245,1 – Efficacité, Inefficacité, Effort

– Effort, quel vilain mot !

– Une façon de masquer son impuissance ou son manque de volonté est de s’inspirer de l’exemple des politiciens : gesticuler (bavasser sans cesse et péremptoirement, être partout et dans tous les média, être le premier à applaudir, à huer, à insulter, à larmoyer quand et où il faut, bondir sur place dés qu’un chien se casse une patte et aller pleurnicher à l’unisson…). Aux yeux et aux oreilles du Gogo médiatisé, cette attitude de pantin est beaucoup plus rentable et moins risqué que de travailler et de faire preuve de courage.

-Si on se trouve en peine d’élaborer quelque solution à nos difficultés,  ne pas hésiter pas à solliciter nos deux grands maîtres, les magiciens qu’on trouve dans toutes les assemblées : ‘Yaqu’à’ et ‘Fautqu’on’. 

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« Nous ne sommes pas à la hauteur du Prométhée qui est en nous. » (Gunther Anders) – « L’émancipation court toute seule et ne sait pas où s’arrêter ; sans cran d’arrêt, la barbarie est assurée …  Croire que l’on peut mettre un terme à la tragédie humaine et rendre à l’homme son unité (Marx), ou bien faire surgir de la terre allemande une race parfaite (Hitler), ou bien transformer les hommes en cyborgs invulnérables et immortels (le post-humanisme contemporain), c’est bien suivre la même trace … Le prométhéisme perverti observé à la fois dans les totalitarismes et dans les sociétés contemporaines, ne peut se déployer que dans les sociétés postchrétiennes. Car les sociétés non-occidentales sont dotées d’une vision circulaire du temps qui n’entretient pas l’idée de progrès. »  (Chantal Delsol) – A l’inverse du temps fléché judéo-chrétien. Encore que la Chine, le Cambodge… n’aient pas ignoré cet aspect délirant du prométhéisme qu’était la tentative de la fabrication d’un ‘homme nouveau’.

« Son hyper efficacité est désormais avérée. Faute d’adversaire, il s’emballe, il peut ‘y aller carrément’, plus rien ne le gêne, la place est nette, et c’est bien là le piège. » (Oliver Bardolle – sur le capitalisme)

« Un acte, une habitude, une institution, une loi n’engendrent pas seulement un effet, mais une série d’effets. De ces effets, le premier seul est immédiat, il se manifeste simultanément avec sa cause, on le voit. Les autres ne se déroulent que successivement, on ne les voit pas ; heureux si on les prévoit … Il arrive presque toujours que, lorsque la conséquence immédiate est favorable, les conséquences ultérieures sont funestes, et vice-versa. Le mauvais économiste poursuit un petit bien actuel qui sera suivi d’un grand mal à venir, le vrai économiste poursuit un grand bien à venir au risque d’un petit mal actuel. Du reste il en est ainsi en hygiène, en morale, plus le premier fruit d’une première habitude est doux, plus les autres sont amers. » (Frédéric Bastiat – Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas – 1850) – Ainsi nos politiciens agissent-ils. Quand les conséquences nocives se révèleront, ils auront passé la main à leurs successeurs, eux-mêmes ayant empoché les bénéfices de leur mauvaise action initiale. Bravo la démocratie et les pièges à Gogos que sont l’alternance et le renouvellement.

 « Les Japonais sont les grands comédiens de la technologie. Pour être le plus efficace, il faut du détachement, il faut une règle du jeu. Il faut jouer avec la technique comme avec les signes, en plein effacement du sujet, en pleine ellipse du sens, donc en pleine affectation. » (Jean Baudrillard)

« A un premier niveau, l’efficacité linéaire, la plus immédiate. Il s’agit de l’efficacité visible, évaluable dans un rapport cause/effet, liant un objectif à une action (on veut se déplacer et on prend le métro, on veut étudier la médecine pour devenir médecin…) … Il existe d’autres niveaux moins visibles d’efficacité correspondant à des niveaux plus profonds de motivation – A un deuxième niveau, l’efficacité  ‘paradoxale’ où nous constatons des effets de nos actes non annoncés au début comme des objectifs (l’école pour apprendre certes, mais facteur de socialisation, la communication pour échanger certes, mais pour pouvoir être ensemble…) – Le troisième niveau est ‘ouvert’, il s’inscrit dans les processus de longue durée ; des actions prises dans des surdéterminations historiques non repérables dans le présent, qui ne seront éventuellement comprises que bien plus tard, avec les successions de générations (pour un soixante-huitard, agir pour changer la société, critère d’efficacité dominant remplacé dans les années 1980 par celui de contribuer au meilleur fonctionnement de l’entreprise ; les suites des épopées de conquêtes coloniales…). » (Miguel Benasayag)

« Le taoïsme dit que l’efficacité se mesure au fait d’agir peu et de produire beaucoup d’effet. On peut considérer le ‘plus de moyens’ comme le garant de l’efficacité, ou au contraire y voir le signe d’une inefficacité caractérisée, car impliquant la séparation de l’acteur avec la situation … Le signe de l’efficacité n’est pas que nous produisions beaucoup d’activités, mais que, par ces activités, nous développions beaucoup de puissance. » (Miguel Benasayag, Angélique del Rey)

« La ‘sunk cost fallacy’ ou le  sophisme de la dépense gâchée : poursuite obstinée d’une ligne de conduite qui représente un investissement en argent, temps ou énergie … la difficulté de renoncer à un effort devenu inutile mais représentant une vie ou une tranche de vie, ou représentant une dépense importante. ‘je ne peux pas me permettre de reculer’, et aussi bien, ‘je ne peux pas me permettre de douter’. » (tiré de Gérald Bronner – sur la difficulté  de faire renoncer à une croyance ancrée, même devinée fausse par l’intéressé)

« Il y a deux sortes d’efficacité : celle du typhon et celle de la sève. » (Albert Camus)

« Ce n’est pas la richesse qui est nuisible, mais la suppression de l’effort. On sait combien sont solides, physiquement et moralement, ceux qui, dés l’enfance, ont été soumis à une discipline intelligente, qui ont enduré quelques privations e se sont accommodés à des conditions adverses. » (Alexis Carrel) – En parler à nos petits bourgeois pérorants et revendiquants.

« Il existe deux catégories d’esprit : ceux qui aiment le processus et ceux qui aiment le résultat. Les uns s’attachent au déroulement, aux étapes, aux expressions successives de la pensée ou de l’action ; les autres à l’expression finale, à l’exclusion de tout le reste. » (Emil Cioran)

« Le zèle : le Mieux et le Pire. » (Emil Cioran)

«’La nouveauté c’est l’érosion des barrières qui empêchaient jusqu’à récemment les plus performants d’accéder à des marchés plus vastes’. Phénomène oligarchique découlant du fait que nous sommes entrés dans la ‘winner-take-all society’, une société où le gagnant prend tout et ne laisse rien aux autres. Dans ce monde-là, la meilleure soprano, le joueur de tennis le mieux classé, même si leur supériorité sur leurs concurrents est faible, raflent la mise. La méritocratie en sort en piteux état, puisque ce ne sont pas les compétences qui sont récompensées, mais le fait d’être, à un certain moment, considéré comme le plus fort dans sa catégorie. Les moyens de communication de masse ont beaucoup contribué à l’édification de cet univers. » (Sophie Coignard et Romain Gubert – citant et s’appuyant sur une thèse de Robert Frank et Philip Cook) – En fait les compétences sont bien récompensées mais dans des proportions telles que celles du meilleur à un moment excluent tous, et toutes, celles de second rang.

‘« La soi-disant ‘lutte contre la pollution’, par son côté étatique et réglementaire, va d’abord créer de nouvelles spécialisations, des services ministériels, des ‘jobs’, de l’avancement bureaucratique. Et son efficacité sera tout à fait à la mesure de tels moyens. » (Guy Debord) – Quelques substantiels profits également, plus l’accroissement du degré de soumission des populations. 

« Nous sommes responsables de parler ou bien de nous taire ; nous ne sommes pas responsables de l’efficacité de nos paroles. » (Madeleine Delbrel)

« Quand le grain est entassé, il pourrit ; quand il est dispersé, il germe ! » (saint Dominique – reprenant la formule d’un pape – sur la nécessaire dispersion des frères prêcheurs)

« L’homme atteint son maximum d’énergie par la triple alliance de l’ambition, de l’amour-propre et de l’intérêt. » (Louis Dumur)

« Les gens ne devraient pas tant réfléchir à ce qu’ils ont à faire ; ils devraient plutôt songer à ce qu’ils doivent être. » (Maître Eckhart)

« La fin justifie les moyens, dit-on. – Tout commence à s’embrouiller lorsque le Moraliste, le Rhéteur, l’Idéologue viennent par exemple proposer des fins à la guerre … On atteint la cote d’alarme quand on parle de la guerre de la Justice et du Droit … Car pour obtenir des objets si désirables, quels moyens n’emploierait-on pas ! … Et plus le bien est élevé, plus il me faudra payer cher …  Les mauvais moyens sont toujours garantis par des fins excellentes … Plus l’objectif est idéal, beau, bon, juste, grandiose, plus nous sommes conduits à user de tous les moyens, car il faut réaliser, accomplir ce Beau, ce Bon, ce Juste. Qu’importent les moyens dés ce moment ! Vils instruments destinés à disparaître lorsque la Fin sera réalisée. Qui donc se souviendrait encore de ces moyens pénibles lorsque nous jouirons de la parfaite félicité  … La guerre n’est là que pour préparer la paix … Plus les fins que l’homme s’assigne sont nobles, élevées, justes, plus les moyens qu’il emploiera seront immondes et inhumains … Il faut absolument éliminer les affreux fascistes qui préparent la subversion … Et pour atteindre ce but éminemment libéral, juste, républicain et démocratique, tous les moyens sont bons. Il suffit de cela pour prendre au piège passionnel et sentimental un philosophe, pour transformer un non-violent en chef de guerre … Lorsque les armées françaises de 1794 et suivantes ont conquis et mis en coupe réglée l’Italie, la Suisse, la Hollande, etc. c’était pour les libérer des tyrans et monarques qui les empêchaient d’accéder à la République. Malheureusement, les peuples ainsi libérés ne semblaient pas apprécier cette liberté …Le pacifiste devient belliciste … On accepte les moyens ignobles de ses amis … On accuse les mêmes moyens chez ses ennemis sans considérer ce qui pourrait être légitime dans leurs objectifs …Commençons donc par nous défier grandement de tous les objectifs trop sublimes dont notre civilisation abonde, à droite, à gauche, au ciel et sur la terre … Les Mauvais Moyens sont toujours garantis par des Fins Excellentes et c’est toujours pour votre bien …Eh bien, non, pas  question d’accepter les Fins. D’abord parce qu’on ne les atteint jamais ; c’est le bluff toujours renouvelé de ce qui sera juste demain. C’est le renvoi des responsabilités à un futur inexprimable … Au jour du jugement … Plus la puissance grandit, plus les valeurs se dissolvent … Il est parfaitement illusoire de penser qu’il faut augmenter la puissance-moyen pour atteindre et réaliser la justice, la liberté, la vérité. » (Jacques Ellul – sur ‘la fin justifie les moyens’ – Exégèse des nouveaux lieux communs)

« Les vaincus, ceux dont les moyens avaient été insuffisamment efficaces … Ayez des moyens suffisamment efficaces, et personne ne pourra contester vos Fins. » (Jacques Ellul)

« Nous n’irons pas au but un par un. » (Paul Eluard)

« Action pure ne signifie pas action aveugle. La règle qui interdit de tenir compte des conséquences quand on doit faire ce qui doit être fait vise les mobiles affectifs individuels (les fruits de l’action, les perspectives de succès ou d’insuccès, de gain ou de perte, celles de plaisir ou de douleur, d’approbation ou de désapprobation d’autrui), et non pas les conditions objectives dont l’action doit tenir compte pour être, autant que possible, une action parfaite , ou, du moins, pour ne pas être vouée à l’échec dés le début. On peut ne pas réussir, ceci est secondaire mais ne doit pas résulter de l’ignorance de tout ce qui conditionne l’efficacité de l’action … les rapports de causalité … la loi des actions et réactions correspondantes.» (Julius Evola)

« Lorsqu’un cycle de civilisation touche à sa fin, il est difficile d’aboutir à un résultat quelconque en résistant, en s’opposant directement aux forces en mouvement. Le courant est trop fort, on serait englouti …  … Il pourrait être bon de contribuer à faire tomber ce qui déjà vacille et appartient au monde d’hier, au lieu de chercher à l’étayer et à en prolonger artificiellement l’existence. C’est une tactique possible, de nature à empêcher que la crise finale ne soit l’œuvre des forces contraires dont on aurait alors à subir l’initiative … ‘Ce qui tombe, il faut encore le pousser. Tout ce qui est d’aujourd’hui tombe et succombe : qui voudrait le retenir ? Mais moi, je veux encore le pousser’. » (Julius Evola – citant Nietzsche – Ainsi parlait Zarathoustra)

« Comme si, sous les coups de boutoir du modèle contemporain de société, chacun avait été contraint, par souci d’efficacité (toujours !) et par conformité à la pensée dominante, d’abandonner toute capacité à raisonner, à discuter et à critiquer. Comme si, après tout, nous pouvions convaincre avec cinq slogans et deux images. Comme si nous étions tous redevenus des enfants. » (Gilles Finchelstein – conclusion de son ouvrage, La pensée powerpoint, enquête sur ce logiciel qui rend stupide)

« Incapacité. – Toujours ‘notoire. » (Flaubert – Dictionnaire des idées reçues)

« Le culte de la performance produit ses effets au-delà de l‘entreprise. La logique de l’excellence est à l’œuvre dans le sport, à l’école et traverse également l’univers familial … Chacun est sollicité pour intérioriser un  idéal de perfection mesuré à l’aune des performances des ‘gagnants’ célébrés par les média. Il faut être performant, autonome, responsable. » ( Vincent de Gaulejac)

« Le centralisme est depuis toujours une structure disciplinaire … Il est lié plus à l’instinct de puissance qu’aux exigences de la technique … Une entreprise perd de vue sa fonction et son utilité lorsque les buts abstraits de son organisation l’emportent sur sa raison d’être … une fois combinés, les divers composants ont, de façon progressive et cumulative, créé un système solidaire qui interdit toute pensée neuve, toute initiative pertinente, toute liberté de choix, et envahit tous les détails de la vie. » (Paul Goodman – interprété par Bernard Vincent – sur, notamment, la centralisation opérée par les grandes entreprises … et les Etats)

« ‘Mais à quoi ça sert l’utilité ?’ L’utilité s’évalue toujours à partir d’un système de valeurs … La technique n’est pas qu’une médiation entre l’homme et la nature, il faut la considérer aussi comme intermédiaire entre les êtres qui composent un groupe. » (Alain Gras – citant l’interrogation de Lessing) – Exemple résumé d’Alain Gras : La machine à laver soulage la femme, et lui permet aussi d’entrer dans l’espace public du marché du travail ; lorsque le lavoir rassemblait la partie féminine du village, il devenait un centre de circulation des informations et un lieu de pouvoir. Ainsi et de même, la vitesse change les rapports sociaux. Marx avait bien vu ce rôle de la technique.

« Est-ce une preuve d’efficacité que de chasser de leurs terres 400 millions de Chinois qui survivaient avec leur mode traditionnel pour aller leur faire mendier la nourriture industrielle dans les villes ? » (Alain Gras) – Les lendemains chinois vont déchanter.

« Ce qui fait désormais critère de validité, même de valeur, c’est que ça marche, que ça fonctionne ! Il ne reste plus qu’à gérer au mieux l’efficacité… » (Jean-Claude Guillebaud)

« La prétention à l’efficacité est donc, en ces matières, la cause la plus courante de l’échec ; tandis que son acceptation innocente rend seule efficace le pardon et le remords. Car qui veut trouver le salut le manquera … ‘La grâce s’offre uniquement à ceux qui ne l’ont pas cherchée’. » (Vladimir Jankélévitch – sur des questions qu’on pourrait qualifier de morales et citant Fénelon)

« Toute disposition entrave ma réactivité. Car toute disposition par elle-même est enlisante (par perte de dynamisme), réifiante (par perte de possibilité). » (François Jullien – sur la pensée chinoise) – Rester disponible.

« C’est l’absence de buts demandant un effort pour être atteints  qui engendre l’ennui et que souvent ce dernier, s’il dure, conduit à la dépression …Pour éviter de sérieux problèmes psychologiques, un homme doit donc se donner des buts qui supposent des efforts pour être atteints, et il doit connaître un minimum de succès dans la poursuite de ces buts. » (Théodore Kaczynski)

« Notre pouvoir de faire  excède infiniment notre capacité de sentir et d‘imaginer. Cet écart irréductible que Günther Anders nomme le ‘décalage prométhéen’, anesthésie littéralement notre sens moral. » (Serge Latouche)

« La patience est la sœur aînée de l’efficacité. » (cardinal Henri de Lubac)

« Toute efficacité humaine suppose une part au moins d’activité désintéressée. Or un autre genre d’efficacité ne vaut pas la peine qu’on le cherche. Bien plus, il serait dommageable, étant déshumanisant. » (cardinal Henri de Lubac – sur l’évangélisation)

« On dit légèrement de certains hommes qu’ils furent inefficaces. Ils ont eu cependant la plus belle efficacité. Ils ont maintenu la délicatesse humaine, la noblesse humaine. Et ces choses-là ne se maintiennent pas toutes seules. D’autres efficacités, trop vantées, n’ont-elles pas consisté surtout à nous déshumaniser. » (cardinal Henri de Lubac)

« La question, explicite ou non, posée par l’étudiant professionnaliste, par l’Etat ou par l’institution d’enseignement supérieur n’est plus : est-ce vrai ?, mais : à quoi ça sert ? Dans le contexte de mercantilisation du savoir, cette dernière question signifie le plus souvent : est-ce vendable ? Et, dans le contexte d’augmentation de la puissance : est-ce efficace ? » (Jean-François Lyotard)

« Le principe de performativité, même s’il ne permet pas dans tous les cas de décider de la politique à suivre, a pour conséquence globale la subordination des institutions d’enseignement supérieur aux pouvoirs. » (Jean-François Lyotard) – Et on observe une baisse du QI moyen (notamment à la sortie des Grandes Ecoles) qu’on se garde bien de divulguer.

« On n’achète pas des savants, des techniciens et des appareils pour savoir la vérité, mais pour accroître la puissance. » (Jean-François Lyotard)

« Pouvoir ou faire est ‘l’ultima ratio’ de la pensée. Et il n’est qu’à voir l’obsession de la professionnalisation à tous les niveaux de l’éducation, université comprise, pour se rendre compte du chemin parcouru par l’idéologie, la gangrène diront certains, de l’utilitarisme. » (Michel Maffesoli)

« La capacité à se ‘perdre dans le présent’, la perte de toute notion de passé et d’avenir pour ne vivre que le moment présent me semble la condition ‘sine qua non’ de toute inventivité, l’innocence de perception et de comportement, l’inconscience de tout ce qui n’est pas le sujet qui nous occupe, perte de l’ego, désintéressement de soi et de la conscience de soi. » (Abraham Maslow – sur les conditions, les caractéristiques de la créativité, de l’Être créatif)

« L’efficacité devient l’impératif social catégorique ; de là vient ce grignotage des petits plaisirs, des petites libertés, des petites combines parfois, voire des petites déviances qui finit par entamer la simple joie de vivre. Quand la raison néolibérale s’impose, tout doit être rationalisé, et cela contamine l’ensemble de la vie sociale ; il ne peut plus y avoir de jeu (au sens mécanique du terme, c’est-à-dire du minuscule mouvement qui persiste entre deux pièces en contact) dans les rouages sociaux. Jeu entre légalité et illégalité (petits arrangements avec la règle…), dans le travail (fini les chahuts dans l’atelier… le temps est rationalisé !), dans les rapports avec l’administration, comme avec les entreprises de communication,  l’interlocuteur peu rentable est remplacé par les touches de téléphone à frapper pour accéder au renseignement… toutes ces petites choses qui sont le tissu de l’existence ordinaire… myriade de minables mesquineries qui vous polluent l’existence… et qui… oui, n’existaient pas avant. »  (Maurice Merchier)

« Aujourd’hui, les efforts et l’énergie que l’on déploie ne sont plus consacrés à progresser mais à résister à la descente. » (Alain Mergier – Le descenseur social – cité par  Pierre le Vigan)

« Au sein de ces cohortes (techniciens de l’opinion, ‘spin doctors’ lanceurs de jargon, économistes diseurs de mauvaise aventure, dignitaires de l’université mondiale…), la vérité se module en techniques de décervelage ; l’effet de vérité se mesure à l’aune de l’efficacité et l’efficacité, à l’aune de l’asservissement. » (Jean-Claude Milner)

« Napoléon n’est pas bref parce qu’il est empereur, il est empereur parce qu’il est bref. » (Paul Morand)

« L’action politique n’est pas dotée de l’efficacité de l’action physique, où chaque coup de marteau, s’il est bien asséné, enfonce un peu plus le clou. C’est que l’efficacité politique, comme l’efficacité biologique de la sexualité, a besoin d’innombrables efforts infructueux, d’un gaspillage inouï d’énergie et de substance vitale pour arriver enfin à une fécondation. Des myriades de spores et pollens s’envolent des plantes et meurent pour la plupart avant de naître … Nécessité d’ardeurs répétées, d’essais/erreurs ininterrompus, jusqu’à ce qu’un jour, par chance, la fécondation s’opère. A chacune de nos éjaculations cent quatre-vingt millions de spermatozoïdes frénétiques se précipitent, et, dans une hécatombe généralisée,, un seul peut-être, si l’ovule est disposé à l’accueillir, trouvera le but visé … Dépenses d’efforts sans nombre. » (Edgar Morin – La complexité humaine)

« D’un côté la rationalité définit l’action efficace … Lui fait face le domaine du non-rationnel, la sensibilité, la croyance et l’effervescence des personnes ou des masses … Cette opposition est le problème de la modernité. Elle représente la tentative éperdue, vouée à l’échec, de faire prendre le commandement au pôle rationnel, capable d’envelopper le pôle irrationnel, de l’utiliser, de l’absorber … Voilà la puissance (de la raison) investie des mêmes sentiments de vénération et de crainte qu’inspire le sacré. » (Serge Moscovici – cité par Jacques Godbout)

« Le sommet de l’efficacité ne consiste pas à interdire quelque chose mais à organiser les conditions pour que cette chose n’existe pas. Ce principe s’applique à la perfection aux idées et au façonnement des personnalités, des pensées et des comportements. Casser la puissance d’un concept consiste à le rendre illégitime. » (Natacha Polony et le comité Orwell – sur le soft totalitarisme actuel)

« Les performances des êtres uniquement pourvus d’intelligence, aussi étonnantes soient-elles, restent souvent aussi, en tant que performances intellectuelles, derrière celles venant d’une personnalité plus vaste, même si la capacité intellectuelle de celle-ci, considérée en soi, reste derrière celles-là. L’individu qui n’a que son intelligence n’est pas même parfaitement intelligent. » (Georg Simmel) – On peut y voir, entre autres, l’éloge de ce qu’on appelle la culture générale.

 « La modernité  représente le programme paradoxal qui consiste à exécuter un projet infini sur un fondement fini … Le principe central de la dynamique de civilisation, selon laquelle la somme des libérations d’énergie dans le processus de civilisation dépasse régulièrement la capacité qu’ont les forces liantes qui permettent la culture … On peut caractériser la situation avancée moderne comme ‘l’ère des effets secondaires’. L’expression ‘effets secondaires’ désigne l’excédent de conséquences non intentionnelles par rapport aux effets volontairement induits des mesures, des entreprises et des innovations … La foi en une symétrie entre les problèmes et les solutions … remontait aux anciennes Lumières ; mais elle s’érode un peu plus chaque jour … La caractéristique du climat culturel actuel est le soupçon croissant que la somme des effets secondaires dépasse de plusieurs fois celle des effets principaux visés … L’auto-administration de l’impuissance … Et nous nous contentons d’eau bénite pour faire face à l’entropie. » (Peter Sloterdijk)

« La compétence n’a jamais été un critère de sélection. » (Ezra Suleiman – en France) – Pour satisfaire à la parité par exemple.

« Gardez-vous d’un défaut trop commun de nos jours, de cette énergie irascible et bruyante qui … ne sera jamais regardée comme une heureuse qualité. Mesurez toutes vos démarches et n’oubliez pas que fougue n’est pas force. » (Talleyrand)

« Locutions courantes : tirer à blanc, faire chou blanc, mariage blanc, oie blanche, etc. – Le mot blanc servant à désigner l’inefficacité, l’insignifiance, la fadeur… » (Gustave Thibon)

« Dégoût‚ d’avoir raison, de faire ce qui réussit, de l’efficacité des procédés, essayer autre chose. » (Paul Valéry)

« L’esprit succombant sous le poids de la quantité n’a plus d’autre critérium que l’efficacité. » (Simone Weil)

« Opération réussie, il n’y a que le patient qui est mort. » (blague médicale dénonçant l’efficacité formelle)

« Si ça va droit ! » (adage populaire) – Si tout va bien, si tout fonctionne correctement.

« Si les chiens t’attaquent, n’appelle pas les loups à ton secours, frappe les chiens, mais n’appelle surtout pas les loups. Car lorsque les loups auront chassé les chiens, ils te dévoreront. » (proverbe russe)

« Si la base (d’une création) est purement humaine, l’édifice ne peut tenir ; et plus il y aura d’hommes qui s’en seront mêlés, plus ils y auront mis de délibération, de science et d’écriture surtout, enfin, de moyens humains de tous les genres, et plus l’institution sera fragile … C’est principalement par cette règle qu’il faut juger tout ce qui a été entrepris par des souverains ou par des assemblées d’hommes, pour la civilisation, l’institution ou la régénération des peuples. » (?) – L’auteur dit qu’en ces matières il ne convient pas de brutaliser la nature, la coutume… la Divinité. Tour de Babel ?

« On obtient rarement ce que l’on souhaite, lorsqu’on le recherche avec trop d’empressement. » (?)

« Notre monde ne vit que dans l’urgence et dans le ‘zapping’, l’obsession du mouvement et de l’action. Tout doit changer et bouger » (?)

« Peu d’effort, beaucoup d’effet. » (?) – Ce qui est à rechercher.

Ci-dessous quelques remarques, approximativement rédigées, tirées de l’ouvrage d’Arthur Koestler, Le yogi et le commissaire.

 « L’essence du conflit est entre le Yogi et le Commissaire, entre les conceptions fondamentales de la transformation par l’Extérieur et de la transformation par l’Intérieur. Il est facile de dire qu’il faut faire la synthèse entre le Saint et le Révolutionnaire ; mais on ne l’a encore jamais réalisée … Le Commissaire fixe son énergie émotive sur les rapports entre l’individu et la société, le Yogi sur les rapports entre l’individu et l’univers … Pouvoir d’action et pouvoir de communion … L’attitude prométhéenne du XX° siècle et le mysticisme, le romantisme, le crépuscule, l’irrationnel … Il est apparemment difficile d’avoir, en même temps, la fenêtre ouverte et les pieds dans le baquet d’eau chaude … Si interrogation, et parfois revirement, dans l’attitude il y a, c’est à la suite de quelque prise de conscience de l’inefficacité, de l’échec, de lassitude, et même de dégoût … Oscillations pendulaires dans la psychologie des masses (histoire) comme chez l’individu qu’on pourrait comparer au rythme du sommeil et de la veille … La méthode chrétienne conformait la société à l’ordre divin, et visait au changement par l’Intérieur ; la nouvelle méthode voulait réaliser une société mathématiquement parfaite, et visait au changement par l’Extérieur … par l’activité et non par la passivité, la domination et non la soumission, la brutalité et non la douceur, le calcul et non l’inspiration. Le Saint cède la place au Révolutionnaire … Dieu était à la fois explication et protection. Le déterminisme scientifique n’a englobé que la première, agissant ‘d’en bas’, la destinée n’était pas capable d’assurer la protection de l’homme par un pouvoir paternel … Le contemplatif voit d’en haut  et néglige les relations complexes sur les plans horizontaux (lui conférant l’attitude d’un naïf, d’un amateur et souvent d’un toqué) ; l’éthique du commissaire a pour résultat la justification des moyens par la fin, à l’opposé du quiétisme le danger de l’enthousiasme fanatique (à quel moment le bistouri du guérisseur devient-il la hache du boucher ?)

– Ci-dessous considérations (très condensées, simplifiées et réordonnées) sur l’action efficace en Occident et telle que vue par la pensée ancestrale chinoise, suivant le livre Traité de l’efficacité de François Jullien. Certaines expressions, de liaison, ne sont pas de l’auteur.

– Considérer également les remarques de François Jullien ci-dessus en même rubrique et notamment aux rubriques : Comportement, 140, 1 : Raidissement de conduite ; Humilité, 330, 3 : Laisser l’effet advenir ; Fins/moyens 335,1 : Sans projeter ; Force, 340, 1 : Puissance de l’eau ; Lois, 480, 1 : Plein et Vide ; Mesure, 490, 1 : L’excès d’effet ; Possibilité, 585,1 : correspondance des choses ; Sagesse, 670,1 : laisser œuvrer…

On pourra voir également L’art de la guerre de Sun-Tzu à la fin de la rubrique Guerre, 535, 1

  « L’Occident agit les yeux fixés sur le modèle qu’il a conçu, marqué d’idéalité … Couplage théorie-pratique … rapport moyens-fin … Même si on n’ignore pas que l’idéal modélisé reste inaccessible en raison de la contingence , qu’il y a difficulté à penser la conduite de l’action  (penser la guerre, même Clausewitz constate l’échec de cette tentative qui porte sur un objet qui vit et réagit, in-modélisable), il n’est pas facile d’échapper aux schémas, aux modèles … La pensée chinoise n’a pas construit un monde de formes idéales, d’archétypes … le réel se présente à elle comme un procès, régulé et continu découlant de la seule interaction des facteurs en jeu (à la fois opposés et complémentaires : les fameux ‘Yin’ et ‘Yang’) … La victoire est à demander non aux hommes, mais à la situation … Prédisposer la situation pour la rendre encline à déployer l’effet … Au lieu d’imposer son plan au monde, on s’appuie sur le potentiel de la situation (sans cesse changeant), sur ce qui y est porteur … Plus que notre investissement personnel et notre effort importe le conditionnement objectif résultant de la situation … Ne s’immobilisant dans aucun plan, ne s’enlisant dans aucun projet, la stratégie est sans fond ; ‘insondable’ pour les autres, ‘inépuisable’ pour le stratège … Celui-ci ne projette ni ne construit, ne délibère ni ne choisit entre des moyens, sa souplesse et sa disponibilité lui permettent de faire évoluer la situation et d’en tirer parti … Pas de terme parfait en soi et perçu d’avance, plutôt la ‘voie’ (le tao) par laquelle on poursuit, qui conduit vers … Le rapport condition-conséquence remplace notre rapport moyens-fin, de la logique de modélisation, on passe à une logique de processus et le succès appartient à celui qui sait profiter de ce dernier … L’Occident conçoit l’action comme une entité isolable dont l’efficacité est directe … La pensée chinoise voit l’efficacité dans la transformation, (de la situation, des conditions, du ‘cerveau’ de l’adversaire…) … La Chine n’a pas bâti un grand récit de la Genèse tel celui de la tradition judéo-chrétienne ou du ‘Timée’, à l’origine pas d’acte intentionnel créateur … L’action, arbitraire, importune, intervenant, s’insérant, s’ingérant rompt le tissu des choses, trouble leur cohérence, suscite des résistances, elle est artificielle, superficielle, vite engloutie, n’a guère d’effet … C’est de la continuité dans la durée de la transformation que procède l’effet, non assignable à une volonté individuelle, ni localisable en un lieu et à un moment, elle n’est pas isolable, ne se démarque pas, ne se voit pas … Plus qu’à la transcendance de l’action, les Chinois croient à l’immanence de la transformation : on ne se voit pas vieillir, on ne voit pas la rivière creuser son lit … Tout l’art du stratège est de détecter au plus tôt les moindres tendances portées à se déployer, de prévoir à quoi elles conduisent, de la fissure à la fente, à la faille, à la crevasse, le devenir est prévisible, plus tôt on agit dans le cours des choses, moins on a à intervenir, à agir sur lui, en amont le réel ne résiste pas … N’intervenant que pour répondre à l’inclination des choses, le sage/stratège ne fait rien de ‘difficile’, et puisqu’il se contente d’amorcer discrètement des processus qui se développeront d’eux-mêmes, il ne fait rien non plus de ‘grand’ … L’occasion, l’accidentel, l’instant fugitif et hasardeux, l’unique pour l’Occident est, pour la pensée chinoise, conséquence inéluctable (les ‘transformations silencieuses’), temps long et durée lente, ni risque, ni inconnu, ni surprise, ni gloire, ni héroïsme … A l’opposé de l’activisme occidental du toujours plus, toujours plus loin… on retranche son ingérence, on réduit son affairement (l‘extrême du non-agir) … Ne pas tirer sur les plantes pour les faire grandir plus vite, mais ne pas se dispenser de sarcler à leur pied pour améliorer, orienter les conditions … Ce qui empêche l’effet de s’exercer est quand le plein n’est plus pénétré de vide et que, devenant opaque, il devient obstacle : formant écran, il conduit le réel, qui se trouve inhibé, à se figer, le vide est ce qui maintient le réel animé, non enlisé (le plein des règlements fait obstacle à l’essor spontané) … Lier l’effet à la force le fragilise, le lier à soi le précarise … Il n’est pas à chercher comme but, mais à recueillir comme conséquence… L’intention le tue, l’assèche et le tarit … Rondeur et mobilité en amont (disponibilité, rien n’a encore pris de forme visible), ‘carré’(décision) et stabilité en aval … Celui qui suit a prise sur celui qui initie et se hasarde … La pensée chinoise se refuse à la mise en valeur du sujet (comme aussi à son double, à son envers ascétique), refuse de penser la personne en l’isolant et l’abstrayant de la situation … L’absence de disposition crée la disponibilité … Elle n’a pas plus explicité la volonté qui, en Occident, se dresse en capacité d’affrontement du monde … Désarmer mentalement l’adversaire avant d’engager le combat, alors déjà gagné … La parole à l’envers : rendre l’autre transparent, tandis qu’on se rend opaque … Le faire ‘s’envoler’ (le louer) pour le ‘pincer’  … Amorcer ce qui tendra de lui-même dans un sens favorable, désamorcer ce qui … Induire plutôt que conduire … C’est de la non-bataille, du non-affrontement, du non-événement, de l’ordinaire en somme, que la pensée chinoise est préoccupée et prétend rendre compte … Être toujours en évolution, sans forme fixe ; qu’on ne peut immobiliser ni cantonner et qui échappe à l’emprise … n’adoptant jamais de forme fixe, le dragon … se soustrait à toute emprise, fait signe vers un continuel au-delà : il est l’image d’un dynamisme qui jamais ne se réifie et par là même devient insondable … L’image d’une énergie Il ne saurait se matérialiser en une configuration définie. Tantôt il apparaît et tantôt il disparaît, tantôt se déploie et tantôt se replie … L’oscillation par alternance, symbolisée par le dragon, est le grand principe régulateur du dynamisme … L’eau est ce qui se rapproche le plus de la ‘voie’ (Tao) … Souplesse et faiblesse la rende plus forte que la force … L’eau accumulée, image de potentiel … Elle suit sa pente pour avancer. Elle se détermine en fonction du terrain et triomphe sans affronter. Elle se conforme et contourne les obstacles … Image de variabilité stratégique … Cours de l’eau, corps du dragon. » – Que va-t-il rester de la vieille philosophie chinoise ?

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