290,5 – Individualisme / Collectif (holisme) ; Particulier / Universel ; Uniforme, Commun

– Le je et le nous.

– Etymologie du mot individu : Qui ne peut pas se partager. Tout est dit.

– En fait, le terme individualisme s’oppose au terme socialisme (dérivé de socialité), en tout cas ce dernier a été créé (par Pierre Leroux au XIX° siècle) explicitement en opposition au premier. L’opposition formelle des deux termes n’a plus grand sens depuis que les tenants du socialisme ont trahi toute valeur collective.

– Mais, plus anciennement, il trouve quelque origine dans la querelle du Moyen-Äge dite des Universaux, et antérieurement dans ce que nous interprétons de Platon d’une part et d’Aristote d’autre part : les Universaux, accordant réalité, existence en soi, aux concepts, aux idées, au genre, aux espèces, aux catégories ou classes, aux relations, aux ensembles, aux noms communs (l’animal, l’homme…) ou relationnels (la paternité, la citoyenneté….), à des entités indépendantes présentes dans les individus et leur étant communes, à une essence commune cachée derrière les apparences et qui demeure identique dans ses diverses réalisations ; la science ne peut que rejeter l’accidentel pour pénétrer jusqu’à l’essence des choses. Le Nominalisme (tendance plutôt matérialiste), ne voyant là aucune réalité hors de l’esprit qui les conçoit, que de simples concepts, des catégories abstraites construites pour mettre un peu d’ordre dans les objets de connaissance et ne voulant connaître que des pièces, des individus, au sens large, les êtres singuliers étant seuls réels, que seul le particulier pouvait être connu. L’individualisme contemporain marque le triomphe du Nominalisme, soit l’esquive des catégories abstraites (du type par exemple ‘Classe ouvrière’,  ‘Parti’, ‘Peuple’, ‘Humanité’, ‘Race’, ‘Marché’…), la reconnaissance de la diversité comme fondement, c’est-à-dire la négation de toute entité de degré supérieur au pur élément atomiste (ou atomisé ?), le triomphe du particulier sur le général, de l’individu, ou plutôt de la personne, sur l’être humain. Cette religion du particulier et ce mépris de l’universel, aurait dit Julien Benda.

– Avec le nominalisme « le monde perdit son âme, c’est-à-dire l’Être-Un qui lui donnait cohérence et consistance. Il n’y avait plus que des étants déliés, désacralisés et touchables, sans défense ni interdits les protégeant, des hommes sans repères, abandonnés face à un monde dont seuls leurs sens témoignaient de l’existence. » (Miguel Benasayag)  – Et commença le grand vertige de la modernité.

« Si prétendre attacher une réalité substantielle à chaque genre ou terme générique constitue une exagération, on tombe dans un autre extrême en prétendant que toutes les idées abstraites universelles, confondues avec les idées générales, ne sont que de simples dénominations ou de purs signes. » (Maine de Biran).

– L’individualisme caractérise l’activité dans la sphère dite privée (par opposition à la sphère publique). Or, le sens original du terme privé est un sens privatif, privé de… « Vivre une vie entièrement privée, c’est avant tout être privé de choses essentielles à une vie véritablement humaine : être privé de la réalité qui provient de ce que l’on est vu et entendu par autrui … La privation tient à l’absence des autres, en ce qui les concerne l’homme privé n’apparaît point, c’est donc comme s’il n’existait pas … L’homme qui n’avait d’autre vie que privée, celui qui, esclave, n’avait pas droit au domaine public … n’était pas pleinement humain. » (Hannah Arendt). Chez les Grecs, et à Rome, seuls les citoyens libres avaient accès à la sphère publique, celle des affaires de la Cité et de la guerre, les esclaves, et en partie les femmes, étaient cantonnés à la sphère privée, domestique, celle du travail nécessaire.

– La valorisation de l’individualisme est directement issue de la philosophie dite des Lumières et érigée en pratique sociologique et politique par la Révolution française. La société capitaliste libérale qui en est issue trouve son atout maître et son meilleur soutien dans cette atomisation sociale.

– ‘Je suis’, le moi tout-puissant, ce nouveau dieu sur terre, ‘Je suis Charlie, Je suis Anelka…’ Il existe plusieurs formes de terreur. Le Moi en est une. L’Ego ne lâche rien. L’Ego t’emmerde. Il est sûr de son droit. Il est ‘Charlie’, il est ‘Anelka’… Il est… Le sens de ce qu’il fait, la justesse de ses actions, la finesse de ses vues, l’humour enfin comptent peu au regard du ‘Je suis’. Athées, croyants, qu’importe si l’Ego vaut Dieu. » (Harold Bernat)

« Dieu et le genre humain ont fondé leur cause sur rien, sur rien d’autre qu’eux-mêmes. Je fonderai donc également ma cause sur Moi-même, qui suis tout autant que Dieu le rien de tous les autres, qui suis Mon tout, qui suis l’Unique … Ma cause n’est ni le divin ni l’humain, ni le Vrai, ni le Bon, ni le Juste, ni le Libre etc…. mais seulement le ‘Mien’ ; elle n’est pas générale, mais ‘unique’, comme moi je suis unique. Pour Moi, il n’est rien au-dessus de Moi. »» (Max Stirner – L’unique et sa propriété

-« Seul ce qui nous dépasse peut nous unir. » (?)

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« Toute individuation est précaire, agnostique, et par conséquent source de mort. » (Raymond Abellio – Sol invictus)

« Le monde se passera à merveille de moi. » (Henri-Frédéric Amiel)

« Modestes sont ceux en qui le sentiment d’être d’abord des hommes l’emporte sur le sentiment d’être soi-même. Ils sont plus attentifs à leur ressemblance avec le commun qu’à leur différence et singularité .… Ne pas se soucier de l’effet que l’on fait. » (Christophe André)

« Le principe de l’individualisme libéral et bourgeois consiste dans l’expropriation de ce qui est commun. » (Hannah Arendt)

« C’est seulement au sein d’un peuple qu’un homme peut vivre en tant qu’homme parmi les hommes, s’il ne veut pas mourir d’épuisement. Et seul un peuple vivant en communauté avec d’autres peuples peut contribuer à établir sur la terre habitée par nous tous un monde des hommes créé et contrôlé en commun par nous tous. » (Hannah Arendt)

« L’intérêt c’est ce qui, se tenant entre les êtres, les rassemble mais aussi les empêche, pour ainsi dire, de tomber les uns sur les autres. Vivre ensemble dans le monde, c’est dire essentiellement qu’un monde d’objets se tient entre ceux qui l’ont en commun, comme une table est située entre ceux qui s’assoient autour d’elle ; le monde, comme tout entre-deux, relie et sépare en même temps les hommes … Le domaine public, monde commun, nous rassemble mais aussi nous empêche de tomber les uns sur les autres. Ce qui rend la société de masse si difficile à supporter, ce n’est pas … le nombre des gens ; c’est que le monde qui est entre eux n’a plus le pouvoir de les rassembler, de les relier, ni de les séparer … Etrange situation qui évoque une séance de spiritisme au cours de laquelle les adeptes … verraient leur table soudain disparaître, les personnes assises les unes en face des autres n’étant plus séparées, mais n’étant plus reliées non plus, par quoi que ce soit de tangible. » (Hannah Arendt) – Depuis l’assassinat de tout idéal, le seul lien, également séparateur, est le centre commercial, piètre relation, séparation…

« Avec la fin des croyances collectives et l’essor de l’individualisme, on n’appartient plus qu’à soi … Modifier son corps (tatouages, transformations, mutations, les deux sexes ne sont plus séparés que par un bloc opératoire…), réécrire son identité, sont devenus des droits fondamentaux … Le droit de devenir exactement celui que l’on désire être  … Notre contemporain préfère se consacrer à l’invention en continu de lui-même, par la réélaboration permanente de ses liens sociaux, professionnels, affectifs et sexuels. » (Claude Arnaud) – « Le fantasme de se créer soi-même ex nihilo après avoir fait table rase du passé est d’abord une entreprise nihiliste qui balaie ce qui fait barrage à la barbarie. » (Pierre-André Taguieff)

« C’est dans et par l’action, et par l’action seulement, que se constitue le ‘nous’, chaque conscience vivant le même projet, visant le même objet. ‘Tous à la Bastille’ remplace ‘chacun son tour’ … La queue des voyageurs qui attendent l’autobus nous offre les caractères de la série : l’unité vient du dehors, par la matérialité, la structure moléculaire (ils sont ensemble et ils ne se voient pas), la rareté (tout le monde ne trouvera pas sa place), la sélection … Les voyageurs, les capitalistes, les consommateurs, les auditeurs de la radio, s’ils participent ensemble au spectacle,  n’ont pas de projet commun. Chacun a  le même projet, mais un projet individuel : monter dans le même autobus … acheter la même marchandise … écouter la même voix … Ils rassemblent sans unir, laissant chacun à son projet, à sa solitude … En revanche la foule qui prend d’assaut la Bastille accomplit pleinement le rassemblement antithétique de la série : le groupe … Elle tend au même but, vibre des mêmes émotions, agit d’un même cœur … L’équipe nous offre, après le groupe en fusion, un deuxième exemple d’action commune … Dichotomie série-groupe, opposition entre rassemblement inerte occasionnel d’individus qui n’ont rien à faire ensemble et qui constitue à peine un collectif et foule en action. » (Raymond Aron –Histoire et dialectique de la violence – distinguant  les rassemblements inertes et les groupe en fusion)

« Dès lors que chacun assume sa spécificité sociale, se donne pour projet d’accomplir l’idée ou l’idéologie de son collectif, les relations entre les collectifs tendent à se substituer aux relations entre personnes, ou, si l’on veut, les relations entre personnes subissent à chaque instant l’influence déformante des représentations que les membres de chaque collectif ont de l’autre. Pierre ne communique plus avec Paul, mais Pierre, conscient de sa bourgeoisie, communique avec Paul en qui il voit un ouvrier face auquel il éprouve un sentiment de gêne, de culpabilité, de supériorité …Telle apparaît la tragi-comédie sociale, l’enfer créé par les collectifs, insinués en chaque conscience, cristallisés en stéréotypes ou préjugés en fonction desquels les individus jugent et agissent … Transfigurant en projet essentiel ou en esprit de classe telle nuance de l’attitude vers laquelle inclinent nombre des membres du collectif. » (Raymond Aron)

« Les êtres individuels n’auraient d’existence que par la relation qui les unit. L’individu ne serait ainsi que l’entrecroisement nécessaire et variable d’un ensemble de relations. » (Marc Augé – se référant à l’étude de sociétés africaines  et de leur appareil rituel lignager,) – Mais, extrapolable dans une certaine mesure ?

« La télé, l’ordinateur, les écouteurs, les baladeurs et le téléphone portable sont les instruments chaque jour plus élaborés de cette expulsion intime de soi qui caractérise l’individualité contemporaine. » (Marc Augé)

« Ce qui n’est pas utile à la ruche n’est pas non plus utile à l’abeille. » (Marc-Aurèle)

« L’alliance admet difficilement le sacrifice de la moindre partie de soi … L’union de deux personnes qui se considèrent moins comme les moitiés d’une belle unité que comme deux ensembles autonomes a succédé à a notion transcendante du couple … L’Autre a un prix à ne pas dépasser. Il est désiré s’il enrichit notre être, rejeté s’il lui demande des sacrifices … Le Moi est devenu notre bien le plus précieux, il devient notre préoccupation centrale  … Jadis il fallait à tout prix donner le sentiment que l’Autre était plus important que le Moi … Le stoïcisme n’est plus de ce monde, la nécessité n’est plus vertu … Un manquement prolongé à la règle de réciprocité est toujours vécu, en fin de ‘compte’, comme une injustice, une preuve d’indifférence ou un manque de considération. » (Elisabeth Badinter – L’Un est l’Autre – considérations éparses sur le couple)

« Un individu réduit à l’exclusivité de ses ressources propres, à la subjectivité pure, dont le seul contenu est procuré par les pulsions et les stimuli-réactions d’un animal dégradé et réduit à l’élémentaire … Ses tentatives de connaître aboutissent forcément à l’erreur. Quand il crée son seul critère de jugement et d’appréciation étant sa fantaisie incontrôlée, ses œuvres ont toutes chances de ne servir à rien, de n’intéresser personne et d’exercer des nuisances. Ses actions sont condamnées à l’échec. » (Jean Baechler – sur le ‘Je’ idiosyncrasique ou l’individualiste forcené)

« Le moi doit entreprendre un long exercice de réappropriation de soi et de découverte de son unicité, il doit s’extraire de la gangue des idées générales et abstraites où tout concourt à l’enfermer. » (Normand Baillargeon – s’inspirant de Max Stirner et de Je suis l’Unique)

« La France n’est plus considérée que sous son aspect le plus fonctionnel : une plateforme, un ‘hub’ qui doit pouvoir accueillir au mieux les ‘flux’ humains et financiers. » (Erwin Barillot) –  « Pour faire du un à partir de plusieurs, il est bon qu’il y ait un peu de un au départ qui, s’il n’est pas cultivé, s’il se trouve même renié, ne se trouvera pas non plus à l’arrivée. » (Olivier Rey)

« S’il est constant qu’un esprit vigoureux, bien assuré de ses assises, peut se hausser de son étroite patrie, de son milieu et de sa race, pour atteindre à d’autres civilisations, on n’a constaté chez personne l’énergie de faire de l’unité avec des éléments dissemblables. » (Maurice Barrès – Les déracinés) – Justement sur le déracinement.

« J’ai renoncé à la solitude ; je me suis décidé à bâtir au milieu du siècle, parce qu’il y a un certain nombre d’appétits qui ne peuvent se satisfaire que dans la vie active. Dans la solitude, ils m’embarrassent comme de soudards sans emploi … parmi les hommes j’ai trouvé des joujoux à la partie basse de mon être ; afin qu’elle me laisse en paix …J’ai trouvé un joint qui me permet de supporter sans amertume que des parties de moi-même inclinent vers des choses vulgaires. Je me suis morcelé en un grand nombre d’âmes … Les unes vont à l’église, les autres au mauvais lieu. Je ne déteste pas que des parties de moi s’abaissent quelque fois … Qu’une d’elles compromette la sécurité du groupe et par ses excès … toutes se ruent sur la réfractaire. Après une courte lutte, elles l’ont vite maîtrisée … Le monde extérieur est repoussant mais presque inoffensif … avec  un peu d‘alcool, des viandes saignantes et de l’argent dans ses  poches … on peut supporter tous les contacts … Un danger bien plus grave, c’est, dans le monde intérieur, la stérilité et l’emballement … Je tiens en main mon âme pour qu’elle ne butte pas comme un vieux cheval qui sommeille en trottant, et je m’ingénie à lui procurer chaque jour de nouveaux frissons … Continuons à embellir et à agrandir notre être intime, tandis que nous roulerons parmi les tracas extérieurs. Soyons convaincus que les actes n’ont aucune importance, car ils ne signifient nullement l’âme qui les a ordonnés et ne valent que par l’interprétation qu’on leur donne. » (Maurice Barrès – Un homme libre, La règle de ma vie –  Dans la trilogie sur le Culte du Moi, avec Sous l’œil des barbares et Le Jardin de Bérénice)

 « Nous vivons dans une culture qui vise à reverser sur chacun de nous la responsabilité de sa propre vie. La responsabilité morale héritée de la tradition chrétienne s’est renforcée de tout l’appareil d’information et de communication moderne pour faire assumer à chacun la totalité de ses conditions de vie … Tout concourt à l’autarcie de la cellule individuelle. Or, ceci est une absurdité. Nul n’est censé supporter la responsabilité de sa propre vie. De plus, c’est une utopie sans fondement. Il faudrait que l’individu se transforme en esclave de son identité, de sa volonté, de sa responsabilité, de son désir. Il faudrait qu’il se mette à contrôler tous ses circuits, et tous les circuits du monde qui se croisent dans ses gênes, dans ses nerfs, dans ses pensées. Servitude inouïe. » ((Jean Baudrillard)

 « Du temps des Lumières, l’universalisation se faisait par le haut, selon un progrès ascendant, aujourd’hui elle se fait par le bas. C’est le triomphe de la pensée unique sur la pensée universelle. » (Jean Baudrilllard)

« Les autres cultures, elles, n’ont jamais prétendu à l’universel. Elles vivent de leur singularité, de leur exception, de l’irréductibilité de leurs rites, de leurs valeurs. Elles ne se bercent pas de l’illusion meurtrière de réconcilier tout cela. »  (Jean Baudrillard)

Un des aspects du délire d’accomplissement, c’est le passage à l’universel, qu’on prend communément pour un progrès, l’équivalent en extension de l’immortalité dans le temps. Or, cette extension équivaut à une dilution et à une exténuation des valeurs dans l’universel … Toute idée, toute culture s’universalise avant de disparaître. Comme pour les étoiles, leur dilatation maximale correspond à leur agonie … Le passage d’une valeur à l’universel prélude à sa transparence, qui prélude elle-même à son évanouissement. » (Jean Baudrillard)

« Le néo-individualisme, en mal de performance et d’héroïsme entrepreneurial, l’individualisme sportif, éventuellement néo-hédoniste, syncrétique et tribal, n’a rien à voir avec le héros de l’individualisme bourgeois. Héros de la subjectivité, de la rupture, du libre arbitre ou de la singularité radicale selon Stirner, celui-ci est bien mort … Le néo-individu est, le produit le plus pur de ‘l’otherdirectedness’ : une particule interactive, communicationnelle, en ‘feed-back’ perpétuel, branché sur le réseau et visant le podium … Converti à la religion sacrificielle de la performance, de l’efficacité, du stress et du timing, liturgie bien plus féroce que celle de la production … Exploitation totale de lui par lui-même, stade ultime de l’aliénation. » (Jean Baudrillard) – Le héros devenu l’esclave. Le solitaire devenu particule élémentaire, atome  d’un ensemble – « Privé d’une nécessité intérieure, pauvre en sentiments nourris par lui-même, entretenus par une tension qui lui soit propre. Trouvant ses raisons de vivre dans le regard des autres. » (Georges Friedmann)

«  La vie ordinaire est, en quelque sorte, le dernier refuge de l’universel … Elle implique le geste kantien d’acceptation de la finitude. » (Bruce Bégout – sur la décence ordinaire de George Orwell)

«  Les positions qui prétendent défendre un intérêt universel ne défendent qu’un intérêt particulier. » (Daniel Bell) – Position marxiste. 

« L’individu, ce personnage triste et ridicule qui prétend être responsable de ce qu’il a choisi et décidé, se scandalise à imaginer que sa vie ne puisse pas être tout entière le fruit de sa volonté consciente. » (Miguel Benasayag)

« Un sujet, séparé du monde, qui se veut au-delà des situations qu’il habite, sujet auto-extrait du monde, qui regarde et manipule le monde comme s’il s’agissait de son objet … L’individu de notre temps qui se prétend sans liens, sans traces, ‘libre’ de parcourir un monde qu’il prend pour un décor, peuplé d’humains qui ne sont que les figurants de son propre ‘’film’. » (Miguel Benasayag – La fragilité)

« Création de la modernité, l’autonomie du sujet social est perçue comme le symbole même de la liberté … Mais, loin d’être cette instance transhistorique et transculturelle, l’individu est une forme d’organisation sociale, il est le nom d’un projet économique, d’une vision du monde … Le seul roc qui surnage à la rupture historique que représente la fin du mythe du progrès, la seule valeur crédible de cette époque de crise, c’est l’individu … Entité radicalement séparée de tout, vierge de toute appartenance … ‘Avant moi, le flou, après moi le déluge’, telle est la devise de cet étrange personnage … Le rapport de ce personnage avec les lois du réel n’est plus de cohabitation ni de respect mais se présente sous la forme d’un défi qui limite son pouvoir … La liberté identifiée à la domination … Il n’y aurait que le vécu personnel qui tiendrait lieu de vérité … Ce personnage , ‘atome et pivot d’un système social et économique’ (Marx), qui se prétend sans foi ni loi … à la seule recherche de son propre bonheur et de son intérêt … Individu de l’attente et du manque dans nos sociétés structurées sur des principes négatifs de la peur de perdre (emploi, santé, biens, vie…). » (Miguel Benasayag)

« L’Occident croit farouchement à la supériorité et à l’autonomie de la tête, de la conscience, par rapport au reste du corps … La suprématie de la conscience correspond à l’histoire et au développement de la culture de l’individu … Le rationalisme occidental, sa méfiance envers le corps, son mépris de la pratique … sorte de virtualisation de la vie … vie dérisoire … Où nous sommes en train d’oublier la différence fondamentale qui existe entre la carte et le territoire … L’intellectualisation extrême de la vie nous a fait oublier une vérité de base : les corps pensent, la tête ne dirige pas le corps, elle fait partie du corps. Le pilote, le joueur de ping-pong, le saxophoniste … tous opèrent dans un mode de couplages entre parties extensives sans qu’intervienne aucune instance ou mécanisme représentationnel, ou s’ils le font, ce sera dans l’après-coup … Le corps formaté par la technique, par la société de l’utilitarisme est devenu pour nous ‘muet’ ; nous n’avons de lui que, pour ainsi dire, de mauvaises nouvelles. » (Miguel Benasayag – La fragilité)

« En substituant ‘l’inspiration’, c’est-à-dire l’opinion individuelle à l’autorité de la tradition incarnée dans l’Eglise, Luther a ouvert la voie. L’individualisme en matière de religion a abouti à l’individualisme en politique … La raison est tout entière sociale … Bonald tire une condamnation radicale de la raison individuelle. S’appuyer sur cette raison misérable pour  soumettre à une réflexion critique les traditions et croyances collectives, c’est s’attaquer aux bases même de la vérité et partir en guerre contre la société … La ‘conservation’, la persistance dans l’être est le fond et le but de toute existence. » (Philippe Benéton – reprenant Louis-Ambroise de Bonald)

« Dans la société moderne nul n’est notre prochain. » (Philippe Benéton)

« Les hommes sont semblables mais ils n’ont plus rien en commun sinon cette égale liberté pure et indéterminée ; ils n’ont plus rien de commun sinon le droit de n’avoir plus rien en commun … Pour que les hommes soient également et radicalement autonomes, il faut qu’ils n’aient rien en commun sinon cette liberté de n’avoir plus rien en commun. » (Philippe Bénéton)

« Toutes les parties de la chrétienté se signent dans ce cri de l’une d’elles : ‘Nous sommes d’abord vénitiens, ensuite chrétiens.’ Bientôt, au XVI° siècle, elles briseront en morceaux distincts l’autorité chrétienne suprême. Chaque prince d’un Etat protestant, a-t-on pu dire, devient un pape localisé. Au lieu de roi, on voit maintenant des roitelets ; l’universel est oublié, chacun ne pense plus qu’à soi. » (Julien Benda)

 « On ne parvient jamais à l’universel que par le truchement des enracinements particuliers (ce que Hegel appelait ‘l’universel concret’). » (Alain de Benoist) 

« Plus une société est homogène, plus ses membres sont portés à se faire mutuellement confiance, ce qui favorise les comportements d’altruisme et de coopération … De telles sociétés, cependant, constituent désormais l’exception plutôt que la règle, au moins dans le monde occidental. » (Alain de Benoist)  – Elles handicaperaient le développement du capitalisme mondialisé. 

« L’imaginaire est indispensable à la vie du groupe … La ‘conscience collective’ de Durkheim … L’imaginaire collectif est une réalité. Le groupe se structure par des représentations et des images communes … relatives à leurs origines ou à leur histoire. Que ces croyances renvoient à une réalité objective ou à une réalité  idéalisée ou à un ‘mythe’ n’a aucune importance. Il suffit qu’elles évoquent un moment fondateur … Le mythe est agissant, non bien qu’il ne soit qu’un mythe, mais au contraire parce qu’il en est un. » (Alain de Benoist) –Des sociétés, communautés. En général notions globales et plus ou moins abstraites : république, démocratie, patrie, identité… personnages ou événements fondateurs : Arminius, Vercingétorix, Clovis, Charles Martel, Jeanne d’Arc… ou Batailles de Poitiers, Bouvines, Valmy…

« Lorsque la personne ne veut rien reconnaître en dehors d’elle-même, elle se pulvérise pour ainsi dire et succombe à l’action envahissante des éléments inférieurs dont elle est devenue la proie. » (Nicolas Berdiaeff)

« On dirait qu’une catastrophe irréparable s’est abattue sur l’homme, qui l’a privé du sentiment de son humanité et qui l’a fait passer brusquement de l’auto-affirmation à l’auto-négation … A force d’être plongé en lui-même et de s’isoler de tout ce qui dépasse l’humain, l’homme en arrive à douter de sa puissance et à perdre toute confiance en ses forces. » (Nicolas Berdiaeff)

« Un homme qui n’est agrégé à aucun groupe a l’apparence d’un homme, mais non sa réalité. » (Emmanuel Berl)

« Le ‘Un’ est ce qui autorise le moins l’union. » (Maurice Blanchot)

« Un de ces hommes qui ont l’air d’être au ‘pluriel’, tant ils expriment l’ambiance, la collectivité, l’indivision. Il aurait pu dire, ‘Nous’, comme le pape… » (Léon Bloy)

« Les promesses implicites du collectivisme : y être délivré des solitudes de la vie intérieure et de la conscience de soi, à pouvoir jouir les uns des autres sans inhibitions ni verbalisations laborieuses, etc. » (Baudouin de Bodinat)

« En finir avec le supplice de l’individualité. » (Baudouin de Bodinat – ambition de l’homme moderne)

« L’œuvre d’une foule est partout et toujours inférieure à celle d’un individu isolé. » (Gustave Le Bon)

« Rapprocher les hommes n’est pas le plus sûr moyen de les unir. » (Louis- Ambroise de Bonald)

« Il faut que l’un’ se sépare de lui-même, se repousse, se condamne lui-même, qu’il s’abolisse au profit des autres pour se reconstituer dans leur unité avec lui. » (André Breton)

« L’époque est plutôt au fractionnement identitaire et à ses revendications, ce que certains nomment l’intersectionnalité par exemple. Au terme de cette logique, le croisement infini de nos spécificités identitaires finirait par nous laisser seuls à revendiquer des droits particuliers, tous persuadés de souffrir d’une forme de discrimination, renonçant pour cette raison à vivre ensemble sans ressentiment. » (Gérald Bronner – Déchéance de rationalité) – Où est passé l’Universel ?

« J’appelle innocence cette maladie de l’individualisme qui consiste à vouloir échapper aux conséquences de ses actes, cette tentative de jouir des bénéfices de la liberté sans souffrir aucun de ses inconvénients. Elle s’épanouit dans deux directions, l’infantilisme et la victimisation, deux manières de fuir la difficulté d’être, deux stratégies de l’irresponsabilité bienheureuse. » (Pascal Bruckner)

« Dénoncer la marchandisation de la vie sans dire ce qui la rend possible et même désirable, le triomphe de l’individualisme, c’est se tromper de cible. » (Pascal Bruckner) – Non, c’est tromper et mentir par omission.

« Comment ne pas voir que la victoire de l’individualisme sur la société est une victoire ambiguë et que les libertés accordées au premier  – liberté d’opinion, de conscience, de choix, d’action – sont un cadeau empoisonné et la contrepartie d’un terrible commandement : c’est à chacun désormais qu’est dévolue la tâche de se construire et de trouver un sens à son existence. » (Pascal Bruckner)

« Voici donc venu le temps de l’individu souverain, piaffant et trépignant, à qui le marché donne licence de n’en faire qu’à sa tête, flatte ses moindres inclinations. Il n’est menacé aujourd’hui en Occident que par sa propre présomption ; il doit, sous peine de devenir son pire ennemi, imposer des imites à ses convoitises les plus exorbitantes, ne pas se transformer en nourrisson insatiable et récriminant … Le ‘moi’ n’est pas tant haïssable … que ‘pitoyable’ lorsqu’il se réduit au face-à-face avec soi-même, à l’interminable rumination de  ses petits problèmes. »(Pascal Bruckner)

« Or le moi n’est pas tant haïssable, comme le disait Pascal, que ‘pitoyable’ lorsqu’il se réduit au face-à-face avec soi-même, à l’interminable rumination de ses petits problèmes. D’où l’individu occidental, inquiet de paraître inconsistant aux yeux d’autrui, fait tout pour dévoiler son petit tas de secrets et s’exhibe volontairement partout où l’on veut de lui. » (Pascal Bruckner) – Les bousculades pour participer à n’importe quelle, émission, à n’importe quelle parade publique ; exhibitionnisme d’un côté, voyeurisme de l’autre.

« Comment en sommes-nous arrivés là, c’est-à-dire à la prédominance  du racial sur le social, de l’ethnique sur le politique, du minoritaire sur la norme, de la mémoire  (des mémoires !) sur l’histoire ? » (Pascal Bruckner)  –  «Le mâle blanc hétérosexuel est l’aimant qui attire à lui toute la limaille des idéologies … Il est au carrefour, à l’intersection de toutes les luttes, celles des féministes naturellement, des ‘diversités ethniques’, des minorités sexuelles, des mouvements LGBT,  mais non moins des écologistes des végans, des animalistes …. Parler la langue des identités, s’orienter selon les catégories du ‘genre’, de la ‘race’, de la ‘sexualité’, réclamer la visibilité en tant que ‘femme’, ‘Noir’, ‘gay’, ‘lesbienne’, ‘trans’, que sais-je encore, représente une rupture civilisationnelle pour la France, dans un pays qui fut longtemps fier de son universalisme»  (Bérénice Levet)  

« L’individu est sot … mais l’espèce est sage. » (Edmund Burke)

« Quand, influencé par des théories grossières et sans valeur ou assistant à la vieillesse d’une nation, il n’aperçoit pas dans les événements de la politique et de l’histoire les mêmes entraînements et les mêmes destins, il s’y juge peu profondément compromis, incline à séparer péremptoirement les affaires du monde et celles de son âme, et tire le meilleur de lui-même à l’écart de cette société où il voit régner des lois si étrangères à sa nature. Il s’isole, et son isolement, son hostilité même à l’égard de la société le conduisent à exprimer et à revendiquer pour son compte, à individualiser les valeurs essentielles de la vie affective… » (Roger Caillois) – Voilà où nous ont mené nos politicards.

« Nous sommes devenus de purs individus (dit le sociologue), au sens où aucune loi morale ni aucune tradition ne nous indiquent du dehors qui nous devons être et comment nous devons nous conduire. Le couple autorisé-interdit qui organisait la société et les comportements jusque dans les années 50 a fait place au système possible-impossible, lequel ne relève plus tant de la loi que des aptitudes individuelles. » (Belinda Cannone)

« Individualiste : prisonnier de sa liberté. » (Paul Carvel)

«‘L’individualisme a marché du même pas que l’étatisme’… Paradoxalement, l’emprise croissante de l’Etat social, en procurant à l’individu des protections sociales consistantes, a agi comme un ‘puissant facteur d’individualisation. ‘L’assurance d’assistance’ ménagée par l’Etat  affranchit l’individu de sa dépendance à l’égard de toutes les communautés intermédiaires qui lui procuraient des ‘protections rapprochées’. » (Robert Castel – citant Marcel Gauchet)

« Celui qui a décroché, ou qui a été décroché, l’individu par défaut d’appartenances (chômeur de longue durée…), tandis que l’individu détaché ou qui s’est détaché du social, qui n’adhère plus à rien serait un individu par excès de subjectivité. » (Robert Castel) – Ce n’est pas le même individualisme.

« L’individualisme est de l’infantilisme. Dans aucune société … les gens n’ont été autant immergés dans le social qu’aujourd’hui. Quinze millions de foyers tournent à la même heure les mêmes boutons pour voir la même chose. » (Cornelius Castoriadis)

« On peut se perdre par ‘ségrégation’ enfermé dans le particulier ou par dilution dans l’universel. » (Aimé Césaire ?) – On peut même réussir l’exploit d’alterner les deux types de perdition en poussant chacune à son extrême tour à tour. 

« Sans moi, je me porterais à merveille. » (Chamfort – évoquant le narcissisme vaniteux)

 « Depuis l’impie jusqu’au fidèle, tous crient ‘Seigneur, faites-nous un !’ » (Père Teilhard de Chardin)

« L’ivresse collective qui affranchit du ‘Moi’ et de son fardeau est un but en soi. » (Janine Chasseguet-Smirgel)

« Nous sommes revenus au temps de Babel ; mais on ne travaille plus à un monument commun de confusion : chacun bâtit sa tour à sa propre hauteur. » (Chateaubriand)

« La formation d’une classe exige la coalescence de deux facteurs simultanés. Le premier relève de l’existence d’une position économique spécifique, susceptible de définir des conflits d’intérêt avec les autres classes en présence. Le second relève de la prise de conscience d’une communauté de condition et de destin au sein de cette classe. Le premier facteur est objectif, le second est subjectif. » (Louis Chauvel)

« Les  mêmes qui prônaient à tous crins le métissage prônent désormais la pureté fantasmée de races et d’ethnies qui ont pourtant évolué au fil  de l’histoire … Ce type de censure met en scène la contestation de l’universalité du genre humain, ce qui n’est pas s’en aller, dans le fond, dans le sens des théories racistes et racialistes que ces mouvements prétendent combattre. » (Anne-Sophie Chazaud)

« Nous aurions dû être dispensé de traîner un corps, le fardeau du ‘moi’ suffisait. » (Emil Cioran)

« L’excès de subjectivisme ne peut mener …  qu’à la mégalomanie ou à l’auto-dénigrement. Lorsqu’on se penche trop sur soi, on en vient forcément à s’aimer ou à se haïr démesurément. Dans l’un ou l’autre cas, on s’épuise avant son temps. Le subjectivisme vous rend Dieu ou Satan. » (Emil Cioran)

« La fausse antinomie que forment ensemble individu et collectif n’est pas difficile à démasquer ; toutes les tares que le collectif a coutume de prêter si généreusement à l’individu : l’égoïsme, le narcissisme, la mythomanie, l’orgueil, la jalousie, la possessivité, le calcul, le fantasme de toute-puissance, l’intérêt, le mensonge… se retrouvent en pire et inattaquables dans les collectifs. Jamais un individu ne parviendra à  être aussi possessif, narcissique, égoïste, jaloux, de mauvaise foi et à croire à ses  propres balivernes que le peut un collectif. » (C. N. I.)

« Quand chacun est son propre centre, tous sont isolés. » (Benjamin Constant)

« Si on admet la distinction de Louis Dumont entre individualisme (l’individu est la valeur suprême) et holisme (la valeur se trouve dans la société comme un tout); alors on peut dire que le christianisme a, involontairement peut-être mais puissamment servi l’individualisme. La révélation insiste sur l’itinéraire personnel du croyant et met l’accent sur le fait que son salut dépend de lui-même. La hiérarchie et l’obéissance ne visent pas à briser les volontés mais à assurer les objectifs de l’organisation. » (Marc Crapez)

“Comment faire un ‘nous’ avec un amas de ‘moi-je’ ? » (Régis Debray)

« L’idée qu’une personne ne saurait se réaliser qu’en participant à un collectif qui la dépasse et l’exprime à la fois, parti, église, classe, nation ou Internationale … est à présent une idée dangereuse, et son improbable avocat,, l’idiot utile d’un Goulag en chantier. Être libre, dorénavant, c’est couper les attaches, le fil à la patte d’une foi… » (Régis Debray)

« Un ‘nous’ suppose un ‘eux’ en face. Un collectif, pour persister dans l’’être doit s’identifier. S’identifier, c’est se démarquer. Se démarquer, c’est se confronter. » (Régis Debray)

 « Le groupe se démarque par un mythe d’origine singulier, qui peut être reculé dans le temps … (Résurrection, fuite à Médine, prise du palais d’hiver, baptême de Clovis, prise de la Bastille, siège de  Massada, le ‘thanksgiving day’,  la ‘nakba’ soit l’expulsion des Palestiniens, etc). L’acte de se constituer en corps suppose l’intervention d’un élément qui n’en est pas constitutif. Parce qu’un espace clos engendre un besoin d’élévation, une référence en altitude. Pour faire d’un attroupement une troupe, il faut hisser un drapeau … Le principe instituant d’une communauté est d’une autre nature et d’un autre niveau que l’institué, ce qui fait société, en dernière instance, n’est pas d’ordre sociologique … Une communauté ne peut s’instaurer qu’en se délimitant et ne peut se délimiter qu’en s’ouvrant à un élément extérieur à son plan d’immanence … Un entre-soi sans rien qui dépasse, cela se disloque au premier coup de chien … Une Fédération composite privée de fédérateur (d’élément externe fédérateur) devient un puzzle en sursis … Plus de sacré en amont, plus de ‘nous’ en aval. » (Régis Debray) – Ces mythes peuvent aussi être abstraits, ne pas se référer à un événement précis, la République, la société  sans classes, le ‘melting pot’.

 « Il existe une preuve ‘a contrario’ du transcendant comme cheville ouvrière d’une cohésion durable, c’est l’avortement malheureux de la plus grandiose proposition qui ait jamais été faite à notre espèce par l’un de ses spécimens soucieux de lui rendre  tous les honneurs, ‘la religion de l’Humanité’. Le beau projet d’Auguste Comte …  était censé nous débarrasser des dieux, des songes et des sortilèges, rendre à l’homme la pleine puissance de lui-même. Et il n’ pas tenu la route … Un détail manquait à la panoplie : un vide plein de mystère. Le catéchisme était sans révélation et supposait que l’humanité puisse s’adorer elle-même …  Il n’y  pas d’avenir pour une autotranscendance  (la religion communiste en fut une autre, condamnée à se mordre la queue, à être jugé sur pièces) … L’humanité ne peut elle-même se tirer par les cheveux (comme le baron de Munchausen) pour se mettre au-dessus de ce qu’elle est… l’Être suprême des philosophes, exsangue et chlorotique,  sans histoire à raconter, n’a jamais pu élire domicile ici-bas. ». (Régis Debray)

« En Islam, le ‘nous’ est là pour étouffer le ‘moi’, et en Europe, le ‘moi-je’ pour étouffer la possibilité d’un ‘nous’. » (Régis Debray)

« Nous sauvons les apparences de l’individualisme (‘Je fais ce que je veux’) mais nous vivons dans un monde où il faut faire et penser comme tout le monde. » (Chantal Delsol)

« Toute tentative de réaliser un universel, est un rapt d’être, même sans la terreur. » (Chantal Delsol)

« Le processus moderne, ou d’émancipation, représente une sortie du holisme et un déploiement de l’individualisme. » (Chantal Delsol) 

 « L’universel, qui était un équilibre à chercher, un idéal à promouvoir, est devenu un système avec ses dogme ses grands prêtres … Le ‘commun’ n’est plus le bien public de la cité ou de la société élargie, dotée de souveraineté. Le ‘commun ‘s’est universalisé, et concerne désormais tous les hommes et toutes les sociétés de la terre. » (Chantal Delsol) 

« La prétention de l’Occident  à son statut de  modèle universel est monstrueuse ; qui peut avoir envie d’imiter cette culture inconsistante et faible … des Etats de plus en plus maternels… l’incapacité de la démocratie à prendre en compte le temps long. »   (Chantal Delsol) – Reprenant des critiques russes, chinoises…)

« Seul ce qui est sans fondement, assis sur le vide, peut être absolument universel. » (Chantal Delsol) 

« La modernité c’est l’image du chaos, de l’indétermination, de la dé-figuration du monde, puisque ‘l’universel  est censé absorber les particuliers et les dissoudre … L’universel menacerait les particularités  (cultures, nations, familles, , coutumes,, bref la vie concrète)… Plus d’individualisme, de liberté et d’égalité présagerait la dilution de ce qui fait la réalité de la vie humaine.» (Chantal Delsol)

« Le caractère idéologique de  l’universalisme : prétention à plier le réel à sa loi comme s’il s’agissait d’une mécanique, irréalisme … mais le progrès est comme le bonheur, il n’est pas un du, il ne vient pas tout seul, il faut le mériter … Le discours à propos de  la santé humaine, de la liberté humaine , de la nature, se déploie sur le mode de la ferveur, de l’emballement et de l’intolérance … Idéologie sans aucune légitimité à se prétendre différente au sein d’une neutralité spécifique (IVG, légitimité de tuer en référence aux valeurs de santé biologique et de liberté individuelle) … Le caractère idéologique est bien visible dans la récusation contemporaine de la ‘tolérance’… L’intolérance postmoderne signifie la raideur et la prétention des certitudes idéologiques sous couvert de relativisme général. » (Chantal Delsol – Le crépuscule de l’universel)

 « Préférer consciemment le particulier à l’universel, ce n’est pas seulement une faute de goût, mais un péché contre l’esprit. » (Chantal Delsol – ironique)

« Penser en individu s’oppose à penser en homme social. L’être humain se définit lui-même comme un individu lorsqu’il se pose comme ‘indépendant’ des liens sociaux qu’il peut avoir par ailleurs. » (Vincent Descombes)

“Parlons de moi, il n’y a que ça qui m’intéresse. » (Pierre Desproges)

« Un être humain dépourvu d’empathie ou de sentiment (entité définie cliniquement comme schizoïde, c’est-à-dire dépourvu de réponses émotionnelles) est exactement comme un androïde conçu sans en avoir … Île mentale … Glissement actuel du vivant vers la réification. » (Philip K. Dick)

« Nul homme n’est une île… » (John Donne)

« Je dois en effet parvenir à saisir que l’ensemble de mes caractéristiques empiriques : ma date de naissance, mon âge, mes capacités physiques, tous ces traits d’identification qui sont comme des ‘grains de beauté’, sont secondaires, éphémères, illusoires. Plus, mon individualité même, en tant que telle, mon individuation corporelle et mentale est un leurre. » (Roger-Pol Droit – reprenant des théories religieuses orientales)

« Dire que nous vivons dans une société individualiste est un mensonge patent, un leurre … Nous vivons dans une société-troupeau, un troupeau qu’il ne s’agirait plus que de conduire là où on veut qu’il aille s’abreuver et se nourrir … ‘Nous sommes régis, nos esprits sont moulés, nos goûts formés, nos idées suggérées … par des hommes dont nous n’avons jamais entendu parler’ (Edward Bernays). » (Dany-Robert Dufour)

« Il n’est pas difficile d’apercevoir, derrière la ‘liberté’ et ‘l’égalité’ leur substrat, la valorisation de l’individu. » (Louis Dumont – Homo aequalis) – Le fou furieux de lui-même et de ses droits !

« L’idéologie moderne se caractérise par la subordination de la totalité sociale à l’individu en tant qu’être moral indépendant et autonome. Cette idéologie distingue les sociétés occidentales des autres sociétés, qui, au contraire, valorisent la totalité sociale et lui subordonnent l’individu. » (Louis Dumont) – Et c’est bien la deuxième forme que veut détruire la mondialisation, pour atomiser l’individu et, ainsi, maîtriser toute opposition.

« Dans les civilisations supérieures, ou dans les sociétés traditionnelles, les relations entre hommes sont plus importantes, plus hautement valorisées que les relations entre hommes et choses. Cette primauté est renversée dans le type moderne de société … La ‘Gemeinschaft et la ‘Gesellschaft’ de Tönnies. » (Louis Dumont – Homo  aequalis) – Holisme  / Individualisme.

« Le mot individu a deux sens. Le sujet empirique de la parole, de la pensée, de la volonté, échantillon indivisible de l’espèce humaine, tel que l’observateur le rencontre dans toutes les sociétés – L’être moral, indépendant autonome, essentiellement non social, tel qu’on le rencontre avant tout dans notre idéologie moderne de l’homme et de la société. » (Louis Dumont)

« ‘Holisme’ (entier) : théorie d’après laquelle le tout est quelque chose de plus que la somme de ses parties … Est ‘holiste’ une idéologie qui valorise la totalité sociale et néglige ou subordonne l’individu humain, elle part de la société globale et non de l’individu … L’homme est immédiatement reconnu comme être social, la subordination est généralement reconnue comme normale, nécessaire. Le besoin d’émancipation de l’individu est moins fortement ressenti que le besoin d’encadrement et de communion … A l’inverse, l’individualisme valorise la relation de l’homme aux choses (nature, objet) à l’encontre de la relation sociale (entre hommes) … Là où l’Individu est la valeur suprême je parle d’individualisme, dans le cas opposé, où la valeur se trouve dans la société comme un tout, je parle de holisme … Dans la première situation, ce qu’on appelle encore ‘société’ est le moyen, la vie de chacun est la fin, ontologiquement la société n’est plus … dans la seconde situation, l’accent est mis sur la société dans son ensemble, comme Homme collectif.» (Louis Dumont) – « Holisme signifie une idéologie qui valorise la totalité sociale et néglige ou subordonne l’individu humain ; l’opposé étant l’individualisme. » (Gérard Mendel)

« Le Dieu de Calvin est l’archétype de la volonté, où l’on peut voir l’affirmation indirecte de l’homme comme volonté, et au-delà, l’affirmation la plus forte de l’individu … Avec Calvin … le champ est absolument unifié. L’individu est maintenant dans le monde, et la valeur individualiste règne sans restriction ni limitation. Nous avons devant nous l’individu-dans-le-monde. » (Louis Dumont) 

« Côté français, je suis homme par nature et français par accident, la nation est collection d’individus, universalisme individualiste ; côté allemand, je suis essentiellement un Allemand, et je suis un homme grâce à ma qualité d’Allemand, la nation est un être collectif, holisme culturel. » (Louis Dumont – reprenant des distinctions de Herder)

« L’individualisme extra-mondain (type renonçant, religieux) est opposé hiérarchiquement au holisme : supérieur à la société, il la laisse en place, tandis que l’individualisme intra-mondain (celui des modernes) nie ou détruit la société holiste et la remplace (ou prétend le faire) … Il n’y a plus rien d’ontologiquement réel au-delà de l’être particulier … Nous avons quitté la communauté pour une société … Le nominalisme, qui accorde réalité aux individus et non aux relations, aux éléments et non aux ensembles, est très fort chez nous. » (Louis Dumont)

« La religion a été le ferment cardinal (de l’apparition et de l’évolution de l’individualisme), la distanciation vis-à-vis du monde social étant la condition du développement spirituel individuel (l’individu-hors-du-monde : le renonçant indien, les premiers chrétiens) … Pour devenir un sage, il faut d’abord renoncer au monde (toutes les écoles de sagesse) … La valeur infinie de l’individu (être de Dieu) et en même temps l’abaissement, la dévaluation du monde tel qu’il est : un dualisme est posé, une tension est établie qui est constitutive du christianisme et traversera toute l’histoire  … L’individu comme valeur était alors conçu à l’extérieur de l’organisation sociale et politique donnée, en dehors et au-dessus d’elle, l’individu-hors-du-monde … Avec la conversion de Constantin, bon gré mal gré, l’Eglise était placée face à face avec le monde … Avec Calvin, le champ est absolument unifié. L’individu est maintenant dans le monde et la valeur individualiste règne sans restriction ni limitation. » (Louis Dumont)

« Si Socrate, dans le ‘Criton’, refuse de s’enfuir, c’est en définitive parce qu’il n’y a pas de vie morale hors de la cité. » (Louis Dumont) – L’individualisme contre la morale.

« C’est la société qui a fait de l’homme un dieu dont elle est devenue la servante. » (Emile Durkheim)

« L’individualisme a marché du même pas que l’étatisme … L’Etat a été le libérateur de l’individu … qui a affranchi l’individu des groupes particuliers et locaux qui tendaient à l’absorber, famille, cités, corporations…  » (Emile Durkheim – cité par Pascal Bruckner)

« Le fait capital de l’individualité au cours de la seconde moitié du XX° siècle est en effet la confrontation entre la notion de  possibilité illimitée et celle d’immaîtrisable. » (Alain Ehrenberg)

« Comment y faire face ? (à l’aléatoire) Comment se comporter ? Quel livre faut-il lire ou quel spécialiste faut-il consulter pour savoir se conduire ? Quels sont les bons modèles ? Ces questions tournent constamment autour de la dimension normative propre à l’exigence contemporaine de mise en avant de soi : comment être mieux, être plus, être autre que soi, mais sans verser dans l’asocialité. C’est une des conséquences inéluctables de l’exigence d’individualité. » (Alain Ehrenberg)

« La thèse du malheur de l’horizontalité est simple à formuler : nous vivons désormais non dans un individualisme non de personnalisation, mais de déliaison, un individualisme devenu destructeur des appartenances collectives et donc des assises personnelles de chacun. » (Alain Ehrenberg)

« Les individus sont liés les uns aux autres par des liens de dépendance réciproque qui constituent la société même … L’idée moderne de l’individu, cet idéal du moi qui veut exister par lui-même, n’est apparue en Occident qu’au terme d’un long processus, qui est indissociable de la domination des forces de la nature et de la différenciation progressive des fonctions sociales … Ce sont les dépendances réciproques qui construisent les sujets eux-mêmes … L’individu issu d’un réseau de relations humaines qui existait avant lui s’inscrit dans un réseau de relations qu’il contribue à former … Le champ des possibles d’un individu, donc sa liberté, se mesure à l’aune de sa plus ou moins grande capacité à agir sur le réseau d’interdépendances dans lequel il est inscrit … La dialectique du JE et du NOUS et les changements dans la pondération de ce rapport je-nous … Du tout autre chose que la somme de ses parties … La société n’est pas simplement un ‘objet’ face aux individus isolés ; elle est ce que chaque individu désigne lorsqu’il dit ‘nous’ … Les images du groupe de danseurs, des joueurs de cartes ou d’échecs, de la maille du filet … C’est dans la relation avec les autres et par cette relation que la créature désemparée et sauvage qu’est l’être humain à sa naissance devient un être psychiquement adulte qui possède une personnalité individuelle … Les différences de structure de l’organisation des sociétés produisent nécessairement une autre structure du contrôle des instincts et une autre structure de la conscience, donc une autre individualité, chez un enfant du XX° siècle que chez un enfant du XII° … » (Norbert Elias – considérations très simplifiées sur l’interdépendance entre individus et entre individu/société)

« L’individu ne peut dire ‘Je’ qu’à la condition de pouvoir dire aussi ‘Nous’ … La seule idée du ‘Je suis’ et plus encore celle du ‘Je pense’ suppose l’existence d’autre hommes … l’existence d’un groupe, d’une société … Les relations que nous traduisons par ‘je’, ‘tu’, ‘il’ ou ‘elle’, ‘nous’, ‘vous’, ‘ils’ ou ‘elles’ sont interdépendantes. Aucune ne saurait exister sans les autres … Et la fonction du ‘nous’ réunit toutes les autres. » (Norbert Elias)

« Les sociétés (dites) évoluées accordent une plus grande valeur à ce par quoi les hommes se différencient les uns des autres, à leur ‘identité du je’, qu’à ce qu’ils ont en commun, leur ‘identité du nous’ (famille, village, tribu, corporation, Etat…). Mais cette inversion du rapport ‘je-nous’ ne va pas de soi, ne va pas sans résistances (communautarisme entre autres). » (Norbert Elias)

 « Le ‘nous’, unité dominante d’intégration et de survie … L’assimilation de son propre groupe du ‘nous’ à un groupe du’ nous’ d’un rang supérieur apparaît … comme la dévalorisation de quelque chose qui était jusque là placé très haut … Tant que ne sont pas associés avec l’unité d’ordre supérieur des sentiments d’identité personnelle, un sens du ‘nous’, l’effacement voire la disparition du groupe de rang inférieur apparaît … comme une menace de mort, une forme de déclin collectif, une profonde perte de sens. » (Norbert Elias) – Inutile d’espérer intégrer des gens auxquels le ‘nous’ que nous leur offrons (l’ambiance officielle et la moralité en France) est dépourvu de valeur.

« Le passage au primat de l’Etat sur le clan et la tribu a représenté une poussée d’individualisation … Le passage à l’humanité comme unité dominante sera aussi marqué par une nouvelle poussée d’individualisation. » (Norbert Elias) – Dernier passage qu’il sera certainement bon d’écarter. Mais l’idée est que plus l’unité dominante du ‘nous’ est considérable, plus l’individualisation progresse, c’est-à-dire l’éloignement de l’individu d’avec le collectif, plus l’écart entre le ‘je’ et le ‘nous’ se creuse.

« ‘L’habitus social’ des individus présente plusieurs niveaux … Différents degrés d’investissement affectif des différents niveaux d’intégration … La famille toujours en premier. » (Norbert Elias)

« Le groupe du clan conserve vis-à-vis de ses membres une importante fonction de survie … Les familles de la mafia aux Etats-Unis. » (Norbert Elias)

« Dans un monde où les hommes étaient perpétuellement soumis à la menace d’animaux physiquement plus puissants et parfois même plus rapides et plus agiles, un individu seul, entièrement soumis à lui-même, n’aurait guère eu de chances de survie. » (Norbert Elias) – D’où la primauté du groupe, du nous.

« Dans une société où l’affiliation à un groupe, affiliation le plus souvent héréditaire, revêtait une importance décisive pour la position de l’individu et ses chances de réussite parmi les hommes, la marge laissée aux individus qui ne faisaient pas partie d’un groupe était assez faible … Poussée d‘individuation par les ‘humanistes’ … Le ‘cogito’ cartésien, l’accent qu’il mettait sur le ‘je’, fut également un signe de changement de la position de l’individu dans la société. » (Norbert Elias)

« Le seul vrai péché est la limite … Disons que je dérange plutôt les choses. Aucun fait n’est à mes yeux sacrés, aucun n’est profane non plus ; j’expérimente, tout simplement, je suis un chercheur perpétuel, sans Passé dans mon dos. » (Ralph Waldo Emerson – Cercles) – Parfait manifeste de refus de transmission, d’individualisme exacerbé, d’autogénèse, d’existentialisme avant la lettre.

« Culte de la performance, culte de l’excellence, cultes modernes … L’individualisation forcenée blanchit l’organisation de toute faute et la rejette intégralement sur l’individu. » (Eugène Enriquez) – Tout benef. !

« L’individualité, par son insistance sur le ‘Je’ personnel, signifie perte de l’universel, constitution en faux-être. » (Père Gérard Eschbach – évoquant jean Tauler))

 « Bouclant la boucle de l’homme sur lui-même nous nous sommes constitué un empire d’humanité. De façon autogène. Sans l’autre. En autonomie … Avec nos longueurs à nous, nos largeurs à nous, nos hauteurs à nous et nos profondeurs à nous. Quelque chose comme une caverne… (celle de Platon). » (Père Gérard Esbach) – Ou une morne plaine, sans relief, sans transcendance.

« La pierre n’a pas d’espoir d’être autre chose que pierre, mais en collaborant elle s’assemble et devient temple. » (Saint Exupéry)

« L’individu, comme tel, n’existe pas, le concept de l’homme est non pas celui d’un individu, mais celui d’un genre … L’homme ne devient homme que parmi les hommes. » (Fichte)

« L’homme démocratique se conçoit lui-même comme un être indépendant, comme un atome social : séparé à la fois de ses ancêtres, de ses contemporains et de ses descendants, il se préoccupe, en premier lieu, de pourvoir à ses besoins privés, et il se veut l’égal de tous les autres hommes. » (Alain Finkielkraut)

« Plus les individus s’isolent les uns des autres et plus, paradoxalement, ils s’intègrent les uns aux autres. Ils ne se détachent des traditions que pour se soumettre à l’opinion. » (Alain Fin kielkraut)

« Ils se sont dit : ‘Un sujet complètement autonome qui prétend édifier une société sans référence à quoi que ce soit dans le grand vide de l’universel, cela peut mener à la Terreur’ … (réflexion des Romantiques traumatisés par la terreur révolutionnaire) … ‘La particularité nationale est à compter au nombre des infortunes providentielles qui empêchent les humains de se prendre pour des dieux’ (Régis Debray) … Nous produisons du neuf, mais à partir de ce que nous avons reçu. Nous sommes incapables de nous autofonder, de nous auto-organiser, de nous autoengendrer … la reconnaissance de l’identité n’est pas un repli identitaire, elle est d’abord une forme d’humilité. Je ne suis pas cause de moi-même … C’est ‘le droit à la continuité historique’ (Ortega y Gasset) … Le moderne est animé par un véritable ressentiment contre le donné … ‘L’éducation doit être conservatrice parce que, ainsi, elle introduit les enfants dans un monde plus vieux qu’eux et leur permet de développer la faculté de commencer quelque chose’ (selon Hannah Arendt). » (Recueilli par Alain Finkielkraut – interview dans l’identité, pour quoi faire ?)

« Il y a un bonheur à être délivré par la règle du ‘tous pour un, un pour tous’ de la loi impitoyable du ‘chacun pour soi’. Il y a un bonheur à se fondre dans la masse, ‘à se laisser porter par un grand fleuve de confiance et de rude familiarité’, à ne plus avoir à décider du bien et du mal … à ne plus répondre de ses actes devant un juge intérieur et à faire ce que font les camarades parce que le juge, désormais, c’est eux. Il y a un bonheur à être dépouillé … de la pénible tâche de penser … La camaraderie est totalitaire en cela qu’elle occupe toutes les instances … les pulsions sont encamaradées, le moi  est encamaradé, le surmoi est encamaradé … Le charme de la désindividualisation … Nous avons tous, à un moment ou à un autre, cédé à son attraction… Il n’y a que des frères ou des ennemis. » (Alain Finkielkraut – commentant Histoire d’un Allemand de Sébastian Haffner)

« Le remplacement du pouvoir de l’individu par celui de la communauté constitue le pas décisif. » (Sigmund Freud) – Dans le début du processus de civilisation destiné à permettre à l’individu d’échapper à la violence de l’état de nature. Comme toujours, ce dernier pouvoir est devenu excessif, totalitaire.

«  Sans l’hypothèse d’une âme collective, d’une continuité de la vie psychique de l’homme, qui permet de ne pas tenir compte des interruptions des actes psychiques résultant de la disparition des existences individuelles, la psychologie collective, la psychologie des peuples ne saurait exister. Si les processus psychiques d’une génération ne se transmettaient pas à une autre, ne se continuaient pas dans une autre, chacune serait obligée de recommencer  son apprentissage de la vie, ce qui exclurait tout progrès et tout développement. » (Sigmund Freud – Totem et Tabou) – En détruisant tout, les déconstructeurs (comme les révolutionnaires) qui règnent dans le milieu médiatique et le showbiz espèrent bien, après avoir fait ainsi table rase, pouvoir tout régenter dans le sens de leurs sordides intérêts grâce à l’abrutissement général obtenu sur peu de générations.

« C’est un sens de la communauté qui est offert par les sociétés asiatiques, et pour beaucoup de ceux qui sont nés et ont grandi dans ces cultures, le conformisme social et les contraintes qui pèsent sur l’individualisme semblent constituer un faible prix à payer pour jouir de cet état de choses sécurisant. » (Francis Fukuyama) – Comme dans nos vieilles sociétés paysannes détruites et nos corporations anéanties.

« Le rapport interindividuel supplante l’identification au collectif comme axe de la constitution et de la définition de soi … Les théoriciens du droit naturel avaient beau partir des droits individuels, ils étaient en quête de leur intégration harmonique. Nous marchons à l’inverse ; notre souci est de préserver leur séparation… » (Marcel Gauchet)

« L’individu contemporain aurait en propre d’être le premier individu à vivre en ignorant qu’il vit en société, le premier individu à pouvoir se permettre, de par l’évolution même de la société, d’ignorer qu’il est en société. » (Marcel Gauchet)

« L’entrée dans l’âge individualiste est … sortie de l’âge du religieux, la dépendance envers l’ensemble et la dette envers l’autre se défaisant simultanément. » (Marcel Gauchet)

« L’individualisme de repli … Individualisme négatif, moins d’affirmation de soi que d’évitement et de méfiance à l’égard d’autrui. Un individualisme de défense. » (Marcel Gauchet)

« Jusqu’à présent, la montée de l’individualisme s’était traduite par une exigence croissante de ‘personnalisation des adhésions’, qu’il s’agisse du mariage, de l’entrée dans un parti … Exigence d’être soi-même … Nous avons basculé vers un individualisme de ‘déliaison’ ou de ‘désengagement’ … Pour être soi-même, il faut se garder par-devers soi … Non plus s’affirmer en s’impliquant, mais se reprendre. Notre modèle d’individualisme …  a un coût élevé en termes de solitude, d’isolement, de malheur des personnes. » (Marcel Gauchet)

« L’individu hypercontemporain. S’il existe un péril à l’horizon, c’est celui de l’affaissement du collectif devant l’affirmation des individus. » (Marcel Gauchet)

« Tout ce qui représente une adhésion idéologique paraît hors de mise, tandis qu’est valorisée par-dessus-tout l’indépendance des individus … Tout ce qui représente par rapport aux individus une appartenance de rang supérieur, ou un encadrement collectif, est récusé au profit d’une déliaison des personnes aussi étendue que possible. L’englobement collectif a disparu. » (Marcel Gauchet) – Marginalisation de certains thèmes tels que classes ou nations

« Quand on procure aux individus ce parachute extraordinaire qu’est l’assurance d’assistance, on les autorise dans toutes les situations d’existence à s’affranchir de toutes les communautés, de toutes les appartenances possibles, à commencer par les solidarités élémentaires de   voisinage … L’Etat-providence est un puissant facteur d’individualisme. » (Marcel Gauchet)

« L’individualisme apparaît davantage subi que voulu … L’individualisme de l’heure est un individualisme imposé … Il ne sort guère de la revendication d’indépendance des individus dans le domaine de la conviction religieuse, morale ou philosophique, ou d’un soudain et mystérieux redoublement de l’énergie intérieure des personnes. Il procède d’abord du reflux des attentes logées dans le collectif et de la relégitimation du niveau individuel qui en a résulté … Une responsabilisation dont nombre de ses bénéficiaires se seraient volontiers passés … La légitimité a basculé de l’offre de sens vers la demande de sens. » (Marcel Gauchet)

« L’individu est la valeur absolue. Ou du moins, il est la clé d’entrée dans le monde des valeurs. Il en est la source, le foyer vivant. Nous sommes passés de l’ère de l’objectivité des valeurs – la patrie, Dieu, etc. – à la définition des valeurs comme ce qui vaut pour les individus. Cette montée en puissance de l’individu engendre d’ailleurs de redoutables problèmes. Car il revient à l’individu de choisir qui il est et ce qui compte pour lui. Son identité, il doit se la fabriquer, se la constituer. Tandis qu’autrefois elle était assignée dès la naissance, elle devient quelque chose que chacun est incité à inventer. Or, si les individus sont tous égaux en principe face à ce droit ‘d être soi-même’, ils sont en réalité inégaux dans leur capacité de choisir leur vie et de se construire personnellement. » (Marcel Gauchet)

« L’advenue de la société des individus émancipés se traduit en profondeur par la ruine des fondements de la possession de soi. L’homme délié de l’assujettissement au collectif est l’homme qui va devoir se découvrir intérieurement asservi. » (Marcel Gauchet – cité par Roland Gori)

« Être tous, c’est n’être personne. » (André Gide)

« Les hommes qui ne peuvent regarder la liberté en face sont exposés à l’angoisse. Ils cherchent un point d’appui où fixer leurs regards. Il n’y a plus ni Dieu, ni roi, ni seigneur pour les relier à l’universel. C’est pour échapper au sentiment du particulier que les hommes désirent ‘selon l’Autre’ ; ils choisissent des dieux de rechange car ils ne peuvent renoncer à l’infini. » (René Girard – Mensonge romantique et vérité romanesque)

« C’est ainsi que je me partage, ô vous que j’aime ; et que je continue à être l’Un. » (Goethe)

« Les hommes ne peuvent mettre en commun que ce qu’ils ont de moins élevé en eux. » (Jean Grenier)

« Un certain style d’attitudes, une certaine forme de maintien, un ensemble d’inclinaisons et d’aversions, suffisent à exprimer une manière singulière de sentir, et à déterminer la façon presque inimitable qu’a chacun de se poser et de se tenir dans le monde. » (Nicolas Grimaldi)

« Nous sommes, fait sans précédent, les premiers êtres humains à ne plus éprouver le besoin de nous situer dans l’espace et le temps en rattachant notre existence à quelque chose de plus vaste et de plus ancien que nous. » (Patrice Gueniffey)   

« Qui dit individualisme dit nécessairement refus d’admettre une autorité supérieure à l’individu, aussi bien qu’une faculté de connaissance supérieure à la raison individuelle ; les deux choses sont inséparables … Ce qui ne s’était jamais vu jusqu’à présent, c’est une civilisation édifiée tout entière sur quelque chose de purement négatif, sur une absence de principe, la négation de tout principe supra-individuel. » (René Guénon)

« La tendance moderne, telle que nous la voyons s’affirmer dans le Protestantisme, est tout d’abord la tendance à l’individualisme, qui se manifeste clairement par le ‘libre examen’, négation de toute autorité … Cet individualisme a pour conséquence ce qu’on pourrait appeler une ‘humanisation’ de la religion, simple affaire de sentiment, ensemble d’aspirations vagues sans objet défini … aboutissant à un ‘moralisme’ humanitaire purement laïque et areligieux (pour ne pas dire antireligieux). » (René Guénon –traitant explicitement du protestantisme anglo-saxon)

« La fonction de l’autorité spirituelle est la seule qui se rapporte à un domaine supra-individuel ; dès lors que cette autorité est méconnue, il est logique que l’individualisme apparaisse aussitôt. » (René Guénon)

« Ne sont pas entre l’individualisme et quelque chose d’autre, mais simplement entre les variétés multiples dont l’individualisme est lui-même susceptible. » (René Guénon – sur les conflits qui éclatent en Occident) – Il y a déjà un siècle !

« C’est dans la négation de tout principe supra-individuel que consiste l’individualisme. » (René Guénon)

« Les cultures traditionnelles, dont nous voulions orgueilleusement nous démarquer, n’avaient pas si mal compris l’intrication entre l’individualisme exacerbé et la violence. » (Jean-Claude Guillebaud)

« Dans la sensibilité moderne, la simple hypothèse d’une valeur enracinée au dehors,, en haut ou ailleurs, est perçue comme attentatoire à la liberté de chacun … Victoire du ‘moi’ sur le ‘nous’ et de ‘l’ici’ sur ‘l’ailleurs’ … Le siège de la décision éthique est dorénavant l’individu et non plus le commandement communautaire … Avec cette prodigieuse libération du ‘moi’, nous aurions outrepassé le stade de la libération pour entrer dans celui de la désaffiliation … Ce n’est plus vraiment l’exclusion qu’on revendique mais l’exclusion qu’on redoute … A l’individualisme désiré d’avant-hier succède l’individualisme subi d’aujourd’hui. Un individualisme négatif, habité par la peur et la méfiance de l’autre … Le désir n’est plus d’émancipation mais de ‘société’ … dans les profondeurs de la société, et à rebours de l’idéologie individualiste dominante, on s’acharne à refabriquer du ‘nous’ (multiplicité des associations…) … Il ne suffit pas de dire que le moi a besoin du ‘nous’, sans quoi il sombre dans la désaffiliation dans laquelle la dépendance est plus forte encore. Le nous est constitutif du moi… » (Jean-Claude Guillebaud) – Suite et assemblage de considérations éparses sur l’individualisme.

« On ne peut prétendre à l’universel quand on passe son temps à  fabriquer des sous-hommes. La déshumanisation des gens ordinaires  (essentialisés, animalisés,  remplis ‘d’heures sombres’,  sous-diplômés, sous-cultivés, intolérants , extrémistes … Bestialité construite et décidée) invalide la prétention à l’universel de l’idéologie dite progressiste…. Si la bourgeoisie ‘universaliste’ fabrique des sous-hommes, elle est par ailleurs fascinée par le mythe du surhomme ; le transhumanisme. » (Christophe Guilluy)

« Le caractère dominant de la barbarie, c’est l’indépendance de l’individu, la prééminence de l’individualité. » (François Guizot)

« Un homme ne peut embrasser qu’un terrain limité … Que ses intérêts gravitent autour de ses propres besoins ou qu’il s’intéresse au bien-être des êtres humains qu’il connaît, il ne peut se soucier que d’une fraction infinitésimale des besoins de l’humanité. C’est là le fait fondamental sur lequel repose la philosophie de l’individualisme. Elle ne part pas du principe que l’homme est égoïste, elle part simplement du fait des limites de notre pouvoir d’imagination … reconnaître l’individu comme juge en dernier ressort de ses propres fins, croire que ses propres opinions doivent gouverner ses actes, telle est l’essence de l’individualisme. » (Friedrich A. Hayek)

« Le fait d’agir pour le compte d’un groupe semble libérer les hommes de maintes entraves morales qui interviendraient s’ils agissaient d’une façon individuelle. » (Friedrich A Hayek)

« Ce n’est pas par la négation du singulier que l’on va vers l’universel, c’est par son approfondissement. » (Hegel)

« La grande œuvre d’art, divine en son essence, c’est l’organisation collective, grande pensée qui hante l’esprit des hommes à toutes les époques de crise sociale. » (Hegel)

« Il y a pour les éveillés un monde unique et commun, mais chacun des endormis se détourne dans un monde particulier. » (Héraclite)

« Selon l’influence que l’on attribue à la vie sociale sur le bien-être individuel, la situation idéale esquissée prendra des traits plutôt individualistes ou plutôt collectivistes. » (Axel Honneth)

« A partir du moment où les individus, dans la jouissance de libertés nouvellement acquises, commencent à ne plus se rapporter qu’à eux-mêmes, c’est désormais, avec la perte du lien social, le médium universel grâce auquel ils peuvent développer une identité raisonnable qui menace de se dissoudre … Pertes pour l’individu de la chance d’appartenir à un tout qui le dépassait et dont il était un élément constitutif, de sa relation à une universalité gouvernée par la raison, d’un noyau de convictions communes quant à des valeurs situées en arrière-plan des intérêts individuels … Déficit d’universalité rationnelle … Les sujets éprouvent manifestement de manière douloureuse le déficit de finalités communes et universelles. » (Axel Honneth)

« Le christianisme avait créé le principe de l’individualité par sa doctrine de l’âme immortelle … mais, en même temps, il relativisait l’individualité mortelle concrète. L’humanisme de la Renaissance sauvegarde la valeur infinie de l’individu telle que le concevait le christianisme, mais il l’absolutise, et par là même, en la cristallisant, il prépare également sa destruction. Pour Hamlet l’individu est à la fois entité absolue et futilité totale. » (Max Horkheimer) – Destruction, par crainte de l’irrévocabilité de la mort ? Semble dire l’auteur (athée). Pas absolument clair, même en contexte.

« Cela fait cinq siècles que l’idée du ‘moi’ occupe le terrain, il est temps de bifurquer. » (Michel Houellebecq)

« L’accent mis par le protestantisme sur la conscience individuelle … l’apprentissage des vérités divines directement dans la Bible a favorisé l’attachement américain à l’individualisme. ..  Leur culture protestante a fait des Américains le peuple le plus individualiste du monde. » (Samuel Huntington) – Emportant toutes les barrières collectives.  

« Sa vision d’une vie commune digne était fondée non pas sur l’abondance mais sur la retenue … Il partit de la propension des gens du pays à s’en remettre aux usages propres à chaque vallée. Leur méfiance à l’égard des valeurs universelles lui parut empreinte de vérité. Il vit comment la bonne vie pouvait être corrompue … que la vérité du beau et du bon n’était pas une affaire de taille, ni même de dimension ou d’intensité, mais de proportion. » (Ivan Illich – évoquant Léopold Kohr)

« Le soi doit trouver son identité morale dans et à travers son appartenance à des communautés comme  la famille, le quartier, la ville et la tribu. Ce qui n’implique pas qu’il doive accepter les limitations morales de la particularité de ces formes de communauté. Sans ces particularités morales comme point de départ, on ne saurait où commencer … Quand les hommes identifient trop aisément ou trop complètement leurs causes, en réalité partielles et particulières, à la cause d’un principe universel, ils se conduisent plus mal encore qu’ils n’en ont l’habitude. »  (Alasdair Mac Intyre) – Phénomène de notre temps qu’on retrouve dans tous les humanitarismes, antiracisme et diktats imposant des comportements relevant soi-disant de principes universels, mais dictés par des intérêts ou des obsessions en réalité partielles et particulières.

« L’homme de la modernité vit dans le monde du ‘chacun pour soi’, du ‘chacun chez soi’ ; la dimension du privé, du personnel,  de l’intime l’emporte sur celle  du communautaire, du social, du collectif. » (Roland Jaccard)

« On observe souvent chez ses cadets (de Sartre) le même arbitraire, la même revendication universaliste, le même besoin de décréter … Les intellectuels français s’arrogent seulement le droit et le pouvoir de légiférer sur l’universel, sur ce qui convient au reste du monde … L’universalisme est par essence totalitaire … Il est l’essence et l’alibi du totalitarisme de gauche. » (Claude Jannoud)

« Substituer à la première personne du singulier les harmonies trompeuses de la première personne du pluriel sous la forme de la solidarité, de la camaraderie, de l’appartenance à un même milieu social, est une ruse de l’inconscient pour échapper à l’impératif de la sortie de soi. » (Jacques Julliard)

« Nous parlons d’Universel, alors que nous ne parlons à peu près que d’uniformité. » (Hervé Juvin)

« Marcel Gauchet a montré comment s’est opérée à la fin du XX° siècle, une véritable cassure dans la représentation et la construction du ‘Nous’ … Pendant un siècle c’est le ‘Nous’ qui s’est progressivement dévoilé pendant que le ‘Je’ s’opacifiait … Toutes les formes de ‘Nous’ sont remises en question ou renégociées alors que le ‘Je’ triomphe … Nous ne savons plus véritablement ce qu’est une société … On ne parle plus guère de la transformation sociale comme projet politique … On sait transformer génétiquement l’homme, mais on a renoncé à penser la transformation de sa place dans la société.  L’inversion des rapports entre le Nous et le Je ne peut être mieux résumée. » ( Zaki Laïdi)

Isolé, sans amarres ni boussole, « l’homme moderne n’est plus que le souverain de son propre malheur. » (Lamennais)

« L’idéologie du développement personnel, optimiste à première vue, irradie résignation et désespoir profond. Ont foi en elle ceux qui ne croient en rien. » (Christopher Lasch)

« La vie dans les périodes troublées a tendance à devenir un exercice de ‘survie psychique’. » (selon Christopher Lasch) – « Le retrait dans la ‘citadelle intérieure’ semble se produire lorsque le monde extérieur se révèle exceptionnellement aride, cruel ou inique. » (Isaiah Berlin) – « L’apparition du ‘survivalisme’ constitue une autre manifestation, certes extrême,  de ce phénomène. » (Daniel Nehring)

« La poursuite de l’intérêt personnel, le calcul des plaisirs et des peines qu’engendrent l’émergence de l’individualisme mènent nécessairement à l’anarchie et au chaos. Il se produit une ‘déliaison’ sociétale ; du fait de l’absence de communication entre les sujets, il ne se dégage aucune harmonie naturelle. » (Serge Latouche)

« Recréer des limites et des frontières est nécessaire non seulement pour conjurer l’effondrement (écologique), mais aussi pour retrouver un monde commun. Les hommes ne font vraiment communauté que dans la proximité et en percevant leur différence avec les autres. Le ‘sans-frontière’ (médecins, reporters…) à la mode chez les Bobos, détruit et le commun et le monde. » (Serge Latouche)

« La mentalité individualiste constitue un ferment de décomposition du lien social. Elle ronge le tissu des solidarités traditionnelles comme un cancer. Ce qui rend l’individualisme irrésistible, c’est qu’à chacun il apparaît comme une libération. » (Serge Latouche)

« Quand les ‘moi’ inclinent à dévorer le ‘nous’ ou quand, au contraire, le ‘nous’ tend à dévorer les ‘moi’, nous frisons dans les deux cas un point limite au-delà duquel toute logique émancipatrice est condamnée à se défaire … En Europe, revaloriser un ‘nous’ civique fragilisé sous les coups de boutoir de ‘moi’ indifférents à l’intérêt général ; chez les musulmans, revaloriser la liberté et la responsabilité individuelles au détriment de la soumission aliénante au groupe d’origine. Pour le dire de façon simplifiée : il faudrait réinsufler un peu plus de ‘romantisme éclairé’ ici (de sens du commun), un peu plus de Lumières là. » (Alexandra Laignel-Lavastine) – Dommage que cet auteur ne soit pas toujours aussi clairvoyante et distancée.

« Dire que nous vivons dans une société individualiste est un mensonge patent, un leurre … Nous vivons dans une société-troupeau, parfaitement grégaire … comme l’avait bien vu Nietzsche. » (Jean-Pierre Lebrun) – « Une fourmilière. » (Bernard Stiegler)

« ‘Les droits de l’homme, droits du membre de la société bourgeoise ne sont rien d’autre que ceux de l’homme égoïste, de l’homme séparé de l’homme et  de la collectivité’  … Critique des droits de l’homme guidée chez Marx par la pensée d’une décomposition de la société en individus, décomposition qui serait l’effet du déchaînement des intérêts privés, de la dissolution des liens de dépendance qui étaient à la fois économiques , sociaux et politiques. » (Claude Lefort)

« Il y a un ‘On’ soudé, qui énonce un défense d’entrer au  ‘Je’ … On se sent bien dans une foule. Il y a la joie d’être ensemble au nom d’une cause, ou contre une injustice. Mais cette joie ne vient pas seulement de la  cause défendue et de sa légitimité, elle vient aussi du bonheur éprouvé de n’avoir plus de rapport à sa propre vérité … de la disparition de l’angoisse engendrée par le fait même d’avoir à se positionner comme sujet … ‘Les foules adorent adorer, pour ressentir la vibration d’un ‘Nous’. »  (Frédéric Gros). » (Clotilde Leguil)

« Notre impuissance à concevoir qu’on puisse être mû par autre chose que soi-même … Rétrécissement de l’individu aux dimensions du narcissisme contemporain … L’homme qui a perdu le monde pour le moi, l’individu-monade, voyageur sans bagage, sans généalogie, sans nom, sans épaisseur historique, un moi ‘sans un seul nous de rattachement’. » (Bérénice Levet – sur ce que Régis Debray appelle un phénomène de transition énergétique)

« Une transcendance vide, une transcendance morte ; notre époque, l’empire du Rien. » (Benny Lévy) – « Absence de pasteur et règne du troupeau, ignorance de la Loi et prolifération des droits, oubli des hauteurs et bassesse de l’individu-roi. » (Jean Birnbaum – reprenant Benny Lévy) – Sur notre époque.  Et c’est avec ce temps qu’il faudrait vivre !

 « C’est l’individualisation extrême de nos sociétés qui, ayant affaibli les résistances du ‘dedans’, sous-tend la spirale des troubles et des déséquilibres subjectifs … Moins les normes collectives nous commandent dans le détail, plus l’individu se montre tendanciellement faible et déstabilisé … Livré à lui seul, désencadré, l’individu se trouve dépossédé des schèmes sociaux structurants qui le dotaient de forces intérieures lui permettant de faire face aux malheurs de l’existence … La multiplication des troubles psychologiques et des discours de plainte. » (Gilles Lipovetsky)

« Tocqueville l’a fortement souligné, l’individualisme démocratique est le tombeau du règne du passé : chacun reconnu libre aspire à se dégager des liens contraignants et impératifs qui l’attachent au passé … A l’occasion de chaque mode, il y a un sentiment, aussi ténu soit-il, de libération subjective, d’affranchissement. Avec chaque nouveauté, une inertie est secouée, un souffle d’air passe… » (Gilles Lipovetsky)

« Sacre des droits de l’homme qui parachève le processus de reconnaissance de l’individu comme référentiel absolu, ultime boussole morale, juridique et politique de nos contemporains déliés de toutes les anciennes formes d’appartenance collective. » (Gilles Lipovetsky ; Jean Serroy)

« A l’âge de l’individualisme hypermoderne, le moi n’est plus haïssable, tant il est vrai qu’on assiste à une formidable expansion sociale des pratiques d’exposition de soi. » (Gilles Lipovetsky, Jean Serroy)  – A en être écœuré.

« Le ‘je’ n’est pas d’abord lui-même, mais il est ‘je’ par les autres, et selon les modalités du ‘on’ ; c’est à partir de ce dernier que je suis donné à moi moi-même. » (Michel Maffesoli – interprétant Heidegger)

« C’est à partir de la forteresse du ‘je’ que la modernité entreprit la conquête de la nature et la régulation du monde social. » (Michel Maffesoli – sur l’individualisme triomphant)

«  La métaphore du ‘pont et de la porte’ de Georg Simmel. Celle-ci enfermant sur soi, mettant l’accent sur l’identité, sur les institutions plurielles. Celui-là, tout au contraire, symbolisant une reliance fondamentale avec les autres et la nature. » (Michel Maffesoli) 

« ‘Un’ fut la spécificité de la culture judéo-chrétienne puis moderne. » (Michel Maffesoli)

« De quoi est faite cette vie ? Sinon, justement, du contraire de l’individualisme. Comment comprendre tous ces ‘affoulements’ ponctuant l’existence sociale. Rassemblements musicaux dont la techno-parade … communions religieuses telles les J. M. J., extases sportives, célébrations consommatoires dont les hypermarchés et les multiples ‘solderies’ sont les temples contemporains, obsèques nationales avec attroupement, fanfare et liturgie de pacotille pour quasiment n’importe qui, descentes des Champs-Elysées à la moindre occasion, transport au Panthéon devenu simple routine … Il y a de l’hystérie dans l’air à la moindre occasion. » (Michel Maffesoli)

« Le principe d’unité qui sous-tend l’idéologie de l’ordre et le monothéisme social est ce qui permet de comprendre le projet ‘totalitaire’ de la révolution. Ramener la vie sociale à l’Un, et pour cela inciter à l’identification au parti, au chef, au but final … La révolution est bien alors ce référentiel suprême qui donne sens à une existence jusqu’alors éclatée. C’est ce souci de pureté … qui est … éminemment utopique, C’est ce souci que l’on retrouve chez tous les inquisiteurs sociaux, les ‘parfaits’ d’un catharisme moderne, et qui peut faire dire que ce totalitarisme est effectivement commun à tous les projets de sociétés parfaites qui ponctuent l’histoire … La Terreur de 1793 ou les purges des années trente en Union Soviétique sont dans la logique de l’idéologie égalitaire, elles traduisent d’une manière paroxystique le fantasme de l’unité qui se fonde sur la crainte de la différence. » (Michel Maffesoli – La violence totalitaire)

« Comme le bourgeoisisme triomphant avait pour vecteur essentiel l’individualisme, le modèle communautaire fut progressivement refoulé. » (Michel Maffesoli)

« A l’encontre de l’attitude distinctive qui avait prévalu durant la modernité, c’est plutôt la fusion groupale qui prend le dessus dans l’âge esthétique … Le bourgeoisisme est essentiellement distinctif. Il a pour ultime valeur l’individu et ses particularités. Par contre, la culture alternative est une culture de  groupe … une culture des sentiments, parfaitement amorale, elle repose sur le plaisir et le désir d’être ensemble sans but particulier et sans objectif spécifique. » (Michel Maffesoli) – Pour l’auteur, ce dernier âge est l’actuel, celui dit de la post-modernité.

« Il n’y a point d’Homme dans le monde. J’ai vu, dans ma vie, des Français, des Italiens, des Russes etc. ; je sais même, grâce à Montesquieu, qu’on peut être Persan. Mais quant à l’homme, je déclare ne jamais l’avoir rencontré de ma vie. S’il existe, c’est bien à mon insu. » (Joseph de Maistre – évoquant des constitutions proclamées faites pour l’Homme, stupidités)

« L’individualisme pur, par là même qu’il méconnaît la réalité propre des liens sociaux surajoutés aux hommes … aboutit fatalement, dés qu’il entreprend de construire une société, au pur étatisme car la loi sera définie dés lors l’expression de la volonté générale et ce n’est plus de la raison, c’est du nombre qu’elle émanera. » (Jacques Maritain)

« Toutes ces phrases qui tournent autour du ‘Moi’, Moi l’unique, qui ne peux pas attendre … Le manège égoïque : tension, irritation, colère… Ce besoin maladif que l’on vous remarque, que l’on vous considère, que l’on vous aime, que l’on vous reconnaisse, que l’on fasse attention à vous, que l’on dise que vous êtes belle, beau, brillant, intelligent … Ces luttes pour imposer votre point de vue … Passer du ‘Qui êtes-vous ?’ au ‘Qu’êtes-vous ?’ … Dans la conversation, se passer du ‘Je’ et du ‘Moi’ … Se poser quelque part, au calme …  C’est quand l’esprit est parfaitement silencieux que l’on comprend. »  (Serge Marquis – sur la décroissance personnelle.)

« L’essence humaine n’est pas une chose abstraite, inhérente à l’individu isolé. Elle est, en réalité, l’ensemble des relations sociales. » (Karl Marx)

« La véritable richesse de l’individu dépend entièrement de la richesse des relations réelles où il est impliqué. » (Karl Marx)

« L’individualisme social est inséparable du subjectivisme moral et du relativisme culturel, c’est-à-dire de la dissociation généralisée de tous les principes sur lesquels s’était édifiée la culture de l’Europe. » (Jean-François Mattéi) – Et au-delà de l’Europe.

« ‘Introduire un sens dans le monde, une tâche qui reste encore absolument à accomplir’ … Si l’authenticité de l’homme est le sentiment vécu de sa propre existence, elle ne peut en rien lui donner un sens puisque le sens implique la distance d’un horizon moral vers lequel il tend … La pure présence à soi, dans l’écoulement indifférent de la vie, abolit tout horizon de signification en aveuglant le regard que l’on porte sur le monde. » (Jean-François Mattéi – citant Nietzsche)

« Qu’on en convienne ou non, si l’universel n’appartient pas, par essence, à une culture particulière, il reste qu’il a été découvert et mis en pratique par la culture occidentale … Que la philosophie soit née en terre grecque, l’humanisme en terre italienne et les Lumières en terre française, est peut-être accidentel au regard de la raison qui est universelle, mais c’est une donnée historique. » (Jean-François Mattéi)

« Le tumulte intérieur déchaîné. » (Charles Maurras)

« Chateaubriand fut des premiers après Jean-Jacques (Rousseau) qui firent admettre et aimer un personnage isolé et comme perclus dans l’orgueil et l’ennui de sa liberté. » (Charles Maurras)

« Comme le dit Auguste Comte, le ‘saint problème humain’ consiste à instituer d’une manière continue et permanente, habituelle, cette prépondérance, ordinairement temporelle et accidentelle ou fort exceptionnelle de  la ‘sociabilité sur la personnalité’. Il s’agit de subordonner constamment ‘l’homme à l’humanité’. » (Charles Maurras)

«  On a tort de penser que le sujet est avide de préserver sa singularité. Bien au contraire, on le voit se mettre  en quête de toutes les identifications collectives où il pourra venir se dissoudre. Le souci d’être pris en charge, de confier à des systèmes religieux, culturels, politiques, la direction de son existence, est plus évident que jamais. A mon idée, la démocratie, avec son idéal du libre choix, ne conduit pas forcément, du point de vue psychique, à l’état le plus satisfaisant, le plus heureux. L’aspiration moutonnière de nos contemporains est là pour le montrer…» (Charles Melman)

« Dissolvant le sens abandonnique de l’espèce dans la grande marmite de la communauté … Dans la jouissance fusionnelle, serré bien au chaud contre ses semblables, l’individu avec son angoisse disparaît et devient l’infinitésimale cellule du corps social. Telle est aujourd’hui encore la fonction anti-individu du ‘stade à 100.000 places’, de la ‘love parade’, du million de pèlerins réunis à Rome pour la fin de l’année sainte … Que cherchent les milliers de participants en transe d’une ‘rave-party’ et les dizaines de milliers de spectateurs d’un match de football, et sur un versant plus agressif, les hooligans, sinon à se décharger, un moment, d’une identité individuelle trop lourde à porter avec ses conflits et ses contradictions ? La fusion collective de l’immense et étourdissant cri poussé en commun, à chaque fois qu’un but est marqué, les libère de la modernité, dans un temps qui se situe hors le temps puisqu’il rejoint, à notre sens, la chasse collective des premiers temps de l’humanité. » (Gérard Mendel)

« Chose à peine croyable, un homme va, à lui seul, personnifier ce qui caractérise le troisième moment de la modernité (après les cités Athènes et Rome) : la naissance du sujet et de la subjectivité, le regard qui se porte vers la vie intérieure, le fonctionnement d’un endopsychisme complexe … Bon nombre de découvertes freudiennes sont présentes dans les ‘Confessions’, dont celle, essentielle, de conflit intrapsychique … ‘Je me trouvais aux prises avec moi, mon être même disloqué’ … cautionnant et encourageant la dévaluation de l’homme pécheur … L’autorité familialiste s’intériorise : sa puissance opère depuis l’intérieur de soi et non plus par l’action de la communauté ; la honte devient culpabilité … le conflit intra-volonté se situe ainsi entre ‘moi’ (fils d’Adam) et ‘moi’ (âme divine) … Lutte (déjà freudienne) entre deux parties du moi, l’une porteuse des pulsions et l’autre identifiée au surmoi … La conscience intime de soi,  est née voici seize siècles d’un génie malade de culpabilité. La subjectivité a été payée d’un abandon majeur : celui du plaisir d’être innocemment soi, si en accord avec les mœurs, coutumes, valeurs de la communauté. Le prix d’une vie intérieure est la perte de l’innocence … Jusqu’à Augustin, l’autorité s’imposait à l’individu depuis la communauté … avec la sanction de la honte. Avec Augustin, l’autorité du ‘genos’ s’intériorise, et la religion devient le lieu où va se jouer, à des millions d’exemplaires, le théâtre tout intérieur de la culpabilité d’ego … Le cadran où lire le bien et le mal se trouve désormais à l’intérieur de soi. La conscience morale se fait juge du moi coupable. » (Gérard Mendel – A considérer aussi que dans le monde déstabilisé d’Augustin (invasions barbares et chute de Rome), il devenait impossible de trouver, comme autrefois, un équilibre personnel et une identité stable à l’extérieur de soi, dans les liens communautaires. L’auteur analyse aussi le rôle indirect de l’incontestablement puissante mère d’Augustin, sainte Monique, dans le processus augustinien menant à la culpabilisation)

« il y a une vertu de l’individualisme : en commandant égoïstement le retrait et l’abstention, il favorise une paix d’abstention ou d’indifférence. ‘Je ne suis pas concerné’. » (Yves Michaud)

 « ‘L’universel c’est le local, moins les murs’ … Une communauté se civilise quand, sans destruction, sans abandon de ce qui la  caractérise (langues, coutumes), elle parvient à s’ouvrir à d’autres groupes. » (Jean-Claude Michéa – citant la belle phrase de Miguel Torga) – De même pour la personne.

« L’aliénation spécifique dans laquelle se débat de nos jours l’individu libéral-libertaire, prototype humain désormais fabriqué en série, dont la gauche n’a pas le monopole, bien qu’elle constitue à l’évidence son refuge de prédilection. Cet individu, en effet, doit s’imaginer en permanence qu’il est dans la marge afin de pouvoir continuer à se sentir dans la norme ; il lui faut croire à tout instant qu’il vit dans la transgression, le libertinage et la volupté épicurienne, modes de vie bien évidemment au-dessus de ses moyens, pour demeurer le pantin pathétique qui s’agite désespérément dans l’univers ennuyeux, tyrannique et puritain de la consommation obligatoire et de ses changements incessants. » (Jean-Claude Michéa)

« La modernité occidentale apparaît comme la première civilisation de l’histoire qui ait entrepris de faire de la ‘conservation de soi’ le premier (voire l’unique) souci de l’individu raisonnable et l’idéal fondateur de la société. » (Jean-Claude Michéa)

« Je veux qu’on me distingue, et pour le trancher net

« L’ami du genre humain n’est pas du tout mon fait. » (Molière – Le misanthrope)

« C’est le propre du nominalisme (fondement philosophique du libéralisme) que de ne reconnaître que l’individu et le cas individuel … Compter les hommes en tant qu’unités permet leur réduction à une seule science, le calcul économique, clef d’autres manipulations. » (Thomas Molnar)

« Ce qui n’est point utile à l’essaim n’est point utile à l’abeille. » (Montesquieu)

« L’aspiration à l’universalité risque la perte de contact avec le concret et la volonté d’imposer une vérité universelle peut conduire à la terreur. A l’inverse, la défense du concret conduit au particularisme  clos, et même au mythe abstrait de la concrétude (la terre, le sang…). » (Edgar Morin)

« L’universel abstrait qui détruit tout ce qui lui fait obstacle, l’universel menteur qui sert de masque à des pouvoirs et des intérêts particuliers. ». (Edgar Morin)

« L’universalisme délirant, qui a sous-estimé l’importance des racines religieuses, ethniques, nationales, et qui accepte, pour le bonheur de l’humanité, le sacrifice des populations rétives, c’est-à-dire la religion du salut terrestre. » (Edgar Morin – sur le communisme)

« Le côté positif de l’individualisme moderne est de donner à chacun plus de responsabilité et d’autonomie ; son côté négatif est de dégrader les solidarités et d’accroître les solitudes. » (Edgar Morin)

« Le tissu de l’individualisme moderne est effectivement nihiliste à partir du moment où rien  ne vient justifier l’individu sinon son propre bonheur … Le nihilisme contemporain n’est pas seulement affaire de philosophes, littérateurs ou blousons noirs, mais est historique ment vécu comme expérience du déclin ou de la mort des grandes Transcendances, des significations extérieures et supérieures à une vie mortelle. » (Edgar Morin)

« La notion de développement est pseudo-universaliste, elle semble valoir pour tous ; nous savons que c’est un mythe typé d’un sociocentrisme occidental forcené. L’universalisme signifie que c’est l’Occident qui est porteur de l’intérêt universel de l’humanité. » (Edgar Morin) – Idem pour la version corrigée, amendée, du développement dit durable.   

« L’amour est devenu la vraie religion de l’individualisme privé moderne. » (Edgar Morin)

« Le bluff du grand retour de flamme de l’individualisme, dans un monde où toute singularité a été effacée, est une de ces tartes à la crème journalistico-sociologique consolatoire. » (Philippe Muray)

« Ne pas pouvoir dire ‘nous’, c’est ce qui précipite chaque ‘je’, individuel ou collectif, dans la démence où il ne peut pas non plus dire ‘je’. Vouloir dire ‘nous’, cela n’a rien de sentimental rien de familial ni de communautariste. C’est l’existence qui réclame son dû, ou sa condition : la co-existence … il n’y a pour ainsi dire plus de ‘cité’ ni même de ‘société’ dont on puisse modeler une figure régulatrice. » (Jean-Luc Nancy)

« Le ‘nous tous’ de l’universalisme abstrait et le ‘moi je’ de l’individualisme misérable. » (Jean-Luc Nancy – Être singulier pluriel)

« Le socialisme, selon Polanyi, serait plutôt ultra libéral (au sens de laxiste) à l’égard des dérèglements de la vie privée … et en ce sens c’est le socialisme qui serait, paradoxalement, un individualisme. » (Philippe Nemo – interprétant Karl Polanyi) – Parfaitement exact, et une contradiction de plus.

« Les mœurs démocratiques produisent et développent l’individualisme qui nous expose aux dangers que courrait une ruche sans reine : chaque abeille songe à elle et aucune ne songe à l’essaim. » (Charles-Nicolas de Nugent)

« Le narcissique de notre temps est tout sauf renfermé sur lui-même. Au contraire, il recherche en permanence le regard d’autrui (c’est un exhibitionniste). D’une part, un individu toujours plus tourné vers lui-même. D’autre part, un individu enclin chaque jour davantage à se donner en spectacle … Autrefois, le touriste était le spectateur admiratif du monde. Désormais, le monde est le décor laudatif de l’amour de soi. » (Denis Olivennes) – Un véritable zombie, comme l’énorme majorité de nos soi-disant dirigeants, comme les pantins du show-biz et des écrans de toutes sortes.

« L’individualisme radical est une exigence sempiternelle, car sans cesse le social veut les individus pour les avaler, les digérer, les anéantir. » (Michel Onfray)

« Parce qu’il ne sacrifie à aucun idéal collectif, le Condottiere est nominaliste et traite par le rire les religiosités nouvelles qui se construisent sur l’adoration de généralités : l’Homme ou le Droit, la Loi ou le Peuple, la Nation ou la Patrie … La Famille, l’esprit de Caste, le Social lui répugnent par leur voracité et leur anthropophagie … Nouveaux totems, les devises qui font de Liberté, Egalité, Fraternité aussi bien que Travail, Famille, Patrie des figures d’autant plus à révérer … Tous ces idéaux se nourrissent d’intelligence, de conscience, de raisons singulières pour ne régurgiter qu’un incroyable réseau de fils gluants qui emprisonnent les exceptions, les réduisent et font des citoyens dociles et soumis … Abdiquer sa souveraineté au profit d’une sécurité obtenue par le groupe, c’est toute l’alchimie du contrat social auquel voudraient nous faire croire ses partisans … Ridicules et niais, les adorateurs et leurs clercs ont produit des doctrines universalistes à l’aide desquelles ils ont châtré les velléités singulières et individualistes … Croire à l’existence de concepts autonomes, c’est installer le virtuel à la place du réel, remplacer la proie par l’ombre et permettre l’aliénation … Le culte de l’abstraction … Le lien est tissé à l’aide du concept érigé en entité autonome … Le nominalisme dispense d’aimer l’idée qu’on se fait du réel pour lui préférer le réel lui-même … Il invite à la circonspection devant le concept et à l’extrême souci face aux fragments du réel, et à son épiphanie sous la forme du divers … Rien ne le heurte plus que la passion égalitaire … Il aime les différences et les cultive, apprécie le divers et le sollicite … L’homogène est un phantasme à partir duquel s’élaborent les servitudes volontaires … Vient alors le règne de la quantité qui voue aux gémonies la qualité et les audaces … … guerre contre les singularités … L’exception comme ce qui justifie une civilisation. » (Michel Onfray – éloge de la personnalité, du nominalisme qui écarte les concepts généraux abstraits) – « Maintenir le particulier en vie dans un monde qui simplifie et généralise, c’est la bataille dans laquelle s’engager. » (Philip Roth)

« Lorsque quelqu’un n’a pas de points de repère extérieurs auxquels se référer la trace même de sa propre vie perd de sa netteté. » (George Orwell)

« L’individualisme est une doctrine qui au lieu de subordonner l’individu à la collectivité (comme le socialisme), pose en principe que l’individu a sa fin en lui-même ; qu’en fait et en droit il possède une valeur propre et une existence autonome, et que l’idéal social est le plus complet affranchissement de l’individu. » (Georges Palante)

« L’individualisme est le sentiment d’une antinomie profonde, irréductible, entre l’individu et la société … surtout quand la vie de l’individu est rendue plus compliquée, plus laborieuse, plus dure au milieu des mille rouages d’un mécanisme social de plus en plus tyrannique. » (Georges Palante)

« Le mépris individualiste est une volonté d’isolement, un moyen de garder ses distances, de préserver son être intime, sinon son être physique, du contact de certaine choses et de certaines gens … Mépris proprement antisocial, qui s’adresse à des groupes humains déterminés … ‘Toute situation sociale acquise suppose un amoncellement inimaginable de bassesses et de canailleries sans nom’ (Stendhal) … ‘Heureux qui porte en soi, d’indifférence empli – Un impassible cœur sourd aux rumeurs humaines – Un gouffre enviolé de silence et d‘oubli’ (Leconte de Lisle). » (Georges Palante)

« L’individualisme est antisolidariste, antidogmatique et peu enclin au prosélytisme. Il prendrait volontiers pour devise le mot de Max Stirner : ‘Je n’ai mis ma cause en rien’ … L’individualisme est un pessimisme social, une défiance raisonnée vis-à-vis de toute organisation sociale. » (Georges Palante)

« L’homme supérieur dans l’individualisme aristocratique n’est pas celui qui nie tout lien social et toute culture ; c’est celui qui résume en lui la culture d’une époque, mais en la dépassant … en la marquant du sceau de sa personnalité (Léonard de Vinci, Goethe…). » (Georges Palante)

« ‘Je me promène parmi les hommes comme s’ils étaient des arbres’ … S’isoler, se retirer en soi … voilà une véritable attitude individualiste. » (Georges Palante – citant Descartes méditant) – Très bien sauf de temps en temps…

« ‘Il y a peu d’être en l’homme’ … La gageure de l’individualisme démocratique … est d’avoir laissé croire que l’individu pouvait advenir par lui-même, en dehors des médiations de la culture et de l’éducation. » (Paul-François Paoli – citant Chateaubriand)

« La modernité a accouché d’un monstre : cet individu libéré de toutes les traditions, de plus en plus critique à l’égard de toute norme ou tout devoir, mais jaloux de ses droits exclusifs … Cet individu ‘incertain’ (Ehrenberg), ‘unique mais insignifiant’ (Cioran). » (Paul-François Paoli)

« L’hérésie de Guillaume d’Okham, qui va ouvrir la voie à Hobbes puis à Luther est fondée sur une perte de confiance en la raison comme matrice du bien commun. L’individu perd confiance en l’institution, l’Eglise ou l’Etat, et se réfugie dans son intériorité, seule source de vérité et d’authenticité. Ce retrait dans la subjectivité va générer l’individualisme qui est au fond du protestantisme. » (Paul -François Paoli – résumant Michel Villey)

« Plus l’individu s’érige comme sens unique du monde et plus le monde s’appauvrit et s’étiole dans le non-sens. » (Paul-François Paoli – évoquant la position de Michel Houellebecq)

« Il faut tendre au général, et la pente vers soi est le commencement de tout désordre, en guerre, en économie, etc. » (Blaise Pascal)

«  Nos sociétés sont-elles guettées par le collectivisme ? Il y a des prémices troublantes. La repentance, la haine de soi, les excuses publiques, les projets de rééducation du peuple, l’admonestation des adultes par les jeunes façon Thunberg, le divorce d’avec la réalité, le dirigisme d’État, l’obsession égalitaire et son corollaire, la suppression des privilèges (le privilège blanc est en vogue, qui établit la culpabilité sans procès) : le climat actuel ne présage rien de bon.  » (Sylvie Perez –à  propos d’un musée de la terreur communiste) – A Londres, pas à Paris, ne rêvons pas.

« Dans cette société fortement individualiste, il appartient … au sujet seul de se forger un statut et un rôle … devenir lui-même l’auteur de ses propres valeurs et le juge de leur application … Solitude prométhéenne… Lorsque la tradition est oubliée ou méprisée … l’homme est d’autant plus disposé à s’ériger en juge impitoyable (sur ses actes, comme même sur ses mouvements les plus secrets et fugitifs). » (Evelyne Pewzner)

« L’apparition d’un individualisme grossier … était la conséquence de la fin de l’ordre tribal. » (Karl Polanyi – interprétant Hésiode, Les travaux et les jours) – L’éclatement du clan, fin de la réciprocité.

« L’anti-individualisme est, dans les grandes lignes, le signe de toutes les écoles de pensée fascistes. » (Karl Polanyi) – Logique, l’individualisme étant absolument nécessaire au capitalisme libéral et le fascisme étant d’essence anticapitaliste.

« On ne peut demander à un amalgame d’individus dont on a célébré les particularités et autorisé les revendications de faire soudain corps pour cause d’épidémie. On a les dirigeants que l’on mérite et le chef les subordonnés dont il est digne. » (Lydia Pouga – évoquant Emmanuel Macron)

« Beaucoup de grands artistes ne peuvent pas concevoir, quand ils pérorent, que l’intérêt principal de la circonstance ne soit pas attaché à leur personne et rien qu’à leur personne. » (Robert Poulet) – Le travers n’est pas réservé aux seuls artistes ! 

« Les citoyens, livrés aux pures attractions de l’individualisme, ne sauraient, quoi qu’ils fassent, être autre chose qu’un agrégat d’existences incohérentes et répulsives que dispersera comme poussière le premier souffle. » (Joseph Proudhon)

« Réduire les citoyens à leur groupe de référence procède d’une approche individualiste qui décourage une véritable action collective. » (Philippe Raynaud) – C’est donc bien utile pour un pouvoir. Diviser pour régner.

«  L’idéologie holiste ‘valorise la totalité sociale et néglige ou subordonne l’individu humain’ ; à cette idéologie correspond la société hiérarchique, ou la société de castes … L’idéologie individualiste favorise au contraire l’individu ; ‘l’être indépendant, autonome, essentiellement non social’ et corrélativement ‘néglige ou subordonne la totalité sociale’ ; à cette idéologie correspond logiquement la société égalitaire, puisque, si l’individu comme tel est la valeur suprême, il ne peut être soumis à nul autre que lui-même ; tout principe de hiérarchie se trouvant par là exclu au profit du principe d’égalité. C’est un tel individualisme qui constitue la ‘valeur cardinale des sociétés modernes’ … La désocialisation de l’homme si elle est inscrite dans la logique de l’individualisme … ‘Les deux traits qui caractérisent les Européens modernes semblent contradictoires : l’individualisme et l’égalitarisme. J’ai fini par comprendre’ (Nietzsche). Ce que Nietzsche a fini par comprendre, c’est qu’en réalité l’individualisme moderne est inséparable de l’égalitarisme à travers lequel il s’exprime et s‘accomplit. Lien paradoxal … dans sa genèse, l’individualité moderne ‘faible et craintive’, a dû, pour ne pas souffrir des différences, entreprendre de les nier. Défendre la valeur de son existence, ce sera, pour l’individu moderne, ‘exiger que tous les autres lui soient reconnus égaux’. Selon Nietzsche, l’individualisme moderne est celui qui valorise l’égalité. En ce sens, il va de pair avec le christianisme (égalité devant Dieu) et avec la démocratie (égalité pour tous les hommes). » (Alain Renaut – citant Louis Dumont et Nietzsche – considérations éparses sur l’individualisme – L’ère de l’individu)

« ‘Je’ était le singulier de ‘nous’, ‘nous’ devint le pluriel de ‘je’ …C’est à partir du XVIII° siècle que le mot individu commença à être employé … Retournement historique : de terme d’une division, l’individu  se mit à être envisagé comme ‘point de départ’ extérieur et antérieur au monde partagé. » (Olivier Rey)

« L’individu voudrait se sauver en triomphant du monde. C’est le cri de Rastignac jetant son défi à la société sur les hauteurs du Pére-Lachaise : ‘A nous deux maintenant’. D’un côté l’individu, de l’autre le monde. » (Olivier Rey)

« A partir de 1791, Louis XVI, comme Napoléon, Louis XVIII…  n’était plus le roi de France, mais le roi des Français, alors que l’empereur restait d’Autriche, le roi de Prusse, le tsar de Russie…  ‘La Révolution n’a laissé debout que les individus’ (Royer-Collard). » (Olivier Rey)

« L’homme européen, libéré et individualisé, se retrouve en même temps isolé, étranger au monde. Il n’est plus nulle part chez lui. Quels que soient les efforts et les subterfuges qu’il va déployer pour l’oublier, sa première réalité est devenue la solitude et le déracinement … ‘Mais hélas j’ai appris à me différencier de tout ce qui m’environne, je suis isolé au sein du monde si beau, je suis exclu du jardin de la nature où je croîs, fleuris et dessèche au soleil de midi’ (Hölderlin) … La nudité de notre situation : celle d’un individu libre mais dont la liberté a été acquise au prix de ce qui aurait fait sa valeur, le lien avec le monde … Toutes les religions , toutes les cultures tiennent compte d’un état primitif de complétude, d’indivision ; la séparation n’est pas abolie, elle est intégrée dans des récits, des coutumes, une histoire, des fidélités … C’est cela qui a changé. Avec l’avènement de la modernité la séparation devient une donnée brute, sans justification … ‘Chaque âme constitue un monde à part ; pour chaque âme, chaque autre âme est un arrière-monde’ (Nietzsche – Zarathoustra). Plus rien n’assure en profondeur la concordance des vérités individuelles, plus rien ne les relie. Et l’individu, retranché en lui-même, reste sans consolation. » (Olivier Rey)

« ‘Elle avait oublié son moi, elle avait perdu son moi, elle en était libérée ; et là il y  avait le bonheur’ (Milan Kundera) … Elle se sent délivrée, lavée de ‘la saleté de son moi’ : les soustractions successives , enfin, aboutissent à zéro … ‘Comme un voyageur qui a fait abandon de son bagage et marche à l’aventure, sans souci de ce qu’il laisse après soi ‘(Paul Valéry) … Dans un monde apaisé, accordé, débarrassé de tout manque et de tout conflit et dans lequel l’être éprouve qu’il réalise pleinement sa nature … L’apaisement n’est pas de se hausser au-dessus du monde, il n’est pas de se replier sur soi. Il est, simplement, de jeter les armes et de disparaître : de consentir à être mortelle. » (François Ricard – analysant L’immortalité de Milan Kundera)

« Je ne suis moi que dans le regard qu’autrui m’adresse, dans le nom qu’il me donne et dans l’image qu’il me renvoie de moi-même ; sans ce droit que j’accorde aux autres de la confirmer sans cesse, mon identité s’effrite et se réduit à la combinaison aléatoire de quelques gestes et de quelques traits qui n’ont en eux-mêmes aucune signification et n’appartiennent en propre à personne. » (François Ricard)

« Est-il possible de repérer ce point où la culture de l’individualité dégénère en individualisme, c’est-à-dire en culte d’un individu affranchi de tout ancrage social, prétendument autoproduit et auto-construit ? » (Claude Romano)

« Pour affirmer son universalité, la religion doit se détacher de la culture (en tout cas de  la culture occidentale). » (Olivier Roy) 

« Nous avons un plaisir extrême à concélébrer notre similitude. » (Pierre Sansot)

« L’existence précède l’essence … L’homme n’est rien, il ne sera qu’ensuite (une fois né) et il sera tel qu’il se sera fait. Il n’y a pas de nature humaine puisqu’il n’y a pas de dieu pour la concevoir. » (Jean-Paul Sartre) – Définition de l’existentialisme. Pleine liberté, pleine responsabilité : épreuve suprême, insupportable ?

« Le mythe de la représentation supprime le peuple comme l’individualisme supprime l’individu. » (Carl Schmitt)

« Une société qui se réfère à des principes universels trahit par définition les valeurs dont elle se réclame …Plus les sociétés ont d’ambition universelle, plus elles sont susceptibles de trahir les valeurs qu’elles proclament. » (Dominique Schnapper) – Des sociétés-zombies comme la plupart des sociétés occidentales, celles qui singent, par soumission, le modèle américain.

« L’homme démocratique s’impatiente devant toute compétence, y compris celle du médecin ou de l’avocat, qui remet en cause sa propre souveraineté … les professions qui instituaient une forme, même indirecte ou modeste, à des valeurs collectives sont touchées par l’épuisement de la transcendance collective, qu’elle soit religieuse ou politique. » (Dominique Schnapper –citée par jacques Rancière)

« Jamais n’ont été si dépendants du collectif nos concitoyens qui clament leur indépendance personnelle … Symptôme de cet individualisme de masse, le recours dans les énoncés courants …  au pronom indéfini ‘on’ à la place de ‘nous’, et même de ‘je’ dans l’insupportable : ‘on va dire’. » (Michel Schneider) – Enoncés d’hommes sans qualités, dires de laquais.

« Plus je vais chez les hommes, plus j’en reviens inhumain. » (Sénèque)

« L’idéologie du développement personnel, optimiste à première vue, irradie résignation et désespoir profond … Le moi de chaque individu est devenu son principal fardeau. Se connaître soi-même est devenu un but, une fin en soi, au lieu d’être un moyen de connaître le monde … Plus notre psyché se privatise, moins elle est vivante.  » (Richard Sennett – cité par Alain Ehrenberg)

« Le connectif remplace le collectif. » (Michel Serres)

« Le résultat (paradoxal) de cette fermeture par rapport à tout autre domaine du savoir est que le langage ainsi épuré devient universel. Le mouvement de clôture est un mouvement universalisant. A mesure d’épuration (radicale), la mathématique tend vers le degré zéro d’application (ou de référence extérieure) et donc vers le maximum d‘applicabilité. Le langage le plus indépendant est le langage des langages. Moins il a de fenêtres, plus l’univers peut se mirer en lui. » (Michel Serrres – La communication) – Contrairement à ce que prétendent les forcené(e)s de l’ouverture, l’universel suppose la fermeture préalable ; au moins jusqu’à un certain degré.

« Lorsque saint Paul nous ‘relève de la Loi’, il libère d’abord notre identité propre de ce lien collectif. Alors la notion et les conduites d’appartenance pavent la Méditerranée. La culture grecque, politique et cosmique, la tradition d’Israêl, sainte, celle de Rome, juridique, la terre habitée toute entière qui sépare hommes libres et esclaves, mâles et femelles … saint Paul abandonne ces formats, entreprise nouvelle de  propagation universelle d’une subjectivité non référée à une culture … ‘Il n’y a plus ni Juif ni Grec, ni esclave ni homme libre, ni mâle ni femelle’ (Gal, III, 28) … Saül voit les conséquences de la loi, la construction de l’appartenance sur la violence collective, la  ‘libido’ d’appartenance qui porte à la plupart des crimes de l’histoire … Le meurtre d’Etienne … selon la loi dont la lettre tue en effet. » (Michel Serres – Rameaux)

« Sens et communauté se conjuguent dans le sens commun. Et cette conjugaison est l’œuvre commune de la mise en commun. » (Lucien Sfez)

« L’âme de chaque homme chemine entre la naissance et la mort à travers une infinité de destinées, de phases, d’humeurs. Celles-ci, considérées d’après leur contenu, offrent  des aspects d’ensemble bien différents, mais l’individualité du sujet les concilie cependant en l’unité d’une image ; comme le timbre d’une voix reste le même, quelle que soit la diversité des paroles prononcées, ainsi tout ce qu’une vie a vécu garde une coloration inaltérable, un rythme caractéristique … A travers la multiplicité des  contenus particuliers que nous avons parcourus, nous sentons que c’est la même âme qui chemine, sans que ces contenus particuliers déteignent en quoi que ce soit sur sa nature … Sages ou fous, animaux ou saints, bienheureux ou désespérés, quelque chose persiste en nous. .. L’être aurait  pu être déterminé ou agir autrement et même il aurait pu être ‘autre’, sans perdre pour cela son identité, parce que toutes ces données sont englobées par un moi qui persiste en dehors de ses déterminations spéciales et de ses actions … Ce fait énigmatique, qu’un être  eut pu  être toujours différent et rester cependant le même» (Georg Simmel) 

« Il est pour l’homme essentiel de se donner  lui-même des limites, mais librement, c’est-à-dire de telle sorte qu’il puisse de nouveau supprimer ces limites et se placer en dehors d’elles … L’homme, être-frontière qui n’a pas de frontière … La porte, en créant si l’on veut une jointure entre l’espace de l’homme et tout ce qui est en dehors de lui abolit la séparation entre l’intérieur et l’extérieur … La mobilité de la porte brise la limitation pour gagner la liberté … la limite jouxte l’illimité … à travers le possibilité d’un échange durable ; à la différence du pont qui relie le fini au fini … Avec la porte, la sortie de son être-pour-soi afin d’entrer dans le monde et la sortie du monde pour entrer dans son être-pour-soi … Comment de cet être naturel elle scinde l’uniformité continue … Alors que le pont, ligne tendue entre deux points, prescrit une direction absolue, unifie la scission de l’être purement naturel, la porte est ainsi faite que par elle la vie se répand hors des limites de l’être-pour-soi isolé … Là-dessus repose le sens plus riche et plus vivant de la porte, comparé au pont, sens qui se révèle aussi par ce fait qu’il est indifférent de franchir un pont dans un sens ou dans l’autre, alors que la porte indique au contraire une totale différence d’intention selon qu’on entre ou qu’on sort (pour la fenêtre, le sentiment téléologique va presque uniquement de l’intérieur vers l’extérieur) … Les murs des portes des cathédrales se rétrécissant vers l’intérieur, et le sens de ces portes conduisant au-dedans et non au-dehors, orientation nécessaire au mouvement de la vie en Eglise. » (Georg Simmel –  Le pont et la porte – qui unissent et séparent) – J’ai fait au mieux que je pouvais faire, mais complètement dépassé par Simmel, j’ai dû tronquer, omettre, falsifier peut-être un peu, en tout cas rester au ras des pâquerettes.

« Il n’ y a pas de vie à plusieurs qui nous prenne si fort que nous soyons dispensés d’être nous-mêmes. »  (Pierre Sipriot)

« L’individualisme naît lorsque des gens rédigent eux-mêmes leur autodescription, c’est-à-dire lorsqu’ils se mettent à réclamer les droits d’auteur sur leurs propres histoires, leurs propres opinions … XVIII° siècle … à l’instant où nous abandonnons l’idée qu’un dieu pense à travers nous … de supposer qu’une intelligence universelle et impersonnelle se réalise en nous et par nous, à cet instant là, il devient nécessaire de considérer l’intelligence comme une forme de propriété privée … Virage vers l’être soi-même et le penser soi-même … C’est le type du ‘dernier homme’ (celui du Zarathoustra de Nietzsche), le consommateur mystique, l’utilisateur intégral du monde, un individu qui … jouit de lui-même comme d’un état final de l’évolution. Ce type humain peuple aujourd’hui les grandes villes … Le recueillement de l’individu face à lui-même … Le type du ‘single’ proclamé … Le moine d’une incrédulité, l’incrédulité à l’égard des liens sociaux. » (Peter Sloterdijk)

« Par la pensée, c’est difficile, car la pensée est égoïste. Par l’abandon du corps, sa mort devient facile. » (Marc de Smedt – sur l’abandon de l’Ego)

« Ce qui fait l’existence individuelle étant toujours une singularité quelconque, cette singularité prête à la plaisanterie ; aussi l’homme qui la craint avant tout cherche-t-il à faire disparaître en lui ce qui pourrait le signaler de quelque manière, soit en bien soit en mal. » (madame de Staël)

« La vénération du particulier et le rejet de l’universel constituent le dénominateur commun à tous les penseurs des contre-lumières indépendamment de leur milieu et de leur époque. » (Zeev Sternhell) – Un peu abrupt. Mais l’auteur ne cache pas son aversion à tout ce qui n’est pas aveuglément progressiste.

« Je vis aussi peu d’après une ‘mission’ que la fleur ne croît et n’embaume d’après une ‘mission’. » (Max Stirner)

« Dieu et le genre humain ont fondé leur cause sur rien, sur rien d’autre qu’eux-mêmes. Je fonderai donc également ma cause sur Moi-même, qui suis tout autant que Dieu le rien de tous les autres, qui suis Mon tout, qui suis l’Unique … Ma cause n’est ni le divin ni l’humain, ni le Vrai, ni le Bon, ni le Juste, ni le Libre etc…. mais seulement le ‘Mien’ ; elle n’est pas générale, mais ‘unique’, comme moi je suis unique. Pour Moi, il n’est rien au-dessus de Moi … L’individu est l’irréconciliable ennemi de toute généralité, de tout lien, c’est-à-dire de toute chaîne. Pourtant, l’on s’est imaginé, jusqu’à aujourd’hui, que l’homme avait besoin de ’liens sacrés’… L’homme n’a tué Dieu que pour devenir le ‘seul Dieu dans les cieux’. L’au-delà hors de Nous a sans doute été balayé et la grande entreprise de la philosophie des Lumières accomplie ; mais l’au-delà en Nous est devenu un nouveau ciel, qui demande à être escaladé à nouveau : Dieu à dû céder la place, mais pas à Nous, à l’Homme … La liberté du peuple n’est pas ma liberté. Un peuple ne peut être libre qu’aux dépens de l’individu, car, dans cette liberté, ce n’est pas ce dernier, mais le peuple qui est l’essentiel. Plus libre est le peuple et plus lié est l’individu ; c’est à son époque de plus grande liberté que le peuple athénien a institué l’ostracisme … et empoisonné son penseur le plus pur. » (Max Stirner – considérations éparses sur l’extrême individualisme, proche de l’anarchie – L’unique et sa propriété)

 « Le désastre ‘soimêmiste’ contemporain. » (François Taillandier, reprenant une expression de Renaud Camus)

« Si je ne réponds pas de moi, qui répondra de moi ? Mais si je ne réponds que de moi, suis-je encore moi ? » (Talmud de Babylone)

« Tout ce qui est génial est individuel, même en fait de crime. » (Gabriel Tarde)

« Je me connais au travers de l’image que le monde social d’abord constitue et ensuite me renvoie de moi-même, connaissance de moi-même par un effet de miroir. » (Frédéric Tellier)

 « La vie sociale ne saurait être un monologue improvisé dans lequel le sujet n’aurait affaire qu’à lui-même prétendant donner lui-même forme à son rôle social. L’être solitaire, le soi pur, est sans gloire et sans descendance. Sans le soutien d’une forme nous tombons dans le vide d’un être abstrait et indéfinissable. La limite sert le sens comme le cadre donne à l’œuvre du sens ‘parce qu’il la ferme’, l’empêchant ainsi de se dissoudre dans l’infini informe de l’espace alentour … Sans limite la vie humaine est dé-mesurée, elle est uniquement désir d’espace, désir de mouvement, désir de continuer à l’infini. Dans ce cas la seule limite … est la fin biologique … la fin animale. Dans le vide, l’homme adopte sa chute, il s’abandonne à la contingence … Quelque chose m’arrête, me limite et, par là, me donne accès à toute la signification de mon individualité. Quelque chose contribue à me donner forme, à me faire exister en me donnant le référent d’un contour déjà tracé. » (Frédéric Tellier)

« L’homme n’est en guerre avec lui-même que parce qu’il est seul avec lui-même. » (Gustave Thibon)

« L’individualisme est un sentiment réfléchi et paisible qui dispose chaque citoyen à s’isoler de la masse de ses semblables et à se retirer à l’écart avec sa famille et ses amis ; de telle sorte que, après s’être ainsi créé une petite société à son usage, il abandonne volontiers la grande société à elle-même. » (Alexis de Tocqueville)

« Cette foule innombrable d’hommes semblable set égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs dont ils emplissent leur âme. » (Alexis de Tocqueville – prédiction su la démocratie individualiste et égalitariste)

« Nos pères n’avaient pas le mot ‘individualisme’ que nous avons forgé … parce que de leur temps il n’y avait pas en effet d’individu qui n’appartînt à un groupe et qui pût se considérer absolument seul. » (Alexis de Tocqueville – sur l’Ancien Régime)

 « L’individualisme est d’origine démocratique, et il menace de se développer à mesure que les conditions s’égalisent. » (Alexis de Tocqueville)

 « Dans les sociétés démocratiques, chaque citoyen est habituellement occupé par la contemplation d’un objet très mesquin, qui est lui-même … Si les devoirs de chaque individu envers l’espèce sont plus clairs, le dévouement envers un homme devient plus rare, le lien des affections humaines s’étend et se desserre. » (Alexis de Tocqueville)

« Chacun étant conforté dans l’idée qu’il ne doit rien à personne, tous s’habituent à se considérer toujours isolément. » (Alexis de Tocqueville – sur la tendance à l’égalité de tous vis-à-vis de tous)

« Chacun d’eux retiré à l’écart est comme étranger à la destinée de tous les autres ; ses enfants et ses amis particuliers forment pour lui toute l’espèce humaine. » (Alexis de Tocqueville)

« Ce sentiment réfléchi et paisible qui dispose chaque citoyen à s’isoler de la masse de ses semblables et qui menace de le renfermer tout entier dans la solitude de son propre cœur. » (Alexis de Tocqueville)

« L’absurdité ultralibérale, qui, voulant libérer l’individu de tout carcan collectif, n’a réussi qu’à fabriquer un nain apeuré et transi, cherchant la sécurité dans la déification de l’argent et sa thésaurisation … L’effondrement des croyances collectives qui mène inexorablement à la chute de l’individu … L’homme qui ne se pense plus comme membre d’un groupe cesse d’être un individu. » (Emmanuel Todd)

« A partir de l’effondrement du catholicisme on a assisté à l’effondrement de toutes les croyances collectives qui lui faisaient face et se définissaient en grande partie contre lui : le communisme (effacement du parti communiste amorcé avant la dissolution de l’URSS) , la nation au sens gaulliste, la social-démocratie ? La disparition de ces croyances collectives qui encadraient  l’individu a laissé ce dernier tout seul, plus fragile et plus petit ; paradoxe de  l’individualisme contemporain … Pas de lutte des classes sans descente dans les rapports sociaux de l’affrontement entre le bien et le mal. La lutte des classes est, d’une manière subtile, religieuse» (Emmanuel Todd)

« Dans la société, un groupe d’êtres humains se compose d’êtres qui, comme dans la communauté, vivent et demeurent pacifiquement les uns à côté des autres, mais qui, au lieu d’être essentiellement liés, sont au contraire essentiellement séparés ; et alors que dans la communauté, ils restent liés en dépit de tout ce qui les  sépare, dans la société ils restent séparés. » (Ferdinand Tönnies)

« Ce projet de loi favorable à l’euthanasie s’inscrit parfaitement dans la ‘zeitgeist’ du moment : la primauté de la liberté individuelle. Il souffre donc des mêmes travers et des mêmes limites que toute autre loi dite ‘progressiste’ : l’impossibilité de penser le débat hors de l’autonomie de l’individu. C’est donc un projet de loi de renoncement : renoncement à penser la vie bonne, l’éthique, la morale ou la mort en dehors du prisme de l’individualisme. » (Laurence Trochu – à  propos d’un projet de loi sur  l’euthanasie ; mais définit l’intention,  on ne saurait dire l’esprit, de toute initiative progressiste. Tout détruire pour exalter le ‘MOI’ et ainsi laisser l’individu seul, sans recours autre que lui-même, soit le conduire inéluctablement au désespoir ….’On le forcera d’être libre’( (J. J. Rousseau))

« Le moi est haïssable… celui des autres. » (Paul Valéry)

« La confusion mentale est pathologique quand on est seul, normale quand on est plusieurs. » (Paul Valéry)

« Quand l’insurgé commence à croire qu’il lutte pour un bien supérieur, le principe autoritaire cesse de vaciller. L’humanité n’a jamais manqué de raisons pour faire renoncer à l’humain. A tel point qu’il existe chez certains un véritable réflexe de soumission, une peur irraisonnée de la liberté, un masochisme partout présent dans la vie quotidienne. Avec quelle amère facilité on abandonne un désir, une passion, la part essentielle de soi. Avec quelle passivité, quelle inertie on accepte de vivre pour quelque chose, d’agir pour quelque chose, tandis que le mot ‘chose’ l’emporte partout de son poids mort. Parce qu’il n’est pas facile d’être soi, on abdique allégrement ; au premier prétexte venu, l’amour des enfants, de la lecture, des artichauts… » (Raoul Vaneigem)

 « On n’a pas philosophiquement raison parce que l’on est politiquement majoritaire. Au contraire, rien n’aveugle davantage que le nombre, rien n’est plus dangereux que le groupe qui se met à croire qu’il a raison parce qu’il se sent fort du fait d’être un groupe. » (Bertrand Vergely – interprétant Ernst Cassirer)

« L’individualisme‘ libertaire tend à confondre le désordre et la liberté, il s’avère la meilleure justification  de l’esprit d’ordre exacerbé … L’individualisme exacerbé est souvent épris de contrôle, le moi aspirant à tout dominer. » (Bertrand Vergely – interprétant Ernst Cassirer) – C’est exactement ce qui se passe dans nos sociétés  en proie à l’individualisme débridé en même temps qu’à la censure et à la férocité de routes les déviances par rapport à l’impérialisme de la doxa.

« L’intelligence est vaincu dès que l’expression des pensées est précédée, explicitement ou implicitement, du petit mot ‘nous’ … Une vie publique telle que la nôtre leur aurait paru un hideux cauchemar ; ils n’auraient jamais cru possible qu’un représentant du peuple pût abdiquer sa dignité au point de devenir le membre discipliné d’un parti. »  (Simone Weil – évoquant les acteurs de 1789)

« Sur un bateau, un passager se met à faire un trou sous son siège. Les autres passagers s’affolent et l’exhortent à s’arrêter – ‘c’est ma place’ s’exclame-t-il ‘, ‘je fais ce que je veux’. » (Parabole du Talmud – sur l’individualisme)

« Seul on va plus vite, ensemble on va plus loin. » (adage)

« Quand on se regarde on se désole et quand on se compare on se console. » (adage)

« Chacun est devenu aujourd’hui son propre univers, sa propre genèse. » (?)

« Individualisme : le public n’existe plus, il n’y a plus que des spectateurs. » ( ?)

« L’individualisme, vision dans laquelle chacun peut s’estimer porteur d’universalité. » (?)

« Si l’individu devient la fin de la civilisation, alors nous sommes la fin de la civilisation. » (?)

« Le monde est parvenu à retirer toute valeur à ce qui n’est pas vécu en masse … Toute fête est collective. Toute fête est un éloge du collectif. Supprimés les individus, les pères de horde (de Freud), les individualités, les personnalités … Le collectivisme festif est là pour en interdire la réapparition. » ( ?) – Tous hilares, tous pareils, tous laquais, tous serviles, tous idiots.

« L’individualisme ne conduit pas à la dépression aussi longtemps que nous pouvons nous reposer sur de grandes institutions : la religion, le pays, la famille. Quand vous échouez à atteindre quelques-uns de vos buts personnels … vous pouvez vous tourner vers ces plus grandes institutions pour avoir de l’espoir … Mais avec un ‘self’ se tenant debout seul sans le tampon de plus larges croyances, l’impuissance et l’échec peuvent trop facilement devenir l’absence d’espoir, voire le désespoir. » ( ? – cité par Alain Ehrenberg) – Typiques, les récentes et  grotesques selfies, ces mises en scène permanente de soi-même –  « Se voir c’est exister. »

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Ci-dessous, extraits simplifiés et remaniés de l’ouvrage d’Eric Sadin, L’ère de l’individu tyran , la fin d’un monde commun.

« Constitution progressive d’un nouvel ‘ethos individuel’. Chacun cherchant moins à être partie prenante à la vie de la Cité … et se mettant à se recentrer sur sa vie intime … Besoin de compensation plutôt que soudaine éruption d’amour de soi … cherchant à remplir d’un côté ce que l’on perdait tous les jours de l’autre … En même temps que les consommateurs se voyaient offrir la possibilité d’entretenir des rapports plus individualisés avec les produits et services (ordinateurs personnels, jeux vidéo, magnétoscopes autorisant le visionnage sans contrainte, stations de radio communautaires…) … Détachement des repères partagés … Personnalisation des conduites indifférentes à tout horizon collectif … entraînant la formation d’un culte de la personnalité … Inconnus venant narrer publiquement des épisodes intimes de leur existence (‘talk-shows’, téléréalité…) … Sensation de suffisance de soi , sensation d’une centralité de soi, avec l’apparition d’Internet et du téléphone portable (compagnon personnel familier)  dotant les utilisateurs d’attributs supposés leur procurer des marges accrues d’autonomie, écrans ‘fenêtres sur le monde’’ … illimitation de nos contacts, le monde venant à nous, moindres déplacements et contacts utilitaires  …  Avec  le sentiment de bénéficier d’une plus grande latitude d’action, il était presque inévitable que se popularise une idéologie de la gratuité, celle de télécharger …  Le ‘smartphone’ ou l’instrument universel (téléphone, ordinateur, appareil photo et caméra,  projecteur, baladeur,  etc…)  … Parfaite maîtrise sans  aucun effort, les opérations s’effectuant principalement par la caresse (grâce à l’interface tactile) … Jouissance de bénéficier d’instruments de facilitation de la vie et affirmation enfiévrée, et si stérile de sa personne et de ses jugements …  Il n’arrive quasiment jamais dans les espaces publics qu’un individu rivé à son écran adresse à un inconnu un regard bienveillant … la technologie mobilise une attention si pleine et donne l’impression d’offrir une telle richesse inépuisable que  le monde environnant perd de sa substance et de son intérêt … L’affichage de soi comme nouvelle condition d’une visibilité sociale … obtenue non plus par les actions et le mérite personnel, mais par l’affirmation verbale et la diffusion d’images et de faits de toutes sortes destinés à susciter des effets de reconnaissance . »

– Ci-dessous, quelques petits extraits simplifiés d’un livre de Jean-François Mattéi : La barbarie intérieure, sur la subjectivité.

 « Un Moi hypostasié et dilaté à la mesure de l’absolu … L’ère de l’individu commence, et avec elle, l’ère du vide … On pourrait soutenir que le caractère principal de la Modernité, par lequel elle se distingue radicalement de l’Antiquité, tient à ce passage insensible de la ‘substantialité’ à la ‘subjectivité’ … au passage de l’âme au Je, à celui de l’extériorité à l’intériorité … L’homme contemporain a tendance à ne plus se concevoir comme un être substantiel … s’exprimant par des actes réels … mais comme un sujet procédural détaché de toute réalité substantielle … La procédure se substitue à la fin et le formalisme des opérations à la vérité de leur contenu … Retiré dans son ‘quant à soi’, sa nouveauté réside dans l’indifférence radicale qu’il manifeste à l’égard d’une quelconque forme d’extériorité,qu’elle soit divine, mondaine ou sociale … L’autoproduction du sujet moderne, c’est l’autoproduction de règles virtuelles … dépendantes de procédures formelles privées de finalité et de signification … Situation aboutissant à ‘une ‘sorte de nihilisme, de négation de tous les horizons de sens’ (Charles Taylor) … Hannah Arendt relevait que le ‘ subjectivisme extrême de l’époque moderne’ se manifestait par une double fuite à l’égard du réel : la fuite de la terre pour l’univers, avec le développement de la science galiléenne, et la fuite du monde vers le moi, avec le repli de la pensée, réduite à un simple processus, sur ‘une conscience de soi totalement vide’ … Le dernier homme ‘se retire en soi-même’ et éclipse à la fois le cosmos ancien et le monde commun pour libérer le soi de toute adhérence et de toute adhésion, à Dieu, au monde ou à la communauté humaine … ‘Après avoir dévoré tout le reste, le sujet n’a plus qu’à se dévorer lui-même’ (C. S. Lewis) … Ce n’est qu’à la condition de la conversion de la pensée vers cette source étrangère, qui est l’extériorité … que l’homme peut échapper à la barbarie latente de la caverne … s’extraire de la cage vide du moi … ‘L’infini du sujet est la modernité’ (Henri Meschonnic). »

– Ci-dessous, quelques petits extraits simplifiés d’un livre de François Jullien : De l’universel, de l’uniforme, du commun et du dialogue entre les cultures.

 « Sortir à la fois de l’universalisme facile qui si longtemps a bercé l’Europe (projetant naïvement sa vision du monde sur le reste du monde) et du relativisme paresseux (condamnant les cultures à leur perspective singulière et à leur destin unique, à la réclusion identitaire dans des valeurs spécifiques). »

« La préoccupation de l’universel est-elle elle-même universelle, ou serait-ce un phantasme théorique, même s’il est éminemment productif, qu’a forgé le seul Occident : donc étonnamment singulier ? »

« Le jugement d’universalité, saut du relatif à l’absolu, non constaté mais édicté, décollement délibéré vis-à-vis de tout donné … Ayant en vue non pas un renoncement mais un dépassement des limitations et restrictions singulières … au service d’une promotion … destiné à inquiéter toute saturation-satisfaction … Universel ne signifie pas seulement extension maximale … une planétarisation quelconque mais implique bien une prescription, un ‘il faut’, une nécessité de principe (exposition universelle, Déclaration universelle des droits de l’homme…) … Sous cet unique commandement aucune place n’est laissée à la diversité des cultures … Désolidarisation de ‘l’ici’ et du ‘maintenant’ … Universels abstraits élaborés par la raison (la position réaliste opposée à la position nominaliste, querelle dite des Universaux) … L’exigence de l’universalisation, violence faite à l’existence … D’ambition idéale (de la raison) à la falsification (de l’expérience), à la trahison (de l’exigence de vérité), hégémonisme … suprématie de la raison occidentale, impérialisme d’une civilisation … Opérateur d’un ‘devoir être’ suscitant la rébellion … Opposé à l’individuel, au singulier. »

« L’uniforme n’est plus l’Un, éminent, transcendant auquel se convertit l’esprit pour sortir de l’éparpillement du divers ; mais l’un réduit, complètement amorti, aride, de la régularité informe et de la série … L’universel se renverse en confort de l’uniforme (modes de vie, discours, opinions, spectacles et imaginaires…) … L’uniforme n’est plus un concept de la raison (comme l’universel), mais un standard de la production … relevant non d’une nécessité mais d’une commodité … reposant sur l’imitation … Pandémique, il se fond dans le paysage en assoupissant toute résistance … Opposé au différent … Imposant ses standards comme seul paysage imaginable … L’uniformisation a pris une importance accrue avec la mondialisation … La mondialisation, portant l’uniformisation à sa plus grande extension … la fait passer subrepticement pour de l’universel (pour sauvegarder l’apparence, l’arête des toits des buildings pékinois sont retroussés) … Qu’est-ce que l’an 2000, pourtant célébré en fête mondiale, une fois qu’on est sorti d’Occident ? »

« Le commun débute à deux, entre l’homme et la femme, ou le maître et l’esclave, se déploie au niveau de la maison, puis du village, puis de la Cité… son extension est graduelle, sa progressivité, légitime, étendue par participation, existence réalisée dans la chose ou l’être (et non surajoutée abstraitement comme l’universel, relevant de la participation et non de la prescription, de la politique et non de la morale, ‘l’existence est faite des individuels, tandis que la science porte sur les universels’) … Concept fort sur lequel on peut se caler (la notion de semblable étant pauvre) … Non édicté mais enraciné dans l’expérience … A la fois inclusif-exclusif, il peut aussi bien ouvrir et fermer (ex-communier) … Plus on l’intensifie, plus il est exclusif (témoin l’amour) … ‘Son salut constitue le salut du tout, et sa ruine la ruine du tout’ (Démocrite sur la Cité et l’intérêt commun) … La citoyenneté romaine. »

« Saint Paul et l’entreprise de dépassement de tout communautarisme dans l’universalisme chrétien … La loi, relative, univoque, prescriptive opposée à la Grâce qui déborde toute étroitesse des liaisons projetées et de leur causation … Le caractère abstracteur, évideur de tout particularisme de la Crucifixion-Résurrection, comme également le principe dominant ‘Dieu est amour’ dissolvant tout le particulier, le fondant dans un mouvement égalisateur, indifférenciant … Unicité de l’événement … Sortie de tout communautarisme (la dispute avec Pierre) … Plus aucune catégorie n’aura le monopole ou même seulement le privilège de l’Alliance … ‘Il n’y a  ni … ni … ni’ … »

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