne propose aucun sens à l’existence humaine ? Et alors, c’est à chacun,  individuellement, de le trouver. Mais c’est faux. Le sens n’est pas une affaire personnelle. Un sens qui ne vaudrait que pour soi n’en est pas un. Voilà pourquoi on ne peut prendre son parti du non sens général. A s’en accommoder on prépare une nouvelle crise auprès de laquelle les précédentes feront figure de plaisanterie … C’est de l’entreprise scientifique que l’existence attend son sens. Malheureusement elle attend en vain : ‘Dans la détresse de notre vie, cette science n’a rien à nous dire’. » (Olivier Rey) – Les supporters de football grotesques, hurlants et avinés ne le savent pas, mais ils cherchent un sens. Là où ils sont sûrs de ne pas en trouver !

« Naguère les gens du milieu usaient d’un jargon pour cacher le sens de leurs paroles. Mille gens de l’esprit, au contraire, usent d’un jargon pour prêter du sens aux leurs. » (Louis Scutenaire)

« Rien ne donne plus de sens que de changer de sens. » (Michel Serres)

« Weber pour qui la technique s’oppose au sens … La technique est devenue notre milieu de vie. La société ne se définit plus par des fins ni même par des objets, mais par des moyens. Simplifier, réduire, opérer, instrumenter, réordonner pour s’adapter aux changements qu’elle produit, telles sont les actions principales de la technique. Le système technicien n’entraîne aucun contenu ; il est pourtant déterminant, car il donne la forme unifiée des comportements et des structures. Il est la puissance même …  Baudrillard qui montre que la communion de chair et de sang a dégénéré en communication par échange de signes. » (Lucien Sfez)

« Sens et communauté se conjuguent dans le sens commun. Et cette conjugaison est l’œuvre commune de la mise en commun. » (Lucien Sfez)

« A l’homme seul il est donné, face à la nature,  de lier et délier les choses. » (Georg Simmel – Le pont et la porte)

« Seule la certitude que la vie n’a aucun sens permet à chaque individu, à la faveur d’une angoissante souveraineté, de donner à cette vie le sens qu’il veut. » (Martin Steffens) – C’est-à-dire aucun.

« Heureusement, la vie n’a pas de sens, parce que si elle en avait, il serait le même pour tout le monde et nous n’aurions plus de liberté ! » (Andreï Tarkovski) –« Dégagée de la réponse forcée que donnait la religion, cette reconnaissance d’une absence de sens laisse au sujet la tâche ardue de devoir se l’inventer. » (Jean-Pierre Lebrun) 

« La perte de sens liée à la disparition des horizons moraux. » (Charles Taylor) – Conséquence de la postmodernité.

 « Un cadre de référence comprend un certain nombre de distinctions qualitatives déterminantes. Penser, sentir, juger à l’intérieur d’un tel cadre, c’est agir avec l’idée que certaines actions, certains modes de vie ou certains sentiments sont incomparablement supérieurs à d’autres  (l’éthique de l’honneur, l’aura de renommée, de gloire…la vie supérieure gouvernée par la raison et le contrôle de soi…) … Agir à l’intérieur d’un cadre, c’est se comporter suivant le ‘sens’ d’une distinction qualitative … Les cadres de référence, ‘l’horizon’, (mon identité) sont devenus problématiques. Le cadre de référence, fait indiscuté,  partagé par tous … ce en vertu de quoi nous donnons un sens à nos vies d’un point de vue spirituel, le sens de la vie … Nous appréhendons un vide terrifiant, une sorte de vertige, voire une rupture de notre univers … La prédominance du vide existentiel définit peut-être notre époque … Nous doutons autant de la valeur de l’héroïsme (pour simplifier et résumer les activités dites supérieures valorisées jadis) que de la valeur des buts de la ‘vie ordinaire’, la vie de production et de reproduction, mise en valeur aujourd’hui … Afin de donner un sens minimal à nos vies, nous avons besoin d’une orientation vers le bien, donc d’un certain sens des discriminations qualitatives … On peut combler l’aspiration à la plénitude en inscrivant quelque chose dans sa vie, un modèle d’action supérieure, une signification, en la rattachant à quelque réalité ou récit plus élevé. » (Religion, Progrès de l’humanité, Révolution à venir, édification d’un monde pacifique, maintien de la culture…. » (Charles Taylor) – Ou, en finale, plus prosaïquement : rigueur en tout, soin affectueux de ses proches, bienveillance générale…

« La signification n’a rien d’immanente au réel, elle suppose un effort vers elle, elle est effort d’institution, de création ou encore selon la forte formule de Merleau-Ponty ‘L’Être est ce qui exige de nous création pour que nous en ayons l’expérience.’ » (Frédéric Tellier)

« Plus l’unité se désagrège, plus on multiplie les signes vides de signification. » (Gustave Thibon) – Agitation, fébrilité, discours et promesses aussi creux qu’innombrables.

« L’étrange impression de la monotonie de la nouveauté éteint en nous le goût et jusqu’au besoin du sens. » (Paul Valéry)

« Ce que je pense gêne ce que je vois, et réciproquement. » « (Paul Valéry)

« L’idéologie, l’information, la culture tendent de plus en plus à perdre leur contenu pour devenir du quantitatif pur. » (Raoul Vaneigem)

« Disparition du sens … Le monde se pense en termes de solutions et non plus de réponses. On s’en aperçoit quand, par exemple, on se trouve coincé dans un univers entièrement automatisé (où seules des voix métalliques vous répondent tournant en boucle sur elles-mêmes). Il se pense en termes de pouvoir et non plus de langage … Ce tournant est intervenu avec les Lumières. » (Bertrand Vergely)

« Quand une croyance et un sens sont une croyance et un sens, ils contraignent. Quand ils ne contraignent pas, ils ne sont ni une croyance ni un sens. Ils sont n’importe quoi. … La vraie croyance est ce à quoi on ne peut échapper. La vraie croyance est une incroyance dans l’incroyance. » (Bertrand Vergely)

« Dépasser ce qui mine la culture moderne … La technique pour la technique et l’individu pour l’individu étant devenus les nouveaux sens d’un monde dépourvu de sens … Conjonction des   héritiers des Lumières et des héritiers des Romantiques, plaire  au pouvoir technologique et plaire au pouvoir individualiste. » (Bertrand Vergely – interprétant Ernst Cassirer)

 « Une culture tombe malade à chaque fois qu’elle se laisse envahir par un processus de désymbolisation. A chaque fois que, renonçant au sens, à la pensée, à l’intériorité, elle se précipite hors de la pensée, dans la technique ou le mythe, soit dans un rapport de violence ou de fusion avec le monde. Une culture, en revanche, guérit à chaque fois qu’elle rentre dans un processus de symbolisation en s’efforçant de faire vivre un sens, à travers une parole, une œuvre, un concept ou une expérience intérieure … Le risque d’une approche métaphysique, c’est d’oublier l’homme. Le risque d’une approche humaniste, c’est d’oublier l’être … La profondeur qui consiste à ne pas chercher à savoir, mais à vivre avant de savoir … C’est la vie vécue de l’intérieur qui fait jaillir du sens et non un sens donné en soi de l’extérieur qui crée sa direction propre … La peur, la bassesse veulent toujours savoir avant d’aimer … Osons vivre, osons vouloir, et tout aura du sens … A-t-on la connaissance d’une chose parce qu’on en a l’idée ? Ne connaît-on pas une chose quand, justement, on n’en a pas simplement l’idée mais l’expérience ? L’idée d’un grand vin de Bordeaux remplacera-t-elle le fait de l’avoir goûté ? … La dimension pratique des choses et, par là, le rôle clé de la volonté … le sujet étant davantage un sujet constituant qu’un sujet constitué (position de Kant) … L’être cherchant à être plutôt que d’attendre d’être visité par l’être, protection contre la tentation d’attendre un quelconque miracle, un hasardeux destin, un improbable sauveur (totalitarisme) … Au lieu d’être englué dans la présence captivante des choses, l’homme a conquis la possibilité de mettre celles-ci à distance grâce au symbole qui permet d’ouvrir tel signe, telle image sur une autre signe, une autre image, afin de donner à voir au-delà des choses …Le sens fait sens dès lors que l’on se saisit de soi afin de faire quelque chose de soi  … Le dire ‘je’ qui s’oppose au sujet en le dépassant … Renverser le rapport théorie-pratique en plaçant la pratique au-dessus de la théorie et non la théorie au-dessus de la pratique. Notre règle intérieure doit régler notre savoir. »   (Bertrand Vergely – interprétant Ernst Cassirer)

« Réalité de premier ordre : propriétés des objets recueillis par l’observation ou l’expérience … Réalité de second ordre : le cadre dans lequel les faits reçoivent une signification ou une valeur … Attribuer un sens, une signification, c’est construire une réalité particulière. » (Paul Watzlawick) – Constructivisme d’une réalité subjective et relative.

« Un sens que l’on se donne à soi-même n’a pas de sens. » (? – à propos des vocations)

« Pour la première fois une civilisation ne connaît pas sa raison d’être. » (?)

« La consommation organisée de l’insignifiance. » (?)

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