420,1 – Image,Texte

– L’image, délice des enfants. Les adultes sont de grands enfants.

– Elle fut un moyen d’enseignement pour les illettrés. De nos jours, s’adressant aux peuplades stupides et larmoyantes d’Occident, l’image est le meilleur moyen d’intoxication des esprits (dans la mesure où on peut parler d’esprits chez les gogos).

– Si le texte parle à l’intelligence, laisse le temps à la réflexion, permet la contradiction argumentée, respecte la liberté sans la forcer, l’image, avec les possibilités de manipulation qu’offre son choix et sa présentation, son impact émotionnel, sans même compter les trucages, s’adresse aux sens, à l’impression immédiate, donc à l’émotion. Elle est instrument de manipulation. Convaincre et séduire, raison et sentiment, le discours et l’image.

– Le trucage le plus simple, largement pratiqué, consiste à accompagner une image authentique d’un commentaire textuel ou verbal qui la déplace chronologiquement ou spatialement afin de la charger d’un sens qu’elle n’a pas (généralement, image de la période x ou d’un lieu y et texte concernant une période postérieure ou un endroit autre et n’ayant rien à voir) ; établissement artificiel et trompeur d’une relation entre deux éléments distincts. Le trucage plus élaboré et aussi largement pratiqué consiste à la fabriquer avec des acteurs d’occasion. Le numérique permet des trucages encore plus inventifs et si aisément réalisables. La seule exigence de toutes ces tromperies étant de disposer du réseau médiatique pour les répandre comme vérités.

– Le mot sollicite et libère l’imagination alors que l’image la fige et la bride. Tel personnage historique ou de roman n’a plus que les traits, les vêtements, les attitudes du dernier acteur qui l’a incarné.

– Suivant une comparaison de Pasolini, l’oral est à l’écrit ce que la réalité est à l’image. Les seconds termes expriment la transmissibilité, mais aussi la fixité et la séparation, l’abstraction. Avec l’écrit, la parole n’est plus portée par l’être, il n’y a plus personne et l’image fixée n’exprime plus la réalité du paysage, du visage, existants et mouvants.

– On ne se sert plus de ses yeux, de ses oreilles ; on ne va pas regarder, écouter, on va photographier (foules stupides les bras levés brandissant leurs doudous chéris), on n’a rien vu, et de plus on ne regardera même pas ces images d’ailleurs sans intérêt, sauf peut-être pour les infliger (avec commentaires personnels) aux malheureux invités d’un dimanche après-midi. Généralisation de l’abrutissement.

– Du temps de la photo-papier (argentique) au moins gardait-on le souvenir (les vieilles photos jaunies). Le numérique autorise l’effacement de tout, sans même qu’on ait regardé une fois. Superficialité.

– Peut-on imaginer nombrilisme et médiocrité plus grandes que cette nouvelle hideuse manie des Selfies ? « On s’auto-aime, face présentable et ludique de la masturbation intégrale » (?). Une société qui en est là est prête à crever comme Narcisse au fond de son étang.

  – « moi et les pyramides, moi et le Parthénon, moi et le Colisée, moi  et les cocotiers… Le monde n’existe que pour servir d’écrin à ma personne ; les pyramides m’attendaient… » (Michel Onfray)

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« Le monde devient le reflet des images puisque les événements historiques se règlent toujours par avance sur les exigences de la télévision. » (Günther Anders)

« Là où l’on ment, et où ne ment-on pas ? On ne ment pas avec des mots mais avec des photos, on ment en photographiant … en fabriquant des stéréotypes devenant l’incarnation de la réalité … des formes-conditions a priori non seulement de l’entendement, mais du sentiment, des comportements et des actes, des matrices culturelles universelles telles que les plus spéculatifs des philosophes n’auraient pu les imaginer. » (Günther Anders)

 « On a autorisé la tactique mise en œuvre par Madison Avenue (centre de la publicité) sous le nom de relations publiques a envahir notre vie politique … La fabrication de l’image en tant que politique globale est quelque chose de neuf dans l’énorme arsenal des folies humaines. » (Hannah Arendt) – Règne du pipeau et des clowns.

« Non seulement l’image peut être manipulée, mais elle exerce une influence, possède une puissance qui excède de loin l’information objective dont elle est porteuse. » (Marc Augé)

« Pour se prouver qu’elle n’était simplement pas, comme les autres, en train de tout filmer, elle entreprit   de filmer ceux qui filmaient … Chacun de ceux qui filmaient ou photographiaient était lui-même filmé ou photographié filmant ou photographiant. On va à Disneyland pour pouvoir dire qu’on y est allé et en fournir la preuve … Montrer aux parents et aux amis, commentaires à l’appui,  les photos que le petit a  fait de son père en train de le filmer, puis le film du père, pour vérifier. » (Marc Augé)

« On veut toujours que l’imagination soit la faculté de ‘former’ des images. Or elle est plutôt la faculté de ‘déformer’ les images fournies par la perception, de nous libérer les images premières, de changer les images. S’il n’y a pas changement d’images, union inattendue des images, il n’y a pas imagination. Si une image présente ne fait pas penser à une image absente,  il n’y a pas imagination. Il y a perception, souvenir d’une perception, mémoire familière … Le vocable fondamental qui correspond à l’imagination, ce n’est pas image, c’est imaginaire. La valeur d’une image se mesure à l’étendue de son auréole imaginaire. » (Gaston Bachelard)

« L’image est péremptoire, elle a toujours le denier mot ; aucune connaissance ne peut la contredire, l’aménager, la subtiliser. » (Roland Barthes)

« A partir de ce moment, la société immonde se rua, comme un seul Narcisse, pour contempler sa triviale image sur le métal. Une folie, un fanatisme extraordinaire s’empara de tous ces nouveaux adorateurs du soleil. » (Baudelaire ? – sur la photographie) – Encore l’auteur ne pouvait-il pas se douter à quel degré d’abjection notre société descendrait avec les dégradantes selfies.

« Nous sommes des iconoclastes. Non pas de ceux qui détruisent les images. Mais de ceux qui fabriquent une profusion d’images où il n’y a rien à voir. La plupart des images contemporaines, vidéo, peinture, arts plastiques, audiovisuel, images de synthèse sont littéralement des images où il n’y a rien à voir, des images sans traces, sans ombre, sans conséquences. Tout ce qu’on pressent, c’est que derrière chacune d’elles quelque chose a disparu. » (Jean Baudrillard)

« Créer une image (photo), çà consiste à ôter à l’objet toutes ses dimensions une à une : le poids, le relief, le parfum, la profondeur, le temps, la continuité, et bien sûr le sens. » (Jean Baudrillard)

« L’image photographique est dramatique. Par son silence, par son immobilité. Ce dont les choses rêvent, ce dont nous rêvons, ce n’est pas du mouvement, c’est de cette immobilité plus intense. » (Jean Baudrillard)

« C’est cette proximité et cette ubiquité des images, cette contamination virale des choses par les images qui sont la caractéristique finale de notre culture. » (Jean Baudrillard)

« L’image de l’homme assis et contemplant, un jour de grève, son écran de télévision vide, vaudra un jour comme une des plus belles images de l’anthropologie du XX° siècle. » (Jean Baudrillard)

« Voyeurisme forcé en réponse à l’exhibitionnisme forcé des images. » (Jean Baudrillard)

« Il est vrai qu’il y  a une violence de l’image, mais cette violence est largement compensée par la violence faite à l’image : son exploitation à des fins de documentation, morales, politiques, publicitaires … Par l’image de synthèse où le référent n’existe plus, par la multiplication des images sans référent, la déferlante numérique … la photographie témoignait encore d’une ultime présence du sujet à l’objet. » (Jean Baudrillard)

« Si on escamote  le moment de stupéfaction, d’admiration … où se trouve condensée, à travers l’immoralité de l’image, l’intuition stupéfiante de l’événement, si on récuse ce moment-là on perd toute capacité de comprendre.  Si la première pensée est de dire : cela est monstrueux … alors toute l’intensité, tout l’impact de l’événement se perd dans des considérations politiques et morales. Tous les discours nous éloignent irrévocablement de l’événement et nous ne pourrons plus jamais nous en rapprocher … La consommation de l’image épuise l’événement par procuration. Cette visibilité de substitution est la stratégie même de l’information; c’est-à-dire, en fait, la poursuite de l’absence d’information par tous les moyens.  Dans le régime normal des médias, l’image sert de refuge imaginaire contre l’événement. C’est une forme d’évasion, de conjuration de l’événement. » (Jean Baudrillard – à propos des attentats du 11 septembre 2001)

« Faute d’une pensée propre à chacun, ce sont les images identificatoires de bonheur qui ordonnent les pratiques, les modes d’être des individus qui, au sein de cette uniformisation et sans qu’elle soit mise en danger, se contentent d’afficher des opinions antagoniques même quand celles–ci ne servent qu’à consolider un ‘monde unique’. » (Miguel Benasayag) – Fabriquées par la pub. La maison avec jardin, garage, pelouse, enfants…

« Le primat de l’image sur l’écrit, c’est la fin d’une certaine façon d’apprendre, de s’informer et de se cultiver. Plus question, quand on regarde une succession d’images, de s’arrêter un instant pour réfléchir … Le rythme ne dépend plus de nous. L’œil fonctionne par lui-même, cessant d’être l’auxiliaire du cerveau. On aboutit ainsi à ce que Gilles Lipovetsky et Jean Serroy ont appelé ‘l’écran total’. » (Alain de Benoist)

« L’image a un pouvoir de séduction plus ample et un pouvoir de persuasion plus fort que les mots … Elle a gagné sur le concept … Elle prime sur le raisonnement. » (Emmanuel Berl)

« La foule est avant tout crédule car ’elle pense par images’ et l’image évoquée en évoque elle-même une série d’autres, sans lien logique avec la première. » (Gustave Le Bon)

« Au lieu d’utiliser la photographie pour enrichir une vision active et consciente, ils s’en remettaient à elle et prêtaient moins attention au monde … convaincus qu’elle leur en assurait automatiquement la possession. » (Alain de Botton) – Les hordes d’abrutis qui photographient à tour de bras ce qu’ils ne regardent pas.  Les obsédés de la possession. 

« Il viendra un jour où les images remplaceront l’homme. Celui-ci n’aura plus besoin d’être mais de regarder. Nous ne seront plus des vivants mais des voyants, des voyeurs ? » (André Breton)

« C’est par la force des images que, par la suite des temps, pourraient bien s’accomplir les vraies révolutions. » (André Breton)

« L’image sait mentir. » (André Brincourt) – Elle ment même tellement mieux que la parole ou le texte.

« Depuis quand les images et les reflets prouvent-ils quelque chose contre la réalité des objets et de la lumière ? » (Père Teilhard de Chardin)

« Photographier, c’est s’approprier magiquement les vertus de l’objet visé … Forme contemporaine de ce que les théologiens appelaient ‘l’invidia’, la forme pervertie du voir … On vit par procuration … Le premier imbécile venu, transformé miraculeusement par l’achat de quelque appareil peut désormais dérober, lèvres pincés et regard absent, avec le geste machinal du voleur professionnel une étincelle du feu qui brille dans les plus hautes œuvres humaines, avant de disparaître et de se fondre dans la foule sans avoir été inquiété. » (Jean Clair – Le voyageur égoïste)

« Les miroirs feraient bien de réfléchir un peu plus avant de renvoyer les images. » (Jean Cocteau)

« Nous ne vivons désormais que de reflets. Les gens ne vous pardonnent plus de ne pas ressembler à votre image. » (Jean Cocteau)

« Là où le monde réel se change en simples images, les simples images deviennent des êtres réels, et les motivations efficaces d’un comportement hypnotique … Le spectacle est la tendance à ‘faire voir’ par différentes médiations spécialisés le monde qui n’est plus directement saisissable. » (Guy Debord – La société du spectacle) – « La télévision introduit dans les maisons des ‘choses extrêmes’ (mort, violence, dégradation, misère…) qui autrefois étaient tenues à distance et présentées dans des espaces circonscrits. » (Jean Baudrillard) – « Corrélativement, le sens de l’horreur décline … Plus rien ni personne ne garantit le statut ontologique de la ‘réalité’ que nous expérimentons. » (Raffaele  Simone)

« L’image, de l’audio-visuel, a le fantastique pouvoir d’être toujours nouvelle, alors que l’idée se fait tout de suite repérer, dater, et du coup dépasser. Aussi les idées fondamentales du consensus vont se camoufler derrière les images pour s’exprimer sans se dire et se renouveler constamment et ainsi marteler le même, l’identité libérale. Le champ de l’imagerie est quasi-illimité grâce au potentiel technologique de l’audio-visuel … La profonde homogénéisation du consensus idéel se fait par la multiple splendeur de l’image audio-visuelle. Plus l’image s’étale et mieux elle permet d’oublier l’idée qui l’a voulue. L’idée est dé-construite par son établissement imagé, lequel reconstruit le sens de l’idée dans l’intuition sensible …  Les images de l’audio-visuel ne sont que les illustrations des thèmes du consensus … C’est une pédagogie du ressassement qui a l’astuce de se présenter avec l’éclat de la nouveauté. » (Michel Clouscard)

« Surdramatisation de l’image et dédramatisation de l’écrit. » (Régis Debray) – Celle-ci par la lâcheté conduisant aux  euphémismes en vigueur.  Celle-là par la généralisation maniaque des vidéos. 

« Un monde éberlué qui professe et peut-être même croit sincèrement que ‘les images parlent d’elles-mêmes’, sans besoin de commentaires. Opportune crédulité … les images se fabriquent et se commandent. » (Régis Debray) – Elles se truquent même.

« La photo à petite échelle, la télé plus largement, ont eu le mérite social de démocratiser le narcissisme, naguère réservé à ceux qui avaient assez d’argent pour commanditer un tableau (qui, de surcroît, ne circulait pas). Un particulier peut désormais se mondialiser instantanément. » (Régis Debray) – Louis XIV ne connaissait pas les selfies, la jeune louve du village, fille de Jacques le manant, non plus, triste époque.

« La difficulté, et même l’impossibilité, d’opposer à l’information par l’image  la contre-information par le mot … L’image fait masse, fait tribu. Elle est contagieuse et émotive, immédiatement. Bien sûr, toute immédiateté est imposture (ce pour quoi les média trompeurs privilégient le direct !), mais la dénonciation de l’imposture suppose une analyse, un recul, un déploiement dans la durée, bref un discours. Le défilement en accéléré de l’imaginaire court-circuite le moindre discours critique … On ne peut répondre à une télévision que par une autre, et encore si on a d’autres sources d’images à disposition. (Régis Debray) – J’ai vu, donc c’est vrai. Ainsi va le Gogo- Bobo.

« Avec la vidéo sphère, tout ce qui n’est pas photographiable ou enregistrable sort de nos écrans radar. » (Régis Debray – L’angle mort) – Fin de l’écrit.

« L’image , enfantée par la lettre resta longtemps, en Occident, la petite sœur du mythe. Elle devint sa jumelle en atteignant l’âge adulte, et la voilà chef de famille, tout en haut du perron … Elle est plus figurable et attire à elle les figurants. L’image est la sœur du désir … Hollywood demeure la capitale mondiale de l’érotisme … Les mots ont un retour sur investissement beaucoup plus modeste que les images. Breton tirait le diable par la queue rue Fontaine quand Dali arrivait au Ritz en Rolls-Royce … Un Giacometti chez Drouot vaut cent fois plus qu’un manuscrit de Sartre chez le marchand d’autographes. » (Régis Debray)

« ‘A partir de ce moment-là, la société immonde se rua, comme un seul narcisse, pour contempler sa triviale image sur le métal’ Puis sur verre , papier et écran portatif. » (Régis Debray – citant Baudelaire – sur la photographie)

Caractéristiques de l’image, suivant Régis Debray (Introduction à la médiologie). «  – Elle ignore l’énoncé négatif : un non-arbre, une absence, une non-venue peuvent se dire, non se montrer. Une possibilité, un programme ou un projet, tout ce qui dépasse le réel effectif ne passent pas à l’écran – Elle ne peut montrer que des individus ou des ‘tokens’, non des catégories ou des types. Elle ignore l’universel ou la généralité. On ne peut voir qu’un entrepreneur, non la bourgeoisie – Elle ignore les opérateurs syntaxiques de la disjonction (ou bien … ou bien) et de l’hypothèse (si … alors), les subordinations, les rapports de cause à effet comme de contradiction, les enjeux, etc. … Concrète, l’intrigue compte moins que l’acteur – Elle a du mal avec le temps. Elle est toujours au présent. La durée n’est qu’une succession linéaire de moments présents équivalents les uns aux autres … Ni futur antérieur ni passé composé. » – « On peut tout écrire, y compris ce qui ne se montre pas, mais on ne peut tout montrer. » (Régis Debray) – L’abus d’images d’écran explique-t-il la gigantesque inculture (qui frôle la stupidité) de notre temps ?

« Presque plus personne ne téléphone à présent … Ce qui constituait à l’origine le bonus d’un portable (textos, SMS, consultation de mails) est devenu son usage principal et c’est la possibilité de téléphoner qui est le bonus … la voix a cédé la place au  texte, ce qui développe la prestesse des pouces, et à l’image, favorisant le narcissisme et l’insignifiance des visions. » (Luc Dellisse)

« La conversation a une importance vitale qui manque dans les paroles fixées et gelées de l’écrit … Les liaisons de l’oreille avec la pensée et l’émotion vitales qui s’expriment sont immensément plus étroites et plus diverses que celles de l’œil. La vision est spectatrice, l’ouïe est participatrice. » (Dewey – cité par Christopher Lasch)

« C’est du caractère non articulé de l’image que lui vient le pouvoir de suspendre (au sens d’annuler, de surprendre, de contrarier…) le réseau de sens et de significations dûment organisés dans un texte. » (Dany-Robert Dufour)

« La télévision en direct, la multiplication des images et des écrans et la victoire du spectacle sur la vérité, nous mènent à une inquiétante société de la post-vérité où le pouvoir est détenu par ceux habilités à contrôler les images, la puissance médiatique. » (Georges Dumas)

« Vos audio-visuels d’aujourd’hui correspondent exactement aux analphabètes de jadis. » (Jean Dutourd) – vautré(e)s sur leurs écrans et tablettes. A ceci près que ceux d’aujourd’hui sont aussi analphabètes.

« Avoir de l’imagination, c’est jouir d’une richesse intérieure, d’un flux ininterrompu et spontané d’images (‘imago’ et ‘imitor’) … L’imagination imite des modèles exemplaires, les ‘images’, les reproduit, les réactualise. Avoir de l’imagination, c’est voir le monde dans sa totalité ; car c’est le pouvoir et la mission des images de ‘montrer’ tout ce qui demeure réfractaire au concept. » (Mircea Eliade – Images et symboles)

« L’image nous transmet instantanément une globalité. Elle nous donne d’un coup d’œil toutes les informations dont nous pourrions avoir besoin. Elle dispense un stock de connaissance que je n’ai pas à détailler, ni à coordonner autrement que l’image le fait, c’est-à-dire de façon spatiale … Ce que me transmet l’image visuelle est de l’ordre de l’évidence. Elle transmet une pensée d’évidence comme aussi une pensée ‘engagée’, c’est-à-dire une pensée relative à l’action et plutôt à l’action politique et sociale, car une pensée nourrie et provoquée par des images est forcément engagée dans le contexte social créateur de ces images. » (Jacques Ellul)

« L’image m’interdit la distanciation. Si je ne puis établir ma distance je ne peux ni critiquer ni juger. L’image n’est pas ambiguë, elle est cohérente, elle est certaine, elle est globale, mais elle est insignifiante, une multiplicité de sens peuvent lui être attribués, qui dépendent d’une culture, d’un apprentissage … Elle ne saisit jamais qu’une apparence, qu’un comportement extérieur … Ainsi avant l’image, je dois apprendre à voir. Après l’image, je dois apprendre à l’interpréter … Elle est du domaine de la réalité, elle ne peut  absolument pas transmettre quoi que ce soit de l’ordre de la vérité. Elle ne saisit jamais qu’une apparence qu’un comportement extérieur. Elle est incapable de transmettre une expérience spirituelle, une exigence de la justice… » (Jacques Ellul)

« Il est dangereux de privilégier l’un (le voir), de façon triomphale, au détriment de l’autre (l’entendre). Ce qui se produit justement aujourd’hui avec la victoire inconditionnée du visuel et des images, les images, vues, constituent un langage, la parole, imprimée, se ramène à des images vues, et la parole n’est évocatrice que d’images … La paresse intellectuelle fait nécessairement gagner l’image sur la parole … Et finalement le mode de pensée change : car les images s’enchaînent les unes aux autres selon un mode qui n’est ni logique ni discursif … Les éléments qui changent dans l’image présentée ne sont jamais que l’état présent du spectacle et non pas une série cohérente. » (Jacques Ellul)

« Le retournement (de la parole ou du texte à l’image) s’est opéré dans les années 1950-60 ; jusque là l’image était la simple illustration d’un texte dominant, le discours était de loin la partie la plus importante … L’audio-visuel, société du spectacle … Quand on a le souci de prendre des photos, le souci du choix de la vue, le coin et l’angle à retenir, l’appareil commandent … délaissant le global, ce qui aurait pu être une expérience devient un spectacle … La vision ultérieure de la photo rappelle tel geste, tel mot que l’on a dit. C’est tout. Aucune appréhension profonde … La vision est triomphante du fait de son utilité … pour éviter de penser, de se souvenir par soi-même, pour exister par représentation, pour vivre par substitution … La parole divise, l’image unit (dans la liturgie par exemple) … Le trucage d’image est aisé, d’ailleurs la même image peut spontanément et avec évidence signifier des choses différentes pour des spectateurs obéissant à des préjugés différents … L’homme des images est un homme sans passé. Vivant d’un apport d’images contenant chacune la globalité de ce qu’il a à savoir, il n’a pas besoin de mémoire, de conserver ce qu’il apprend aujourd’hui. Il n’a pas besoin d’expérience … L’image laisse chacun dans une solitude glacée, seulement transcendée par une communion totale et intuitive … Point d’échange …  L’image est maintenant l’aliment quotidien de notre sensibilité, de notre intelligence, de notre sentimentalité, de notre idéologie … Elle colorie notre panorama mental … Progression triomphale de la société de l’image et régression de la parole (comme du texte), qui ne saurait mener à une certitude, qui suppose également un certain accord entre locuteur et écoutant, une certaine ascèse, même si, de plus, le ‘parler pour ne rien dire’ (bavardage mondain et intellectuel entremêlés, n’engageant nullement le discoureur anonyme et sans foi) a contribué à cancériser la parole  … L’image  exclut la critique … prise pour preuve de ce qu’elle représente, elle exclut le discret, le caché (en quoi elle reflète bien notre époque exhibitionniste) … L’explication est accablante, elle lasse l’auditeur, la connaissance s’exprime dans un schéma, une photo, une reproduction (électrocardiogramme, encéphalo… statistiques… graphiques… courbes…), surtout obtenus par une machine …  Représentation graphique, processus d’abstraction de la réalité …  On oublie que l’appareil est manié par l’homme, qu’il n’a enregistré que le fait retenu par l’homme … La mutation mentale ‘d’homo sapiens’ en technicien s’effectue par l’exclusivité du visuel par rapport au parlé …  Celui qui pense par images devient de plus en plus incapable de penser par le raisonnement. Le processus intellectuel des images est contradictoire au processus intellectuel du raisonnement, de la démonstration, qui est lié à la parole … Il n’y a aucune mesure entre les moyens de diffusion d’images et ceux de diffusion de la parole. » (Jacques Ellul) – Suite de considérations éparses sur l’image.

« Comment peut-on dire que le langage est vecteur de l’idéologie de la classe dominante, des idées reçues… quand on constate que dans l’histoire, c’est la parole qui a été constamment le ferment des idées révolutionnaires (Robespierre, Saint-Just, Marx, Lénine…) … Quelle folle sottise de croire qu’avec la destruction du langage, sa déstructuration, sa désignification, on fait œuvre révolutionnaire. La propagande ne fonctionne justement qu’avec un langage désignifié … Lutter contre le langage construit, haïr la parole, c’est faire le travail de la bourgeoisie, poussant un grand soupir de soulagement quand on passe du langage de Marx à celui de Dada ou d’Artaud … Le langage ne disant plus rien, il n’y a plus rien à craindre … C’est la parole et non pas le film, l’image qui est attaqué. L’image visuelle a un tel prestige ! » (Jacques Ellul) – Aux imbéciles déconstructeurs de tout, aux adeptes de l’écriture inclusive, aux laquais des dominants.

« Il y a des choses difficiles à exprimer d’une manière intelligible autrement que par figures. » (préliminaire de l’Encyclopédie de D’Alembert et Diderot)

« Pensez-vous que le retournement de la réalité en image tient à ce que les hommes n’ont plus à sortir de chez eux pour aller vers l’extérieur ? » (Raphaël Enthoven)

« La communication est devenue affaire d’images, c’est-à-dire d’apparences. ‘Est-ce bon ou est-ce mauvais pour mon image ?’ Telle est la question dont s’entretiennent les politiques entourés de conseillers en communication qui font leur métier et de journalistes qui font des heures supplémentaires … Il n’est pas question de la vérité mais seulement de l’apparence … Le récepteur n’est pas considéré comme un acteur rationnel mais comme un réceptacle passif, tout juste bon à applaudir ou à siffler … Il faut faire plaisir, au risque d’attiser les mauvais penchants, la haine, la facilité, la paresse, l’égoïsme … Il ne faut surtout pas jeter le trouble, ennuyer, contrarier, ni déranger … la communication occupe bien plus de temps qu’il ne faudrait. » (Alain Etchegoyen)

« Pensez-vous que le retournement de la réalité en image tient à ce que les hommes n’ont plus à sortir de chez eux pour aller vers l’extérieur ? » (Raphaël Enthoven)

« La stupide éducation visuelle délivre un bagage de connaissances, elle ne forge pas un style et partant une âme. » (Saint-Exupéry)

« … Cette distanciation que ne permet justement pas l’image… » (Luc Ferry)

« Sans doute notre temps préfère l’image à la chose, la copie à l’original, la représentation à la réalité, l’apparence à l’être. Ce qui est sacré pour lui ce n’est que l’illusion. » (Ludwig Feuerbach) – Dés 1841 !

« Powerpoint est étrangement habile à dissimuler la fragilité d’une proposition, la vacuité d’un ‘business-plan’, devant un public toujours respectueux ; grâce à la distraction visuelle, l’orateur peut rapidement occulter toutes les failles de son argumentation … Les images semblent avoir des fonctions contradictoires : argument d’autorité dans le cas de schémas ou de diagrammes, elles ont également pour mission de décorer, illustrer, divertir l’auditoire. Elles fixent l’attention autant qu’elles la distraient … Grâce au logiciel, bon nombre d’ingénieurs, de managers, de financiers s’inventent créatifs du jour au lendemain et consacrent des heures à concocter de belles présentations plutôt qu’à se consacrer à leur activité de base … Ils finissent par ne plus s’intéresser qu’à la forme … Et oublient de travailler leurs messages … Cette exhibition de soi est destinée à ‘se vendre’, à se valoriser auprès des autres, à rendre visible son activité, à faire sa propre pub. … Powerpoint, outil de vente de projet (et de promotion de l’individu) … Tout document powerpoint semble n’avoir ni statut, ni destinataire, ni auteur … Comme une dilution de responsabilité … Obsession de la liste … Phrases courtes, mots clés et abréviations, sans syntaxe, messages sommaires et laconiques … Formules répétitives, libellés elliptiques, et formules passe-partout… » (Gilles Finchelstein – considérations éparses, placées à cette rubrique Image, sur ce logiciel qui rend stupide, powerpoint  (voir aussi à la fin de la rubrique Mots, 470, 2)

« L’image fait son marché dans le visible et fait bon marché de l’invisible. Elle n’a pas besoin d’être truquée pour être tendancieuse. Non seulement l’image ne prélève que des fragments de la réalité montrable, mais elle abolit la part non montrable de la réalité. Du présent qu’elle ne peut saisir en totalité, elle efface, par surcroît, la profondeur historique. Aux questions : ‘pourquoi ?’ ou ‘depuis Quand ?’ il n’y a pas de réponse accessible à l’œil nu. » (Alain Finkielkraut)

« Faculté, à l’aide de la télévision, de désinformer les gens, et même de les abrutir. L’image, pour le téléspectateur, c’est un fait. Grâce à l’image on peut faire croire n’importe quoi. Elle a un pouvoir immense, supérieur à celui de la parole … L’absence d’image est aussi un moyen de propagande. » (général Pierre-Marie Gallois) – Et le troupeau des spectateurs assidus et béats n’imagine même pas que beaucoup sont truquées ou extraites d’événements qui n’ont rien à voir avec les mensonges que l’on raconte.

« L’image a changé le statut de l’espace public. Il était abstrait, elle l’a rendu concret … L’espace public était lié de naissance à l’écrit et à l’imprimé (la ‘graphosphère’ de Régis Debray). Son accès passait par la lecture, opération éminemment abstraite consistant à reconstituer mentalement une réalité, à s’en donner une représentation, à partir de signes graphiques. Aussi cet espace public que l’on peut dire ‘cultivé’ restait-il optionnel, élitiste et minoritaire … Sans doute la radio avait-elle constitué déjà une effraction notable du concret, en retransmettant les voix et les sons. Mais elle n’en contraignait que davantage à un exercice d’imagination pour se représenter les personnes et les situations … L’image, à l’opposé, amène avec elle un mode d’accès immédiat et complet à la réalité, n’exigeant aucun effort du spectateur : il a tout sous les yeux, la représentation lui est donnée. » (Marcel Gauchet)

« ‘je selfie, donc je suis’. Narcissisme ? Triomphe du virtuel ? Retour du tribal ? Un peu de tout cela. Défaite de la pensée et du langage … Voir et être vu se substituant au propos raisonné. » (Elsa Godart)  – « moi et les pyramides, moi et le Parthénon, moi et le Colisée, moi  et les cocotiers… Le monde n’existe que pour servir d’écrin à ma personne ; les pyramides m’attendaient… » (Michel Onfray)

« Les images pornographiques auraient un impact évident et les images de violence ne laisseraient aucune trace ? » (Christian Godin)

« Quelle autre raison aurait-on de suivre ou de précéder la mode que l’image qu’on souhaite donner aux autres de soi. » (Nicolas Grimaldi)

« Le plus grand risque que fait courir à l’homme contemporain cette infantilisation par l’image n’est pas tant dans la décadence obligée de l’art et de la pensée, qui continueront de vivre tant qu’il y aura des artistes … que dans le remplacement du jugement éclairé par la manipulation. » (Henri Guaino)

« L’art d’aujourd’hui est malade d’avoir perdu le silence fécond qui émanait de ses images. Nos images, désormais, sont presque toutes sous-titrées, animées et bavardes. Nous ne savons plus aller vers elles. Elles ont perdues cette distance qui nous appelait librement à aller vers elles. » (Henri Guérin, maître verrier)

« L’antagonisme entre l’image, l’icône télévisuelle, et l’articulation d’une pensée. » (Jean-Claude Guillebaud)

« L’attention ne doit pas se fixer, une image qui dure ne nous divertit plus et risque l’irruption du réel à travers l’analyse ou le retour sur soi. Un tempo rapide empêche un tel péril. » (Fabrice Hadjadj)

« La pensée n’a absolument rien à voir avec les représentations. Elle ne se réalise pas en images, mais en concepts et en formules. C’est exactement là où les images prennent fin que commence la philosophie … Pour toi, le monde consistait en images, pour moi en concepts. Je te disais toujours que tu n’étais bon à rien comme penseur … mais que tu étais par contre souverain dans le domaine des images. » (Hermann Hesse – Narcisse et Goldmund) – L’artiste, le sensitif et l’intellectuel, le raisonneur. Exemple (de H. Hesse) de pensée dépourvue de représentations : les mathématiques.

« Mentalement, la légende de Jeanne d’Arc reproduite, enrichie dans la suite des générations, avait plus de richesse, plus de liens affectifs et imaginaires avec l’événement que sa transmission télémédiatique, cinématographique, fût-elle signée par des metteurs en scène de talent … La fabrication d’images, filles bavardes des sciences abstraites, banalise l’imaginaire, l’appauvrit, l’instrumentalise, le met à la portée de tous, l’altère. » (Claude Jannoud) – Tel personnage est réduit à ne plus nous apparaître que comme Alain Delon ou Catherine Deneuve…

« Joignez la pensée à l’image, mais ne les mêlez pas, de peur que l’une n’affaiblisse l’autre. » (Joseph Joubert)

« Ce qui domine, c’est un souci utilitariste analogue à celui qui a fini par triompher dans l’enseignement des langues étrangères. Ce français … qui s’appuie  sur les articles de la presse locale et sur des notices pharmaceutiques … Une idée du  ‘textuel’ qui s’abstient de toute hiérarchisation, de tout jugement de valeur, de toute ambition proprement littéraire … Ce mélange de platitude existentielle et de formalisme pédant qu’on nomme aujourd’hui enseignement du français … Ce démocratisme le plus borné où tout texte en vaut un autre … Murmure confus, insignifiant. » (Jacques Julliard)

« Se voir, c’est exister. » (Hervé Juvin – sur les immondes selfie)

« Le regard ne s’empare pas des images, ce sont elles qui s’emparent du regard … Elles inondent la conscience. » (Franz Kafka)

« Le souci de sa propre image, voilà l’incorrigible immaturité de l’homme. » (Milan Kundera)

« L’incroyable capacité humaine à modeler le réel à l’image de son idéal. » (Milan Kundera)

« L’œil d’un seul remplacé par les yeux de tous. L’œil de Dieu remplacé par l’appareil photo … Jadis, quand on voulait photographier quelqu’un, on lui demandait toujours la permission, même aux enfants … Et puis, un jour personne n’a plus rien demandé. Le droit de la caméra a été élevé au-dessus de tous les droits. » (Milan Kundera)  –  Pour l’auteur, début de la muflerie

« Monde où les mots et les images entretiennent de moins en moins de ressemblance avec avec les choses qu’ils semblent décrire. » (Christopher Lasch)

« Le monde où nous vivons me semble extrêmement instable, c’est un monde fait d’images fugitives et qui tend de plus en plus, grâce à la technologie des moyens de communication de masse, à acquérir un caractère hallucinatoire : une sorte de monde d’images fantastiques, par opposition à un monde d’objets bien réels qu’on peut s’attendre à voir durer plus longtemps que nous … La continuité historique qu’apportait la familiarité avec ceux-ci semble de plus en plus céder le pas à un assaut d’images conçues, le plus souvent, pour faire appel à nos fantasmes. » (Christopher Lasch)

« Le crime de Narcisse c’est de préférer à la fin son image à lui-même. » (Louis Lavelle)

« Dans les magasins de bikinis on ne voit pas de calendrier avec des photos de garage. » (Pierre Legaré) – Qu’on m’excuse de ne pouvoir résister à cette observation si pertinente.

« C’est donc bien l’aveuglement intellectuel qui domine … Nos esprits sont en proie à une véritable pornographie de l’image, au motif bienveillant du droit à l’information. » (Anne-Sophie Letac)

« Les milliers de morts qui n’ont pas droit à une seule de nos larmes parce que nous n’avons pas d’image d’eux. » (Elisabeth Lévy)

« Par une inversion de polarité remarquable, par la saturation du modèle rationaliste, par la rébellion de l’imagination … Grâce à elle (la publicité), à cause d’elle, l’image stigmatisée (par les intellectuels) revient sur le devant de la scène et rend la vie ‘obscène’ … L’image publicitaire présente dans le commerce des biens, mais aussi dans le commerce des idées tout comme dans le commerce amoureux … Glissement du rationalisme vers le sensualisme … Se méfier des images était la tendance majeure de notre tradition culturelle … lutte contre les représentations divines … …  stigmatisée par la tradition judéo-chrétienne, méfiante à l’égard des cultes païens des idoles à forte composante sensuelle, encore plus par l’iconoclasme de l’Islam d’un côté et par la Réforme protestante de l’autre (qui a anéanti  une grande partie de la sculpture médiévale et presque toute la peinture, suivant Alain Besançon) … Purgation du sacré afin de le rationnaliser contre ce qui le rattachait aux fantasmes, fantaisies, fantasmagories …. Seul était important le cognitif. Lui seul permettait de mettre de l’ordre dans la confusion des sens, lui seul pouvait réglementer la turbulence des émotions imaginales. » (Michel Maffesoli – simplifié)

« Autrefois, photographier la guerre était le domaine des reporters et des photographes professionnels ; aujourd’hui ce sont les soldats eux-mêmes qui se font photographes, s’échangeant des images entre eux et les envoyant par mail à leurs amis à l’autre bout du monde. » (Michela Marzano) – Etendons au-delà du phénomène de la guerre. Tout le monde est devenu photographe, cinéaste, enregistreur avec les possibilités d’extension du voyeurisme et des manipulations que cette généralisation implique.

« Les hommes n’ont plus à sortir de chez eux pour aller vers l’extérieur. C’est désormais l’extérieur … qui vient chez eux … Le consommateur de radio, de télévision, nous y ajouterons aujourd’hui de jeux vidéos, d’ordinateurs, de tablettes et de téléphones portables, se contente d’appuyer sur un bouton pour voir défiler la réalité dans un spectacle permanent, avant de l’éteindre comme si la fin des images signifiait la fin du monde … En rendant le lointain proche et le proche lointain, la neutralisation des images aboutit au même résultat : la destruction de la structure de notre être-au-monde qui est ordonnée par une série de cercles concentriques autour de nous. » (Jean-François Mattéi)

« Le recours massif aux images d’archives dans les journaux télévisés. » (Sophie Mazet) – Pour mieux manipuler et imager les mensonges débités. 

« Image remplace langage … Elle est partout et elle sert à tout … Il faut accompagner le texte d’une image. L’illustration n’illustre plus, elle est légendée par le texte … Plus besoin de faire des descriptions, l’image fat constat et rapport  … d’articuler un récit logique et linéaire, il suffit d’enchaîner les images et de les légender … La prolifération des images est aussi le triomphe du narcissisme. Chacun peut se montrer et se répandre sous mille profils : exhibition de soi, de sa vie, de sa sexualité, de ses relations, de ses réactions … L’essentiel de notre relation à la réalité passe aujourd’hui par l’image qui rend cette réalité de plus en plus inutile. » (Yves Michaud)

« La société hypermoderne fonctionne à l’image, elle montre, offre, excite, elle fait tout pour empêcher de penser. Les images s’effacent les unes les autres et effacent la mémoire. La réalité se fabrique à coup d’images et de leurres … dans l’immédiat du sensationnel. » (Jacqueline Barus-Michel) 

« Je n’appartiens pas à la civilisation de l’image. Déjà très jeune, lorsque je lisais un roman, je ne supportais pas qu’il fût illustré  parce que je ne pouvais pas admettre que quelqu’un d’autre représentât à ma place le visage des personnages, le décor des maisons, les paysages. Le secours de l’image m’irritait et faisait baisser la valeur du livre. » (François Mitterrand) – Lequel, au moins et contrairement à ses successeurs à la présidence de la république, savait lire.

« Bouleversements dus à l’invention de l’écriture : perte de mémoire vive et relégation des anciens. » (Platon – suivant Régis Debray)

« Par l’image, c’est une fois de plus la performance et le contrôle qui s’insinuent dans chaque strate de l’existence humaine  … L’image dont se nourrissent la presse, la télévision et la publicité … ne représente ni la perfection divine ni l’homme dans son incarnation et sa faiblesse. Elle bâtit une fiction, celle de la perfection humaine … A rebours de l’histoire de la peinture, et plus tard de la photographie, elle ne cherche pas à saisir l’être mais à l’inventer. » (Natacha Polony)

« Pensez à quelque personnage connu (Einstein…), ce qui vous vient tout de suite à l’esprit c’est une image, la photo d’un visage, d’une attitude… Mais des mots il ne vous en viendra guère à l’esprit … différence dans la manière de penser dans une civilisation axée sur les mots ou dans une civilisation axée sur l’image … Les mots ont besoin d’être compris, les images ont besoin d’être reconnues … L’image présente le monde en tant qu’objet, isolé, démembré, le langage le présente en tant qu’idée située en contexte. » (Neil Postman)

« Le règne de l’image est un retour au bac à sable … ‘La chose’ « est menacée par son devenir image, ce qui est une affaire sans précédent. J’observe qu’on ne dit presque plus, dans le propos courant ou médiatique, ’l’islam’ mais ‘l’image de l’islam’, ni ‘l’’autorité ‘mais ‘l’image de l’autorité’ … L’Occident en vacances a en effet le sens des cartes postales… Mais ce ne sont pas seulement les choses, qui sont appelées à devenir image ; ce sont encore les êtres. Le selfie,  ne marque pas une infatuation du Moi, mais une anémie de l’Être : si le photomaniaque contemporain mitraille tout ce qui bouge, et son visage au premier plan, c’est qu’il s’escrime désespérément à combattre le dépérissement de sa réalité par son archivage sous forme de mégapixels ; de ses images, il attend véritablement qu’elles le substantifient … Or, le choix de l’image comme médium terminal de notre dissolution n’est en rien arbitraire, au contraire, mais épouse le profond mouvement de régression anthropologique qui marque notre époque – savoir, son infantilisation -. Avec la prévalence, chaque jour constatable, du principe de plaisir sur le principe de réalité, la primauté du visuel sur l’écrit est une des manifestations les plus exemplaires des velléités contemporaines de sortie de l’âge adulte – dont on pourrait d’ailleurs faire l’autre nom de la sortie de l’Histoire … Cette prééminence de l’image sur le texte est en effet caractéristique des premières années de l’existence, où l’enfant n’a pas encore appris à lire, mais peut d’ores et déjà se plonger dans les illustrations accompagnant les histoires qu’on lui raconte. L’écrit, lui, en revanche, est un univers dans lequel il faut être intronisé ; c’est une société qu’on ne pénètre pas si on n’en maîtrise pas les codes. La sophistication qu’il constitue implique donc un apprentissage, sous peine, autrement, d’en rester à l’hermétisme. Sa maîtrise traduit à la fois un processus de civilisation de l’individu, et une montée en maturité de celui-ci, une capacité – au moins momentanée – à se détourner du principe de plaisir ; dans les deux cas, donc, un départ de la petite enfance. ». (Sylvain Quennehen)   

« Les images ne sont les représentations de rien. Sans langage elles ne signifient pas. » (Pascal Quignard) – Sans langage ou sans contexte. C’est pourquoi, même sans trucage, il est si facile de leur faire dire ce qu’on veut. Bénédiction pour les manipulateurs.

« Une affligeante fascination pour les images tournées en direct, de scènes violentes et de faits-divers sanglants … Cette demande encourage l’offre de faux documents, de reconstitutions et de manipulations diverses. » (Ignacio Ramonet)

« La nouvelle équation médiatique : ‘Voir = comprendre’. Ce ne sont pas les yeux ou les sens qui permettent de comprendre, c’est la raison seule. Les sens trompent … L’emblématisation  d’événements à caractère complexe … la portée des accords Israël-OLP ramenée à la poignée de main Rabin-Arafat. » (Ignacio Ramonet)

Parmi mille exemples de trucage mensonger « Le cormoran breton présenté comme une mouette du Golfe victime de la ‘marée noire’ volontairement provoquée par M. Saddam Hussein. » (cité par Ignacio Ramonet – Les mensonges de la guerre du Golfe -1992)

« Les images étaient l’apparition depuis la distance … depuis l’éloignement profond, qui rendait énigmatique l’être ou l’objet représenté … La prolifération des images produites industriellement correspond à une déforestation de l’imaginaire, désertion du symbolique … Les images ne sont plus des icônes, ne sont plus des portes ouvertes sur le mystère, ne sont plus des présences, s’abaissant au statut de vulgaires produits de l’industrie, marchandises industriellement fabriquée. » (Robert Redeker)

« L’apparition des courbes, histogrammes, diagrammes circulaires, cartes teintées, si récents dans notre histoire, manifeste cette invasion du nombre et de l’image. Leur apparition marque un moment important dans l’évolution des langages humains, dans ce que George Steiner a appelé le ‘rétrécissement du domaine des mots’ au profit du nombre … Combien d’informations sont véhiculées aujourd’hui sous ces nouvelles formes, que nous aurions toutes les peines du monde à exprimer autrement. » (Olivier Rey)

« En diffusant la photo d’Aylan, celle-ci nous disait, en quelque sorte : ’Puisque je n’ai pu vous convaincre par la raison, je vous persuaderai par les sentiments’. En nous montrant cette image on ne nous donnait pas une information : on attendait de nous une réaction prédéterminée, pire, on nous enjoignait d’adopter un certain comportement. » (Ingrid Riocreux)

« L’image, opium du peuple. »(Claude Roy)

« Avec des mots on marque le mouvement, avec des images on le fixe. » (Louis Scutenaire)

« Une image concrète ne peut pas suffire à ce qu’exigerait notre imagination, parce que tout ce qui prend un caractère visuel est par cela même limité ; elle est quelque chose qui appauvrit l’imagination et lui fait violence en même temps. » (Georg Simmel)

« Les choses-qui-se-voient possèdent une particularité cognitive unique : pour regarder … il n’y a rien d’autre à faire que regarder … L’effort d’interprétation est très faible … Nous n’avons pas besoin d’extraire les signifiés des signifiants, d’attribuer des mobiles ou des intentions aux personnages … dans le texte écrit, il nous faut au moins extraire la signification de la forme physique, dans les images non. Il n’est pas indispensable d’allumer le moteur de la compréhension … Un monde dans lequel le fait de voir, d’être-vu, de faire-voir et se-faire-voir sont si centraux est un monde abandonné par la honte (exhibitionnisme, concentration sur le corps, exaltation de la nudité, événements créés uniquement pour les faire voir) … En Occident, l’idée que presque tout peut être vu, que presque tout peut se-faire-voir … s’est fortement enracinée. » (Raffaele Simone) – Ce n’est pas une mince différence avec l’Islam (que nous scandalisons).

« L’image volée et multipliée contre la volonté et à l’insu de celui qui est représenté … En dépit des revendications retentissantes du droit à la protection de la vie privée dont l’Occident se vante. » (Raffaele Simone – à propos des ‘video’ sauvages volées et dont la diffusion est illimitée via internet)

 «Il y a dans le texte écrit, qu’il s’agisse de la tablette d’argile, du marbre, du papyrus ou du parchemin, d’un os gravé, d’un rouleau ou d’un livre, une maxime d’autorité … Le simple fait de l’écriture et de la transmission écrite implique une prétention au magistral et au canonique … Dans son essence même, l’écriture est normative, elle est prescriptive, ce qui est ordonner, anticiper, circonscrire… … Les actes d’écriture et leur consécration dans des livres manifestent des rapports de force … L’autorité qu’implique le texte, la possession et les usages d’un texte par une élite lettrée sont synonymes de pouvoir … C’est en écrivant un autre texte qu’on s’efforce de questionner, de réfuter ou d’infirmer un texte … Le texte écrit règle la question … alors que l’échange oral permet, voire autorise un défi immédiat, des contre-déclarations et des corrections. Il permet à l’interlocuteur de corriger ses thèses, au besoin de les retourner. » (George Steiner – Les logocrates)

« Les gens n’aiment plus la Bourse (un sondage). On songe donc à en ‘rétablir l’image’. Quand les gens n’aiment pas ce qu’ils devraient aimer, on ‘rétablit l’image’. » (François Taillandier) – A chaque époque ses exorcismes.

« Les images nous atteignent beaucoup plus que le raisonnement ou le concept … c’est le propre de la poésie que de nous conduire par l’image à des profondeurs où la pensée discursive ne saurait atteindre. » (Gustave Thibon)

« L’image a une valeur d’appoint et d‘évocation, mais non de remplacement. Dans la mesure où elle se substitue au réel, elle paralyse non seulement la pensée, mais encore l’imagination elle-même, car celle-ci, sans cesse ravitaillée du dehors, perd peu à peu le goût et jusqu’à la faculté de travailler pour son propre compte. »  (Gustave Thibon)

« A la ligne d’horizon qui bornait la perspective de nos déplacements, s’adjoint aujourd’hui l’horizon au carré de la télévision ou de la lucarne de l’avion et du TGV. Le défilement optique ne cessant plus, il devient difficile, voire même impossible, de croire à la stabilité du réel, à la fixation d’un visible qui ne cesse de fuir … L’instabilité d’une image publique devenue omniprésente. »  (Paul Virilio – La vitesse de libération)

« On oublie plus vite ce qu’on a entendu que ce qu’on a vu. » (?)

« Un écrit est un texte sur lequel on peut revenir et qui … déclenche une réflexion critique. » (?)

« Si une image parle, elle peut mentir. Même sans menteur derrière » (?)

« Le défilé ininterrompu,  l’enchevêtrement des images a pour fonction d’empêcher la réflexion de se poser. » ( ?)

Ci-dessous, extraits simplifiés et remaniés de l’ouvrage de Raffaele Simone, Pris dans la toile, l’esprit au temps du web.

 « Les sens ont des fonctions différentes dans l’acquisition de la connaissance.  La vue est liée à l’espace, elle nous montre plusieurs choses les unes à côté des autres, les signes sont simultanés.  L’ouïe est liée au temps, les signes sont successifs … On écoute en société, on lit dans la solitude … Avec la naissance de l’écriture on était passé de la prédominance de l’oreille à celle de l’œil et peu à peu à une vision alphabétique. Aujourd’hui, c’est la vision non alphabétique qui prédomine … Aujourd’hui, en augmentant de manière énorme les ‘stimuli’ auditifs ainsi que la culture auditive et visuelle, on a rabaissé l’importance de la vision alphabétique et de son support, le texte …  La télévision produit des images et efface les concepts ;  mais elle atrophie ainsi notre capacité d’abstraction et avec elle notre capacité de compréhension …. La lecture, ou l’écriture (codes alphabétiques) favorise une intelligence ‘séquentielle’, un pas à la fois. La vidéo (au sens large, codes iconiques, basés sur l’image) favorise un autre type d’intelligence, que j’appelle ‘simultanée’,  donc, le mode d’acquisition des connaissances influe sur notre forme d’intelligence, On ne peut pas introduire un nouveau médium pour l’esprit sans produire des effets sur ce dernier lui-même  … Entre ‘lire’ et ‘voir’ : différences de rythme (lenteur / rapidité), de possibilité de correction (possible / impossible), de renvois encyclopédiques, soit d’appel à des connaissance supplémentaires (possible / impossible), de convivialité (solitaire / possible en groupe), de multisensioralité soit d’appel à différents sens (non / oui), de degré d’iconicité soit de ressemblance du signifiant et du signifié (on peut ne pas comprendre un texte / on comprend plus ou moins une image), de la  possibilité de citer, de raconter, à autrui (oui, aisément / difficilement) … Mais  la fatigue d’être lecteur ne peut rivaliser avec  la facilité d’être spectateur … La vision d’images ne suppose pas d’apprentissage (La Bible statuaire ou en peinture pour la masse analphabète de jadis) … Le texte rend la connaissance accessible plus tard à volonté, il formule avec précision (comment exprimer autrement les mathématiques), il peut être corrigé et contrôlé pendant son élaboration. Produit, il est stable et permanent. Ce qui n’est pas valable pour le texte numérique, continuellement modifiable, altérable, manipulable et falsifiable, lequel, de plus, est immatériel, ne porte pas la trace physique de son auteur, est dépourvu de lieu, est diffusable sans limite, il devient en quelque sorte irresponsable. »

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