650,3 – Monastères

– Qu’ils soient chrétiens ou bouddhistes, ils entretiennent la civilisation : le calme, la concentration, la vie en communauté et l’unité avec soi-même… Une religion sans lieux tels que les monastères est privée de poumons.

– Toute communauté, fût-elle laïque, doit préserver des lieux autres, des abris.

– On a oublié que c’était grâce à eux que l’Europe a construit son unité et s’est recivilisée au milieu de l’anarchie causée par les invasions barbares, que ce sont eux qui ont défriché les marécages, conservé et transmis la culture antique, formé les élites d’alors, constitué et distribué leurs réserves en période de famine, abrité les proscrits…  « Des oasis qui ont assuré la continuité de la civilisation. » (Arthur Koestler)

« Si le monastère de Saint-Gal avait été brulé, les Lombards sont passés tout à côté, je crois que les trois quarts de nos grands textes classiques n’existeraient pas. Dans le ‘scriptorium’ d’un seul grand monastère, les textes ont survécu. » (George Steiner) – Cela ne priverait guère nos modernes barbares, nos animateurs, animatrices, de télévision entre autres.

– Les quatre piliers de la vie monastique (comme de toute vie d’ailleurs) selon la règle de saint Benoît : la dimension liturgique (cérémonielle, rituelle, festive…), la dimension travail (accomplissement de soi et participation au  monde), la dimension sociale (l’Autre, communautaire, accueil…), la dimension personnelle (lectio divina ou étude personnelle).

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« Le moine peut devenir la figure imaginaire, mais avec une trop réelle influence, de cette vie donnée à Dieu qui est un refus, une persécution absolue de ce que nous sommes. … entraînant le discrédit de toute autre forme d’existence, condamnant, au moins comme faiblesse, tout ce qui paraîtra sexualité ou affirmation de soi » (père Maurice Bellet) – Sur un mysticisme exacerbé et trompeur. Retenons dans la pensée de l’auteur : figure imaginaire.

« Les monastères, quand il faut sauver les meubles des civilisations en ruine. » (Emmanuel Berl) – Allusion transparente à leur rôle après l’effondrement de l’Empire romain et au moins jusqu’à la Renaissance.

« Le socialisme démocratique, sans culte de la personnalité. Le régime d’assemblée, à plusieurs tours, bulletin secret et dépouillement public, a précédé de six siècles, dans les monastères, la ‘Magna carta’ (1215) … ‘Chaque fois que des choses importantes doivent se traiter dans le monastère, l’abbé convoquera toute la communauté, et dira lui-même de quoi il s’agit. Puis il écoutera le conseil des frères…’ (règle de saint Benoît). Le chapitre général délibère et vote. La plupart des supérieurs ont un mandat électif de durée limitée … Secouer nos chaînes génétiques ? Ici, on abandonne en entrant son nom de famille. Obligation de célibat. Pas d’héritage, pas de progéniture. Carnet d‘adresses inutile. Père adoptif. Cet engendrement sans spermatozoïdes, c’est l’anticaste … Le primat du sol sur le sang ? Le bénédictin ou le chartreux s’assignent une fois pour toutes leur monastère ou leur abbaye (on entre dans tel monastère). » (Régis Debray) 

« En te retirant dans un monastère pour faire ton salut tu désertes la cause fraternelle de l’humanité – Mais qui sert le plus la fraternité ? Car l’isolement est de leur côté, non du nôtre, et ils ne le remarquent pas. C’est de notre milieu que sortirent jadis les hommes d’action du peuple. » (Dostoïevski – Entretiens du starets Zosime)

« Le rassemblement des morceaux éparpillés de l’existence, la ‘défragmentation’ … Succession des alternances naturelles … la journée monastique instaure un cycle qui s’articule à celui du jour et de la nuit, prend en compte les nécessités du corps et celles de l’âme … La stabilité (à l’opposé de tous les choix mondains) … Comme des lueurs éparses dans l’obscurité, les monastères sont autant de points de repère, de lieux d’extraterritorialité. ‘Terrae incognitae’ pour le plus grand nombre, ils sont le feu et le lieu d’un monde sans feu ni lieu. » (Nathanaël Dupré La Tour)

« Nous ne saurions pratiquement rien des Grecs et des Romains sans les patients copistes et les  collectionneurs de manuscrits des monastères et des évêchés. Dire que l’on proclame le caractère obscurantiste et fanatique du Moyen Âge ! Si peu obscurantiste qu’on se préoccupait du legs intellectuel des sociétés passées, si peu fanatique, que l’on recopiait tous les manuscrits païens, y compris les plus scandaleux au point de vue de la foi et des mœurs. » (Jacques Ellul)

« De même, tous les désastres, et les drames, et les erreurs et les injustices du Moyen Âge, c’est au travers de textes établis par des chrétiens que nous les connaissons. » (Jacques Ellul) – La chrétienté médiévale ne pratiquait pas le lamentable politiquement correct.

« Le grand centre de civilisation du haut Moyen Age c’est le monastère, et  de plus en plus le monastère rural ; conservatoire des techniques artisanales et artistiques avec ses ateliers, mainteneur de culture intellectuelle avec son scriptorium-bibliothèque, centre de production avec ses domaines, son outillage et sa main d’œuvre de moines et de dépendants de toute sorte. » (Jacques Le Goff)

« Dans son existence même … le moine est le témoin de la vision d’un univers qui garde, en dépit de toutes les apparences, l’ordre et l’harmonie que révèlent ses origines. » (père Jean Honoré)

« Les ordres contemplatifs sont les paratonnerres de la société. » (Joris-Karl Huysmans)

« L’inégalable génie dont est douée l’Eglise : elle est arrivée à faire vivre, côte à côte, sans qu’elles s’assassinent, des ruches de femmes qui obéissent, sans regimber, aux volontés d’une autre femme ; ça c’est inouï ! » (Joris–Karl Huysmans – En route)

« Le couvent, expulsé du genre utopique, y fait sa rentrée par une porte dérobée … Son architecture est volontaire, géométrique et rationnelle … Il coupe les ponts avec le monde (forêt, montagne, mer ou désert) … Vie en autarcie avec le moindre contact avec les poussières du monde extérieur … Les moines règlent l’épineuse question de la famille (objet de l’acharnement d’un Platon) en ne la posant pas (célibat) … Réactualisation permanente du passé par la répétition du discours primordial ; sans innovations … Effacement du nom personnel, opération alchimique, transmutation, remplacement de l’individu par le type … Obéissance, choix de la liberté contre l’égalité … Moderne, il l’est d’avoir permis à une civilisation pantelante de transiter jusqu’à l’embellie, réseau dessinant une  chaîne de frontière contre l’avancée barbare …. Mais il est nostalgie par sa crainte de l’innovation (saint Bernard s’élevant contre les nouveaux moulins ouvrant le couvent sur l’extérieur) … La règle entend organiser le mouvement perpétuel qui est abolition du mouvement … La réforme : outil de combat contre la dégradation, réparation perpétuelle des avaries causées par l’histoire. » (Gilles Lapouge – sur les traits communs entre cités utopiques et monastères)

« Les historiens … ont bien montré que le système démocratique, par exemple, fleuron à juste titre vanté de la modernité, fut élaboré, testé et conforté dans les innombrables couvents du Moyen Âge, qui en la matière, comme en bien d’autres sujets, furent les conservatoires de ce qui devait éclore quelques siècles plus tard dans toute l’Europe. » (Michel Maffesoli)

« Les monastères sont sans doute les lieux où Dieu a le plus de travail. La plupart des frères viennent ici pour se convertir.  Les règles monastiques cherchent d’abord à préserver l’homme contre lui-même. Là où des hommes veulent tout donner, le risque de dérapage est accru. » (un moine – cité par Hélie de Saint Marc)

« La vie monastique est à ses yeux (Luther) entièrement dépourvue de valeur en tant que moyen de se justifier devant Dieu, mais encore elle soustrait l’homme aux devoirs de ce monde … A l’opposé, l’accomplissement dans le monde de la besogne professionnelle est pour lui l’expression extérieure de l’amour du prochain … L’accomplissement des devoirs temporels, et lui seul, est la volonté de Dieu. » (Max Weber L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme)  

« Les individus les plus valeureux du point de vue religieux se retiraient du monde pour constituer une communauté distincte. Ce phénomène n’est pas particulier au christianisme … Le moine est le premier homme à mener, à cette époque, une vie rationnelle, le premier homme à tendre, méthodiquement, avec des moyens rationnels, vers un but, l’au-delà … L’économie en vertu de laquelle étaient gérées les communautés monacales était l’économie rationnelle par excellence … Les moines donnèrent au premier Moyen Âge une partie de ses fonctionnaires. » (Max Weber)

« Quand le puritanisme transforma le monde en un immense monastère. » (Max Weber) – La vie monacale est faite pour des individus d’élite, se situant à  une certaine distance du monde, pas pour être étendue (aussi sournoisement que forcément hypocritement) à l’ensemble de la société.

« C’était un monde vieux, décadent et moribond dans lequel avait été plongé le christianisme. L’état social était submergé par une corruption millénaire ; il durait, moins par un principe d’unité que par la volonté de puissance et la persistance de l’habitude. L’absence de confiance conduisait au découragement, à l’abandon et à l’égoïsme. La société se laissait gagner par l’inanition, qui la rendait fiévreuse tout autant que fragile. Assez forte pourtant pour séduire et pour corrompre. Mais dépourvue de toute résistance pour combattre ses propres démons. Le seul moyen de survivre était de renoncer à la règle e au devoir, de prendre les choses comme elles venaient, de faire ce qui se faisait … Benoît avait trouvé le monde physique et social en ruines. Sa mission fut de le rétablir, non par le moyen de la science mais de la nature. Non en se donnant un projet à réaliser. Ni en proclamant ce qu’il fallait faire, soit tout d’un coup, soit par une succession d’efforts. Mais d’une façon si paisible, patiente et progressive que souvent, jusqu’à ce que l’entreprise fut achevée on n’en avait pas idée. Ce fut une restauration, plus qu’une intervention, une réforme ou un changement. Le monde nouveau que Benoît contribua à créer fut une contagion plus qu’une organisation. » (? ou Père Hans Urs von Balthasar – sur saint Benoît de Nursie, fondateur de l’ordre bénédictin et peut-être sauveur d’une civilisation, ou plutôt créateur d’une autre qui allait succéder au désastre) – Description d’un monde fini qui pourrait évoquer quelque chose à nos contemporains.

« En un temps d’écroulement où les vagues répétées de l’invasion barbare dissolvaient progressivement tous les centres nerveux de la civilisation moderne (le terrible V° siècle), saint Benoît instituait de petites cellules autonomes qui, de fait, constitueraient au cours des âges à venir, autant de foyers rayonnants de vie économique, intellectuelle et spirituelle. C’est autour de tels points de ralliement que la nébuleuse primitive du monde instable issu des invasions s’organisa progressivement en une civilisation originale : la chrétienté médiévale. » (?) – D’où sera issue la Renaissance, les Lumières, la modernité…

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