080,2 – Gaieté, Joie, Plaisir

« Je viens je ne sais d’où – Je suis-je ne sais qui – Je meurs je ne sais quand – Je vais-je ne sais où – Je m’étonne d’être aussi joyeux. » (épitaphe de Martinus von Biberach, XV° siècle) – La joie pure.

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« L’homme s’ennuie du plaisir reçu et préfère de bien loin le plaisir conquis … Il aime agir et conquérir, il n’aime point pâtir ni subir ; aussi choisit-il la peine avec l’action plutôt que le plaisir sans action … Le plaisir reçu ne paie jamais ce qu’il promettait, alors que le plaisir d’agir, au contraire paie toujours plus qu’il ne promettait. » (Alain)

« Le plaisir est partiel, limité à la satisfaction d’un organe, d’un sens, il diffère en cela de la globalité du sentiment de bonheur … Le bonheur n’est pas une simple addition de moments de plaisir … La joie provient d’un événement extérieur (fête de famille, contact d’un enfant, réussite…) … Elle est brève. Elle est ou peut être ingrédient, expression, incarnation du bonheur …  Mais …  Il peut y avoir des joies malsaines. » (Christophe André) – Telle la vengeance… comme il peut y avoir des plaisirs pernicieux : alcool, jeu…

« La joie, entant qu’émotion, est brève par essence. ‘Le bonheur, c’est la durée. La joie, c’est l’instant’. » (Christophe André) 

« Nous valons ce que valent nos joies. » (saint Thomas d’Aquin)

« Il existe une distinction profonde entre la joie, indépendante des besoins et des désirs, sans liens avec eux, et le plaisir, convoitise sensuelle d’une créature dont le corps vit dans la mesure où il a besoin d’une chose qu’il ne possède pas. On ne peut connaître la joie, ce me semble, que quand on est totalement affranchi de la peine et du désir. » (Hannah Arendt)

« Le plaisir est un mouvement ‘lisse’ et la souffrance  un mouvement ‘rugueux ». » (Aristippe – cité par Yves Michaud)

« Les plaisirs corporels ont accaparé l’héritage du nom de plaisir, parce que c’est vers eux que nous dirigeons le plus fréquemment notre course et qu’ils sont le partage de tout le monde ; et ainsi, du fait qu’ils sont les seuls qui nous soient familiers, nous croyons que ce sont les seuls qui existent. » (Aristote)

« Celui qui ne se prive d’aucun des plaisirs qui sont permis, est bien près de s’abandonner à ceux qui sont défendus. » (saint Augustin)

« Chaque chose a été faite en vue d’une fonction, le cheval, la vigne. Le soleil même dira qu’il a été produit pour une tâche, comme les autres dieux. Mais toi, pourquoi as-tu été créé ? Pour le plaisir ? Vois si cette pensée est admissible. » (Marc-Aurèle)

« Le plaisir, selon Aristote, est une sensation euphorique produite par une activité conduite suivant la nature. La joie est une émotion qui emporte le psychisme tout entier, quand un sujet a le sentiment, justifié ou non, d’avoir rencontré ce à quoi il aspirait. Le bonheur est un état de quiétude et de plénitude procuré par l’assurance subjective que tous les problèmes du sujet sont résolus. » (Jean Baechler)

« Ne prépare ni la joie ni la peine ; elles savent arriver seules. »(Anne Barratin)

« Les plaisirs préparés nous déçoivent, comme l’avenir des enfants prodiges. » (Anne Barratin)

« Le vrai bonheur donne toujours du plaisir à un homme heureux, mais tous les plaisirs ne rendent pas l’homme heureux … Les plaisirs ne durent pas, instables, évasifs, insaisissables … le bonheur au contraire ne peut se trouver que dans la durée. » (Zygmunt Bauman)

« La joie annonce toujours que la vie a réussi, qu’elle  a gagné du terrain, qu’elle  a remporté une victoire : toute grande joie a un accent triomphal. » (Henri Bergson)

« Il n’y a pas de plaisir sans peine, dit-on. – Sans peine pour les autres, bien entendu. Il serait un peu fort que le Bourgeois fût obligé d’acheter d’un déplaisir personnel un plaisir quelconque… » (Léon Bloy – Exégèse des lieux communs – 1, LVI)

« Tel est toujours le plaisir :

« Il excite ceux qui en jouissent

« Et comme un essaim d’abeilles,

« Une fois répandu son doux miel,

« Il disparaît et blesse les cœurs

« D’une piqûre sans douceur. » (Boèce)

 « Il importe de briser l’idée sotte, mais répandue, qui fait que l’on identifie (positivement ou négativement) le péché au plaisir … La réduction du péché au plaisir, et au plaisir sexuel, est un phénomène datable. Il ne vient pas du christianisme (qui ne fait guère là que de reprendre les lieux communs philosophiques ou médicaux de l‘Antiquité classique ou du monde médiéval : Dante place le péché de la chair, comme le moins grave de tous, au tout début de son ‘Enfer’.) Ladite réduction coïncide avec la rationalisation de l’esprit occidental lié à l’économie capitaliste et aux Lumières : il fallait promouvoir le sérieux du travail, l’épargne, ne pas mettre sa santé en péril .… La réduction du péché à la sexualité est un des signes de l’effrayant manque d’imagination de l’homme moderne : ne pas trouver de péché plus intéressant que les excès sexuels me semble le symptôme d’une grave platitude d’esprit … Le péché ne coïncide nullement avec le plaisir par rapport auquel il est indifférent … Il est des péchés dont l’exercice même est un déplaisir, le meilleur exemple est sans doute le péché d’envie, lequel n’a rien de subalterne (il figure dans les sept péchés capitaux). » (Rémi Brague)

« Il y a plus de noblesse d’âme à se réjouir de la gaieté d’autrui qu’à s’affliger de ses malheurs. » (Pascal Bruckner)

« A peine émancipé du carcan moralisateur, le plaisir découvre sa fragilité et découvre un autre obstacle majeur : l’ennui. » (Pascal Bruckner)

« Au bonheur proprement dit, on peut préférer le plaisir comme une brève extase volée au cours des choses, la gaieté, cette ivresse légère qui accompagne le déploiement de la vie, et surtout la joie qui suppose surprise et élévation. Car rien ne rivalise avec l’irruption dans notre existence d’un événement ou d’un être qui nous ravage et nous ravit. » (Pascal Bruckner)

« Nous autres, les damnés de la Joie, les galériens du Plaisir, sommes parvenus à recréer de petits enfers avec les armes du paradis. En vouant chacun de nous à être enchanté sous peine de mort sociale, on transforme l’hédonisme en pensum, on nous place sous le joug d’une félicité despotique. » (Pascal Bruckner) – Qui convient que son voyage, ses vacances, le spectacle auquel il a assisté, l’exposition qu’il a visitée ne valait pas un clou et qu’il s’est profondément ennuyé ?

« Le plaisir le plus délicat est de faire celui d’autrui. » (La Bruyère)       

« Pour connaître la joie, il faut partager le bonheur. Le bonheur est né jumeau. » (Lord Byron – cité par Tal Ben Shahar)

« Le plaisir n’est qu’une tristesse et qu’un alcool trouble s’il n’est pas la récompense d’autre chose : de la victoire, de la beauté, du travail et, pourquoi pas ? de l’ascèse. » (Jean Cau)    

« Le temps diminue chez nous l’intensité des plaisirs absolus, mais il paraît qu’il accroît les plaisirs relatifs ; je soupçonne que c’est l’artifice par lequel la nature a su lier les hommes à la vie, après la perte des objets ou des plaisirs qui la rendaient le plus agréable. » (Chamfort) – cité par Dominique Noguez)

« Les joies nouvelles ne rendent point le printemps aux anciennes joies, mais les douleurs récentes font reverdir les vieilles douleurs. » (Chateaubriand)

« On n’a que le plaisir qu’on donne. » (Alphonse de Châteaubriant)

« Y a-t-il une alliance possible entre la lucidité et la joie ? » (Emil Cioran)

« On ne possède pas la joie, c’est la joie qui te  possède. » (Paul Claudel – Le soulier de satin)

« Une joie partagée est une double joie ; un chagrin partagé est un demi-chagrin. » (Jacques Deval)

« On prend son plaisir où on le trouve ; ordinairement un degré plus bas qu’on ne l’avoue. » (Louis Dumur)

« Gaieté. – Toujours accompagnée de ‘folle’. » (Flaubert – Dictionnaire des idées reçues)

« La gaieté est la forme la plus aimable du courage. » (Anatole France)

« La vraie joie naît du don de soi, car c’est en se donnant que l’on reçoit, c’est en s’oubliant que l’on se trouve. » (saint François d’Assise – sinon de lui, il en est digne)

« Le programme que nous impose le principe de plaisir, devenir heureux, est impossible à appliquer avec succès, cependant on n’a pas le droit, pas la possibilité, de renoncer aux efforts pour se rapprocher de son succès … donner la priorité au contenu positif du but, obtenir du plaisir, ou bien au contenu négatif, éviter le déplaisir. » (Sigmund Freud – Malaise dans la civilisation)

« Le principe de plaisir lui-même s’est transformé, sous l’influence du monde extérieur, en principe de réalité plus modeste … La tâche consistant à éviter la souffrance repousse à l’arrière-plan celle d’obtenir du plaisir. » (Sigmund Freud)

« Et certains, parmi vos Anciens, se souviennent de leurs plaisirs avec regret, comme de fautes commises en état d’ébriété. » (Khalil Gibran) – Avant de prendre un plaisir, estimer ce qu’on en pensera vingt ans après ; mais c’est là demander beaucoup de sagesse, trop ?

« Conquérir sa joie est mieux que s’abandonner à la tristesse. » (André Gide)

« Il y  a tant de joies fondées sur de mauvaises raisons : sur des haines, des ressentiments, des peurs, des lâchetés, des orgueils inconsidérés. Une joie mal fondée n’engendre jamais qu’un simulacre de joie : une transe  éphémère condamnée à ne produire que de l’amertume et du désenchantement. La vraie joie, elle, ne connaît pas la gueule de bois, le réveil honteux, le cœur lourd. ». (Emmanuel Godo – Mais quel visage a ta joie)

« L’humeur joviale. C’est une perfection plutôt qu’un défaut, quand il n’y a point d’excès. Une belle humeur est l’aimant des cœurs. » (Baltasar Gracian)

« L’être plein d’une joie sereine répand autour de lui une claire lumière, qui chasse les nuages dont la tête des hommes est enténébrée. La gaieté sereine ce n’est pas seulement un trait de caractère … elle naît d’une grande confiance, celle que donne la certitude d’être accepté sans conditions, tel que l’on est et qu’en fin de compte tout est bien ainsi. Elle naît aussi du courage qu’il faut à l’homme pour regarder en face sa propre vérité. » (Père Anselm Grün)

« Les vrais plaisirs humains sont  plus ou moins sociaux. L’égoïsme pur, au lieu d’être une réelle affirmation de soi, est une mutilation de soi. » (Jean-Marie Guyau)

« Se mettre en état de joie donc, d’amour, oui, d’acceptation du monde tel qu’il est, mais comme espérance plutôt que comme réalité. Croire dans l’homme, oui, il le faut. » (Pierre Guyotat)

« Ils (les stoïciens) distinguaient soigneusement le plaisir de la joie, et la joie, pour eux , se trouvait non pas dans le moi tout court, mais dans la meilleure partie du moi. Sénèque ne trouve pas sa joie dans Sénèque, mais dans Sénèque identifié à la raison universelle. » (Pierre Hadot)

« Le but majoritaire de la quête sexuelle n’est pas le plaisir, mais la gratification narcissique, l’hommage rendu par des partenaires désirables à sa propre excellence érotique. » (Michel Houellebecq)

« L’homme moderne est libre de chercher individuellement, quand il lui plaît, des distractions de son choix. Mais dans un temps où les plaisirs de l’esprit ne sont ni nombreux ni accessibles à tous, on a besoin de ces réjouissances collectives que sont les fêtes. Plus la misère quotidienne est accablante, plus les fêtes sont indispensables et plus leurs moyens devront être forts pour procurer l’enivrement de la jouissance et l’oubli des réalités. » (Johan Huizinga – sur les fêtes du Moyen Âge) – Notre modernité et son appétit de fêtes (souvent lamentables et stupides) confirme l’observation de l’auteur, du moins si aujourd’hui on entend par misère, la misère non pas matérielle, mais l’effondrement spirituel et moral.

« La grande différence entre le barbare et le civilisé : le premier cherche le plaisir, le second cherche à éviter le déplaisir. » (Roland Jaccard)  

« Le premier souci que nos voluptés nous inspirent est celui de leur avenir. Dureront-elles ? La crainte qu’elles ne soient éphémères est bien la première douleur du plaisir. » (Vladimir Jankélévitch)

« Le plaisir est comme la vertu ou comme le sommeil : on l’éloigne en y pensant. Le bonheur, dit-on, s’organise, mais le plaisir ne s’organise pas, car le plaisir est une espèce de grâce … L’on peut réunir toutes les conditions du bonheur humain, santé, fortune, honneurs, femmes, sans que pourtant sur tout ce bonheur le plaisir consente à se déposer … Nous voilà … tout prêts à accueillir le bonheur ; il ne nous manque plus rien que d’être heureux effectivement. » (Vladimir Jankélévitch)

« Le plaisir doit être considéré comme un effet d’ensemble, une impression diffuse qui perd toute consistance dés qu’on le fixe du regard … Ainsi, n’approfondissez pas, mais au contraire glissez et contentez-vous de l’à-peu-près si vous ne voulez pas gâter votre plaisir … Il ne veut pas être forcé, il veut, comme l’opération de la grâce suivant Fénelon, des consciences simples et détendues … La conscience l’éloigne en prétendant le retenir, ou le manque en voulant le forcer … Proust parle de ‘l’impuissance où on est de trouver du plaisir quand on se contente de le chercher’. » (Vladimir Jankélévitch)

« La joie est le signe de la générosité, le baromètre du cœur. » (Marcel Jouhandeau)

« Le plaisir, par définition tend à sa fin, le principe de plaisir c’est que le plaisir cesse. » (Jacques Lacan)

« Dans une société qui réduirait la raison à un simple calcul (c’est fait), celle-ci ne saurait imposer aucune limite à la poursuite du plaisir, ni à la satisfaction immédiate de n’importe quel désir, aussi pervers, fou, criminel ou simplement immoral qu’il fut. En effet, comment condamner le crime ou la cruauté sinon à partir de normes ou de critères qui trouvent leur origine dans la religion, la compassion ou dans une conception de la raison qui rejette des pratiques purement instrumentales. Or aucune de ces formes de pensée ou de sentiment n’a de place logique dans une société fondée sur la production de marchandises. » (Christopher Lasch) – La sainte croissance, seule divinité subsistante !

« Le plaisir est un objet spéculatif, non réel, un désir, non un fait ; un sentiment, et même un concept plutôt qu’un sentiment … Au moment du plaisir, l’eussiez-vous désiré de toutes vos forces, et atteint au prix d’indicibles épreuves, la jouissance que vous ressentez en cet instant ne peut vous contenter et vous ne cessez dès lors d’espérer une jouissance plus vive et plus vraie … Et ainsi vous reportez constamment dans le futur la satisfaction de vos désirs … « Le plaisir est toujours passé ou futur, jamais présent. » (Giacomo Leopardi)

« Qui ne sait que presque tous les plaisirs proviennent plutôt de notre imagination que des qualités mêmes des objets qui nous plaisent … Nous nous composons des raisons de plaisir et y réussissions surtout par les liaisons que nous mettons aux choses. » (Giacomo Leopardi)

« Dans cette vie le plaisir le plus sûr est le vain plaisir  des illusions … Elles sont donc nécessaires et font partie de l’ordre des choses .… Elles survivent en dépit de la raison et du savoir. Il faut espérer qu’elles durent malgré le progrès» (Giacomo Leopardi)  

« Pour tirer du plaisir de quelque action ou activité que ce soit, il faut y rechercher une autre fin que le plaisir lui-même (par exemple la lecture où on ne s’ennuie pas si on cherche aussi à s’y instruire)  … C’est peut-être pour cette raison que les spectacles et les divertissements publics pris en eux-mêmes, sont ce qu’il y a  de plus ennuyeux et de plus fastidieux au monde … Quelque chose dont on attend, dont on exige, du plaisir, comme s’il s’agissait d’un dû, ne nous en donne presque jamais et fait plutôt l’effet contraire … Le plaisir ne naît que s’il est inattendu, que là où nous ne le cherchons ni ne l’espérons … les plaisirs ne nous comblent que s’ils ont un but situé en dehors d’eux-mêmes. » (Giacomo Leopardi)

« Le plaisir n’est plus banni, il est massivement valorisé et normalisé, promotionné et endigué, diversifié et ‘propre’, libéré et fréquemment différé … par la diffusion des normes rationnelles de progrès et de santé. ‘Consommez avec modération’ ; notre arithmétique utilitariste a pris le visage d’une gestion des plaisirs-minute homéopathiques et démultipliés. L’hédonisme postmoderne n’est plus ni transgressif ni dilettante. Il est managé, fonctionnalisé, sagement ‘light’. » (Gilles Lipovetsky)

« La gaieté, la légèreté de vivre ne sont pas au rendez-vous du progrès … Pourquoi la joie de vivre ‘d’homo consumericus’ ne suit-elle pas la même pente que celle du bien-être matériel ? … Suivant une thèse, peut-être, le manque de confort serait ce qui doit précéder le plaisir, il faudrait avoir froid pour goûter la chaleur du feu, il faudrait avoir faim… le consommateur moyen vivrait non tant en vue de la satisfaction qu’apportent les biens de confort que pour éviter les inconvénients résultant de leur abandon … Confort et plaisir ne se confondraient pas, mais s’excluraient l’un l’autre. » (Gilles Lipovetsky)

« Une tiédeur mortelle. L’homme moderne a déplacé l’équilibre plaisir-déplaisir dans le sens d’une hypersensibilité croissante à l’égard de toute situation pénible, tandis que sa capacité de jouissance allait s’émoussant … La disparition de tout sentiment fort … par l’amollissement … l’intolérance croissante à tout ce qui peut entraîner le moindre déplaisir … Impatiente exigence d’immédiate satisfaction de tout désir en germe … La disparition de la capacité de l’homme d’éprouver une joie à laquelle il ne parvient jamais qu’en surmontant des obstacles, au prix d’un dur effort. L’hypersensibilité à la peine rendant la joie inaccessible … L’ombre et la lumière tendant vers un gris uniforme, tendance engendrant un ennui mortel … Plus d’obstacle naturel à vaincre, donc plus d’effort, donc plus de joie d’avoir surmonté… » (Konrad Lorenz)

« Les paradis perdus sont les seuls vrais, non pas parce que rétrospectivement la joie passée semble plus belle qu’elle ne fut réellement, mais parce que seul le souvenir procure la joie sans cette angoisse née du caractère passager de la joie et lui donne ainsi une durée autrement impossible. » (Herbert Marcuse)

« Il n’y a point de plaisir qui ne perde à être connu. » (Marivaux – Le paysan parvenu)

« Le terme ‘expérience paroxystique’ est une généralisation des meilleurs moments de l’existence de l’être humain : moments de joie profonde, d’extase, de ravissement, de béatitude … De tels instants découlent d’expériences  esthétiques profondes (extase créative, instants d’amour adulte, rapport sexuel parfait, amour parental…) ‘Ce qui est’ devient identique à ‘ce qui devrait être’. Les faits deviennent identiques aux valeurs … Le monde qui est devient le monde qui devrait être … les faits ont fusionné avec les valeurs … Découvrir sa vraie nature est à la fois une quête de l’idéal et une quête de ce qui est … La fusion entre faits et valeurs découle aussi de l’acceptation. La fusion est alors moins issue de l’amélioration de ce qui est , de l’amélioration de la réalité pour se rapprocher de l’idéal, que de la réduction de ce qui devrait être, d’une redéfinition des attentes afin qu’elles viennent au plus près de la réalité, donc de l’accessibilité, du rabaissement du niveau de l’idéal afin que celui-ci se rapproche de ce qui existe effectivement … ‘L’ontification’, toute activité visant une valeur de moyens (accepter un emploi pour gagner sa vie…) peut se transmuer en activité ayant une valeur de fins (aimer son travail pour lui-même…) … Les individus accomplis semblent agir au nom de valeurs ultimes, au nom de principes qui semblent intrinsèquement valables. » (Abraham Maslow – Être humain)

« Les hommes aiment volontiers ceux qui partagent leurs plaisirs ; il est rare qu’ils les respectent. » (André Maurois)

« Les grands seigneurs ont des plaisirs, le peuple a de la joie. » (Montesquieu)

« Sans doute, ne peut-on même pas dire qu’au principe de réalité s’est désormais substitué le principe de plaisir. Cette opposition elle-même semble devenue caduque … Ce qu’il faut arriver à penser c’est que le principe de plaisir est devenu le nouveau principe de réalité … et qu’il n’est plus en conflit avec quoi que ce soit. » (Philippe Muray)

« Celui qui a beaucoup de joie doit être un homme bon ; mais peut-être n’est-il pas le plus intelligent, bien qu’il atteigne ce à quoi le plus intelligent aspire de toute son intelligence. » (Nietzsche)

 « Une vie transfigurée par la sculpture de soi : elle suppose la vitalité débordante, la restauration de la ‘virtu’ renaissante contre la vertu chrétienne, le talent pour l’héroïsme que permet l’individualité forte, le consentement à l’abondance, la capacité à la magnificence. Dans une perspective hédoniste, cette éthique donne toute leur puissance à la politesse, l’élégance, la parole donnée, l’amitié et les affinités électives. » (Michel Onfray) – Beau programme, mais on à peine à voir là dedans nos idoles aussi fortement recommandées que préférées : égalité, diversité, parité, tolérance, vivre-ensemble…

« La joie est une grâce venue d’ailleurs. Elle éclate. Elle nous transporte. Elle nous ravit au-dessus de nous-même. La joie est liée à la justice, à la beauté, à la vérité. » (Jean d’Ormesson)

« Dés que nous sommes heureux nous devenons généreux et indulgents pour les autres ; au contraire, le malheur et l’aigreur nous rendent méchants. La joie est une source d’énergie et de transfiguration. » (Paul-François Paoli)

« Il y a plaisir à être dans un vaisseau battu de l’orage, lorsqu’on est assuré qu’il ne périra point. » (Blaise Pascal) – Ainsi sommes-nous.

« Maintenant que l’on a pleinement savouré les promesses de la liberté illimitée, nous commençons à comprendre à nouveau l’expression ‘tristesse de ce monde’. Les plaisirs interdits perdirent leur attrait dés l’instant où ils ne furent plus interdits. Ils semblent fades, parce qu’ils sont tous finis, et qu’il y a en nous une faim d’infini. La racine la plus profonde de notre tristesse c’est l’absence d’une grande espérance et l’inaccessibilité du grand Amour : tout ce que l’on peut espérer est connu. » (cardinal Joseph Ratzinger)

« Si les hommes sont capables de compatir aux souffrances d’autrui, seuls les anges sont capables de se réjouir des joies d’autrui. » (Jean-Paul Richter)

« La seule chose qui ait changé depuis l’époque où Tocqueville écrivait, c’est que la sphère des plaisirs est elle-même devenue une sphère de soucis. » (David Riesman – sur l’emprise de la consommation en général, shopping, vacances, sexualité…)

« Nul plaisir n’est encore devenu bonheur. » (Rivarol)

« On n’aurait guère de plaisir si on ne se flattait jamais. » (La Rochefoucauld)

« ‘Gaieté’ me semble impliquer quelque chose de plus soudain, peut-être de plus léger,, quelque chose comme du champagne, et peut-être plus tributaire de l’humeur … plus tributaire de l’occasion, alors que la joie et l’allégresse ne dépendent pas de l’occasion … la joie indépendante de toute occasion de réjouissance … la joie toujours résurgence de l’enfance. » (Clément Rosset)

« Il y a dans la joie un mécanisme approbateur qui tend à déborder l’objet particulier qui l’a suscitée pour … aboutir à une affirmation du caractère jubilatoire de l’existence en général … Sorte de quitus aveugle accordé à tout et à n’importe quoi … l’homme joyeux est incapable de dire le motif de sa joie et la nature de ce qui le comble (comme le mélancolique ne sait préciser le motif de sa tristesse et la nature de ce qui lui manque).  … La joie apparaît comme indépendante de toute circonstance propre à la provoquer (comme elle est aussi indépendante de toute circonstance propre à la contrarier ) … plein qui se suffit à lui-même et n’a besoin pour être d’aucun apport extérieur.. » (Clément Rosset)

 Le divertissement (au sens pascalien) « nous prive de la joie de vivre sous le prétexte d’en effacer la tragédie qui en est la condition sine qua non pour la bonne et simple raison qu’une joie de vivre qui efface la lucidité tragique est une fausse joie. » (Clément Rosset) – Surabondance actuelle d’agitations, d’occupations, d’informations, d’événements, etc. afin d’effacer le tragique de l’existence. 

« Si la joie n’est jamais vulgaire en Espagne, c’est parce qu’elle s’accompagne toujours de l’éclat quelle reçoit a contrario du sentiment cruel du dérisoire propre à toute existence, ce qui la met à l’abri de toute illusion, ainsi que de toute complaisance ou compromis.  En exaltant la joie de vivre, elle n’oublie pas que la vie, comme le suggérait Bichat, ne sera jamais qu’une résistance miraculeuse à la mort. » (Clément Rosset)

« L’espérance que l’on conçoit d’un plaisir est toujours plus forte que ce plaisir. » (Maurice Sachs)

« Comment avoir plus de joie ?  ‘Par la joie’. On voit bien là que la fonction de la joie est absolument indépendante de la quantité de l’agréable ou du désagréable … et s’oppose en cela à une certaine civilisation qui, à produire et à rechercher des moyens de jouissance toujours nouveaux, ne réussit pas à se satisfaire. » (Max Scheler – citant Mgr de Keppler)

« Je préfère modérer mes joies que réprimer mes douleurs. » (Sénèque)

« L’époque de la vie la plus délicieuse, c’est lorsqu’on a entamé la descente mais sans dégringoler pour autant … Ce qui remplace le plaisir c’est de ne pas en ressentir le manque. Comme il est doux d’avoir épuisé ses désirs, de les avoir laissées derrière soi. » (Sénèque)

« Homme, si le paradis n’est d’abord en toi,

« Crois-moi, tu ne le connaîtras jamais. » (Angélus Silésius)

« La joie, passion qui reflète le passage à une plus grande perfection ; la tristesse, passion par laquelle elle passe à une perfection moindre. » (Spinoza)

« Quoi de plus triste que de lire sa joie dans le calendrier. » (André Comte-Sponville) – sur les fêtes programmées) 

« Nos joies et nos vertus ne meurent pas de ce qu’on leur refuse quelque chose, mais de ce qu’on leur donne tout : elles crèvent d’indigestion ! » (Gustave Thibon)

« Nous savons trop bien quelles sont les conditions de la plupart des ascensions humaines. On monte quand on n’a plus d’issue en bas. Pour que l’homme veuille la joie la plus haute, il faut que la joie la plus basse ne veuille plus de lui. » (Gustave Thibon)

« Laisse ta joie marcher à son pas naturel. L’aiguillon comme le frein la rendrait impure. » (Gustave Thibon)

« Le plaisir obligatoire remplace le plaisir prohibé. La jouissance s’affronte à la façon d’un examen, avec échec ou réussite à la clé. Boire, manger, s’adonner à l’amour participent désormais des ornements de la bonne réputation. Pour le brevet de radicalité, indiquez ici la moyenne horaire de vos orgasmes ! » (Raoul Vaneigem)

« Alors que l’on a du plaisir avec une partie de son corps, on a de la joie avec toute sa vie. Alors que le plaisir dépend d’un objet extérieur, la joie est purement intérieure et dépend de nous. La joie est un plaisir transformé, c’est un plaisir heureux. On est dans la joie quand à l’occasion d’un plaisir on trouve heureux de vivre. » (Bertrand Vergely)

 « Car alors que le plaisir cherche la satisfaction d’un besoin, la joie trouve du plaisir dans le seul fait de vivre, indépendamment de toute satisfaction. » (Bertrand Vergely)

« Pour un plaisir, mille douleurs. » (François Villon)

« Le plaisir peut-être est innocent, à condition qu’on n’y cherche pas la connaissance. » (Simone Weil)

« Seul ce qui nous vient du dehors, gratuitement, par surprise, comme un don du sort, sans que nous l’ayons cherché, est joie pure. Parallèlement, le bien réel ne peut venir que du dehors, jamais de notre effort. » (Simone Weil)

« C’est insulter les autres que de dédaigner leurs joies. » (Marguerite Yourcenar)

« Les vraies joies s’achètent toujours au prix de certains sacrifices. » (un éducateur, un vrai) – Exact.

« Le plaisir le plus délicat est de faire celui d’autrui. » (maxime)

« Plaisir non partagé n’est plaisir qu’à moitié. » (proverbe)

« La variété est la source de tous nos plaisirs, le plaisir cesse de l’être quand il devient une habitude. » (?)

« La raison est le bourreau du plaisir. » (?)

« Gaieté : être telle que tous ceux qui m’entourent soient contents. » (?)

« Vouloir le plaisir et non être voulu par lui. » (?) 

Les jeunes gens qui nous envient les Trente Glorieuses (1945- 1975 ou plutôt pour ceux qui ont connu le sinistre et misérable après-guerre, puis la guerre d’Algérie, les Vingt Glorieuses, 1965-1984 suivant un autre auteur), consulteront aussi avec profit et étonnement les quatre-vingt-dix petites pages de C’était mieux avant, de Michel Serres. Ils ne voudront plus revenir en arrière.

Ci-dessous, de brefs extraits du petit ouvrage d’Olivier Bardolle, De la joie de vivre par temps hostiles. Il n’est pas fait mention de la deuxième partie intitulée Le monde qui vient, suite de simili prophéties (bien assumées comme telles d’ailleurs), mais de la première partie, Non, ce n’était pas mieux avant. En effet, l’auteur, comme moi-même, auteur de ce blog, en ont par-dessus la tête d’entendre les plaintes et gémissements actuels jalousant la période qu’on appelle couramment les trente glorieuses, où, à entendre les paltoquets actuels, tout était rose. L’auteur évoque (en italiques) les années soixante, soixante-dix. Ensuite, plus âgé de vingt ans, j’évoquerai (en gras) plutôt les années cinquante, soixante.

Mépris de voir de jeunes privilégiés pleurnichards manifester pour leur retraite !

 « Je me souviens de la noirceur de Paris, le ravalement des façades ne s’était pas encore déployé, les façades noircies étaient tout bonnement sinistres … La sciure répandue au sol dans les bistrots (où on crachait), les cendriers jaunes Ricard éparpillés sur le zinc à côté des œufs durs … Le brouillard des rues, l’air pollué par le chauffage au charbon, la fumée noire des cheminées, les moteurs toussotants, polluants … Les cours de récré., la blouse grise et les galoches, l’aspect physique des gamins qui tenait parfois de la Cour des miracles … La pauvreté et l’attente de la paye dès la troisième semaine … Les salles communes des hôpitaux … La roulette du dentiste … Le temps de travail du paysan du chant du coq au coucher du soleil …  les effets de l’alcoolisme et de la consanguinité … Je me souviens aussi de l’ennui qui régnait en maître sur nos têtes, le temps ne s’écoulait pas, nous étions englués dans des heures interminables (l’article prémonitoire de P. Viansson-Ponté en mars 1968, ‘La France s’ennuie’ ) … Immobilisme social, conformisme intellectuel et petitesse généralisée à un point inimaginable aujourd’hui … Phénomènes qui firent le lit des ‘événements’ de 1968 … Vous n’imaginez pas comme ce pays était sombre et triste et infiniment cotonneux … rien ne frémissait à l’horizon, immobilisme, mœurs incroyablement corsetées … La pilule n’existait pas et les filles ne couchaient pas … Les jeunes assignés à résidence, à la fois par leur pouvoir d’achat quasi nul, mais aussi par l’absence de moyens de locomotion et évidemment de télécommunication … En 1965, la société était bloquée et on commençait à peine à percevoir les bienfaits de la société de consommation (‘Moulinex libère la femme’, serinait la réclame) … La pornographie de masse déferlant à la fin des années soixante, vague de lubricité collective que l’on appelle la ‘libération sexuelle’ (la moitié des cinémas des Champs-Elysées programmant des ‘films de cul’) … Non, les ‘sixties’ ne furent pas cet éden naïf, enthousiaste et joyeux que l’on offre aujourd’hui à l’imagination des foules, elles furent âpres, tendues et belliqueuses (Guerre froide, prolifération atomique, essais nucléaires, guerres de décolonisation féroces…) … Nous ne savions pas vivre, en bagnole, nous balancions tout par les fenêtres … Pareil pour les pique-niques, nous laissions tout sur place … La vie gastronomique n’était pas gaie, pas légère, pas vivifiante … Fasciné par les objets, l’homme n’eut plus besoin de Dieu, il perdit sa spiritualité, il se fit strictement consommateur et se perçut comme libre dans un monde d’abondance … Le ‘mouvement’ nouveau credo, il fallait que ‘ça bouge’ si l’on voulait en être … On cessa de réparer, on se mit à envoyer à la casse, à la poubelle, à la déchetterie … Les décharges de tout et de gros mobiliers dans les bois … DE 1954 à 1962, 30.000 Français et 300.000 Algériens sont morts pendant la guerre d‘Algérie, et en Indochine, combien ? … Près d’un million de pieds noirs mis à la porte et contraints de s’exiler d’extrême urgence en métropole dans des conditions de précarité extrême … Ces années là ne furent pas glorieuses, en proie à ‘l’hubris’, elles ont créé les problèmes que nous vivons aujourd’hui … La grande distribution qui vida les centres-villes de leurs petits commerces, la télévision, moyen de divertissement exclusif qui fixa les gens chez eux et fit fermer les volets, le tourisme de masse qui défigura … le démembrement du monde paysan et de la vie pastorale, le productivisme agricole qui empoisonna … l’explosion des cancers, le renoncement à toute forme de spiritualité au profit d’un hédonisme matérialiste faisant des hommes des créatures dépressives … le délaissement du métier de parent… »

Sur le même sujet, quelques extraits dus à Christian Godin traitant des Trente glorieuses dans son Petit lexique de la bêtise actuelle. 

 « La France d’aujourd’hui est évidemment plus riche, beaucoup plus riche qu’elle n’a jamais été. Bien des chômeurs d’aujourd’hui ont un niveau de vie supérieur à celui de bien des travailleurs de ce temps. Dans la France des Trente glorieuses, des millions de citoyens devaient encore chercher l’eau au puits ou à la fontaine et la plupart des appartements des grandes villes étaient dépourvus de cabinets d’aisance individuels. Jusqu’au début des années 1970 de vastes terrains vagues étaient occupés par des bidonvilles tout autour de Paris (comme aujourd’hui à Bombay ou à Rio) … Personne ne choisirait le retour au passé. » – Seul élément discutable : la plupart des appartements, disons beaucoup. Le terme la plupart se réfèrerait plutôt aux années 1930, 1940 qu’aux années des Trente glorieuses.

Ci-dessous, quelque extraits de l’ouvrage de Jean-Pierre Le Goff, La France d’hier

« L’honneur ne renvoyait pas à une image de soi convenue qu’il s’agissait de faire valoir bêtement contre les autres. Il impliquait un rapport intime à soi où l’individu se fixait des devoirs et entendait demeurer souverain dans l’idée qu’il se faisait de lui-même et de son destin. L’honneur ne se discutait pas … Il existait une sorte de reconnaissance mutuelle discrète entre ceux qui avaient de l’honneur face à ceux qui n’en avaient pas …  On n’exprimait pas ses sentiments de la même façon en famille et en public comme on le fait aujourd’hui. Non seulement le ‘linge sale se lavait en famille’ mais il en allait de même pour ses joies et ses peines individuelles. …  L’école n’était pas considérée comme une sorte de perpétuel jardin d’enfants ou le lieu d’une citoyenneté avant l’heure. Les enseignants ne nous considéraient pas comme des petits anges ou des génies créateurs …  La lecture n’était pas seulement une échappatoire à la banalité de la vie quotidienne et de l’ennui, mais elle allait vite devenir la nourriture essentielle d’un dialogue intérieur et d’un imaginaire adolescent en proie aux interrogations et aux désirs les plus contradictoires. Elle me donnait accès et m’entraînait dans un monde ayants sa  propre consistance qui, en même temps et en retour, éclairait la vie d’un jour nouveau. Elle conférait au monde épaisseur et densité.  (Aujourd’hui on a progressé, on ne nourrit plus son imaginaire avec Montaigne ou Stendhal, mais avec Léa Salamé, Cyril Hanouna ou copain/copines de même niveau !) …  La passion de la modernisation des années 1950-1960 qui fut partagée par de nombreux paysans … et par la grande majorité de la population … Une modernité qui demeurait encore synonyme de progrès scientifique et technique, économique et social. L’heure n’était pas alors à la nostalgie pour un bon vieux temps supposé qui oublie la dureté  des conditions de vie et de travail de l’époque. » 

André Perrin – évoquant le livre récent de Jean-Pierre Le Goff, La France d’hier : récit d’un monde adolescent, des années 1950 à mai 1968 – La condition des garçons, car l’Auteur se réfère à sa propre expérience. Qu’on ne s’imagine pas que ce fut confortable, d’où d’ailleurs l’explosion de mai 1968. !

« La condition des garçons qui, ayant grandi dans les années 1950 et 1960, ont vécu l’expérience d’être adolescents dans un monde adolescent. Un monde adolescent c’est un monde de ‘l’entre-deux’, c’est-à-dire un monde qui est partagé entre l’ancien et le nouveau, entre la pesanteur des traditions et la modernisation galopante, entre l’enracinement et le déracinement. »

Sur le même sujet, quelques extraits dus à Alain Besançon dans son ouvrage Une génération.

 « Ma génération, en culotte courte, grandissait au milieu de cette cruauté, elle trouvait naturel qu’on sacrifiât des milliers et des millions d’hommes (lors de l’annonce d’Hiroshima) … L’inconfort … Les lieux d’aisance (description, à la turque, souillés, inondés…),  … l’odeur affreuse (description, à base de légumes pourris, de pisse, de chou-fleur, de soupe au poireau… ), très froid en hiver (maisons  chauffées chichement, donc la rue encore plus froide…), très chaud en été (pas de frigidaires, sueur partout…) … Façades noires et lépreuses … Comme il était sale et pauvre, le Paris des années cinquante années si pauvres, si indigentes, si incolores … Mais la sécurité était entière… » 

 Plus âgé qu’Olivier Bardolle, que Christian Godin et que Jean-Pierre Le Goff (seize ans d’écart avec celui-ci), j’évoquerai (en gras) plutôt les années cinquante, soixante, et même dès 1945. Et l’atmosphère générale dont je me souviens.

Je pourrais tellement en rajouter sur la période qu’a décrit Olivier Bardolle plus haut … Mais auparavant, le rationnement plus dur dans les dernières années 1940 (dans les années 45 – 50, on vivait encore sur les tickets de rationnement et tous les ans revenait le thème de la soudure entre récolte passée et récolte à venir, et Mendès-France faisait distribuer du lait dans les écoles), que durant la guerre ; les exécutions sommaires, l’épuration sauvage ; les prisonniers allemands soumis aux travaux les plus rebutants et les plus dangereux, souvent publiquement maltraités dans les rues, insultés par les éternelles mégères hystériques, le constant délire résistantialiste qui faisait de tous les français des vainqueurs (sauf ceux qu’il fallait massacrer pour se convaincre d’avoir été un héros) ; la haine triomphante déjà imposée par les média annexés par les communistes … La reconstruction et le travail forcené … La pauvreté, et pour être clair, une misère dont on n’a pas idée … L’esprit revanchard sur la déculottée reçue en 1940 (la répression de Sétif en mai 1945 restée bien cachée) …  Un parti communiste tout-puissant (syndicats, presse, comités d’entreprise… merci de Gaulle), triomphant, se clamant sans cesse le parti des 75.000 fusillés ! Plutôt ceux qu’il avait fusillés lui ! Et la menace constante d’insurrection, le stalinisme s’arrogeant le pouvoir intellectuel et faisant régner la terreur… Plus tard, dans les années cinquante, tout restait glauque (terme de la jeunesse actuelle qui convient parfaitement), des gouvernements impuissants se succédant pour aller se faire bénir et mendier à Washington … guerre d’Indochine, répression de Madagascar, avant le déclenchement de la guerre d’Algérie … Des élections truquées (apparentements) … Electro-ménager et chauffage du XIX° siècle, café en poudre et autres facilités inconnues, Coupures d’électricité, pas de voitures, pas de TGV (plus de 5 heures de train, avec escarbilles dans les yeux et poussière de charbon sur les vêtements, pour aller de Lyon à Paris, je l’ai fait cinquante fois), 20 minutes de piétinement chaque soir à Denfert-Rochereau (alors terminus) avant d’accéder aux quais de la ligne sud de ce qui ne s’appelait pas encore RER, froid dans des maisons peu chauffées et mal isolées, pas d’Erasmus pour se promener dans une Europe dévastée, mais, pour en tenir lieu sans doute, 28 mois de service militaire ‘gratos’ à la fin des années cinquante. Membre d’une famille bourgeoise aisée, débutant cadre dans un secteur florissant, j’ai eu ma première voiture (2cv d’occasion) à 28 ans, mon premier poste téléphonique au même âge, en 1959-60… deux semaines de vacances et 48 H hebdomadaires (on travaillait  le samedi jusqu’à midi), pointage à la pendule… Qui accepterait aujourd’hui ces conditions, même pas de travail, simplement de vie ? Gamin, dans les années 1930-40, du balcon de chez mes parents, je voyais des gens aller chercher l’eau à la fontaine. Quelques vingt-trente ans plus tôt, mon oncle et mon père y sont eux-mêmes allés pour alimenter la maison. Un regard porté sur une vieille carte postale (couleur sépia) montrant des gens et la rue d’une ville à la fin du XIX° siècle et jusqu’aux années 1960 devrait vous convaincre de la pauvreté et de la saleté ambiantes.

« Je ne sais qui a la nostalgie des ‘sixties’ ; certainement pas ceux qui les ont connues. » (Jean-Paul Brighelli)

Pour conforter les apports indiscutables, du progrès,  depuis quelques décennies, on peut consulter (sous les réserves énoncées à la fin de ce paragraphe) le livre de Stephen Pinker, Le triomphe des Lumières, je résume : «  ‘Si donc vous deviez choisir à l’aveugle le moment dans l’histoire où vous aimeriez naître, vous choisiriez aujourd’hui’ … On peut détester le progrès, mais on ne déteste pas les ‘fruits’ du progrès (songez au dentiste) … Reculs infligés à la maladie, à la faim, à l’analphabétisme … Retraite, et de longue durée (fini l’hospice) … Accroissement phénoménal du temps libre (congés, retraite, mais aussi appareils électro-ménagers, éclairage nocturne…) … Le monde a fait des progrès spectaculaires dans chaque domaine mesurable du bien–être humain, sans exception … La violence a diminué de façon linéaire depuis le début de l’histoire … L’espérance de vie a augmenté, partout, de façon fantastique depuis deux siècles et plus encore depuis un demi-siècle … Les biens sont devenus courants, à la portée de tous (ou presque) électricité, eau courante, toilettes à chasse d’eau, réfrigérateurs, cuisinières, téléviseurs … En regard de ces progrès sont apparues des menaces existentielles : climatiques, Intelligence artificielle… mais nous aurions les moyens d’y parer. » – Toutes ces considérations, appuyées d’informations chiffrées et d’exemples, sont certes indiscutables. Mais ce qui fait de ce pavé une œuvre des plus discutable, et en tout cas  que je me refuse à commenter et à citer plus, est son caractère de propagande, d’ailleurs avoué (page 335 : Tous ces progrès sont menacés si Donald Trump parvient à ses fins, suit une liste effrayante de ces menaces dues à l’ogre Trump). Il est évident que cet ouvrage, malgré sa pertinence factuelle,  n’est rien d’autre qu’une œuvre de propagande et qu’un acte de soumission et de support aux intérêts du groupuscule des quelques milliers de nababs mondialistes qui dirigent le monde par l’intermédiaire des média et de serviteurs du type de M. Steven Pinker, l’auteur.

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