210,1 – Devoir

– Terme réservé aujourd’hui aux exercices scolaires, et encore ! Selon Flaubert il convenait déjà de « les exiger de la part des autres, et soi de s’en affranchir. »

– Faire son devoir : justification féminine des heures passées à occuper le téléphone (ligne fixe).  

– Nul ne s’étonnera que cette rubrique soit moins fournie que la rubrique sur les Droits, 230,1

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« Il n’y a jamais d’autre difficulté dans le devoir que de le faire. » (Alain)

« Il faut savoir faire à temps ce qu’on aura le devoir de faire un jour. » (Lucien Arréat)

« Il est des êtres qui me feraient détester le devoir à la manière dont ils s’en acquittent. » (Anne Barratin)

« Comme on voit bien le devoir des autres ! » (René Bazin)

« Si l’on dit : ‘Tu dois’, l’homme moderne fronce les sourcils. » (Philippe Beneton)

« Accepter cette distinction : ‘il faut’ et non ‘tu dois’, la seconde formule s’adresse à un toi et la première est une affirmation hors loi, sans légalité, une légalité non nécessaire. » (Maurice Blanchot) – L’auteur est souvent assez hermétique, néanmoins il y a bien une distinction.

« Dans les crises politiques, le plus difficile pour un honnête homme n’est pas de faire son devoir mais de le connaître. » (Louis-Ambroise de Bonald)

« Nous l’avons trop oublié, si l’idée de vocation a un sens, c’est par le devoir envers soi-même que passe le devoir envers autrui. » (Etienne Borne – cité par Henri de Lubac)

« Les morales avares qui définissent le devoir à la mesure du pouvoir humain, qui recommandent le salut par la loi et les œuvres et prêchent une spiritualité de maîtrise et de contentement de soi, qui substituent le ‘tu peux, donc tu dois’ à l’implacable exigeant ‘tu dois, donc tu peux’. Devoirs littéraux, naufrage du devoir. Le devoir vrai est dans la disjonction du pouvoir et du vouloir au sein de l’esprit tendu dans une volonté de l’impossible. » (Etienne Borne)

« Aujourd’hui, se distraire est un devoir. » (Pascal Bruckner) – Comme celui de paraître heureux.

« On croit aider le sujet en le dorlotant, en l’allégeant de tout ce qui n’est pas lui, en le délestant de ses devoirs, obligations afin qu’il se consacre entièrement à son exquise subjectivité. Ce faisant on le prive de repères, de cadres, on le rend plus anxieux de soi, on confond l’indépendance avec le vide. » (Pascal Bruckner) – On fabrique de bons petits sujets,  des Occidentaux modernes.

« Hier on sacrifiait sa vie au nom d’une société qui apporterait le bonheur. Dissipée l’illusion politique, l’illusion biologique impose sa vertu. La fin serait l’immortalité de l’espèce, que la génétique poursuit avec patience. Le coût à payer serait de vivre dans la macération. L’Etat s’est changé en un grotesque Docteur Knock coupant la chique, le vin et les autres plaisirs au brave tambour de ville … Ce ‘devoir d’être en bonne santé’, inlassablement rappelé aux citoyens des régimes démocratiques modernes, finit par rappeler fâcheusement les injonctions du ‘Heilkunde’ du totalitarisme médical du III° Reich allemand. » (Jean Clair) – C’est bien d’ailleurs l’unique devoir que nous nous reconnaissons, en plus du devoir de soumission à la doxa.

– Celui de mémoire est l’unique devoir subsistant – d’ailleurs souvent à juste titre, malgré : « Ce qu’on appelle ‘devoir de mémoire’ est le plus souvent l’imposition d’une histoire officielle où les rôles sont distribués d’avance, un savoir coagulé qui ressemble à de la propagande… Il n’est brandi chez les uns que pour susciter le devoir de pénitence chez les autres. » (Pascal Bruckner) – « La mémoire tapageuse est d’abord sélective, elle choisit soigneusement ses bourreaux et ses victimes … et même ses crimes (Qui s’occupe des Goulags, du génocide ukrainien par Staline, de Katyn… Il y a des listes de nazis, où sont les listes de Français qui ont travaillé pour les Soviets ?). » (Chantal Delsol) – La mémoire est certes nécessaire, mais pour tout et tous. On en est loin !

« Le devoir ne consiste pas à faire quand on a à faire mais à faire ce qu’on a à faire. » (Alexis Carrel)

« Qui parvient à concilier son devoir avec son vouloir mérite le pouvoir. » (Paul Carvel)

« Le ‘tu dois’ (plaire…) me semble beaucoup plus culpabilisant que le ‘tu ne dois pas (aller trop vite…). » (Anne Dufourmantelle)

«  Devoirs – Les exiger de la part des autres, s’en affranchir envers eux. » (Flaubert – Dictionnaire des idées reçues)

« Le soulèvement libertaire (des années 1970) s’est montré d’une efficacité aussi inattendue que ravageuse. Il est venu à bout avec une facilité déconcertante des interdits et des devoirs qui ne tenait plus que par inertie. La simple dénonciation de son anachronisme a suffi à le faire s’écrouler. L’hédonisme pratique s’est révélé incomparablement plus convaincant que l’athéisme théorique. Le droit des désirs individuels et la norme de l’accomplissement personnel ont installé leur règne sans coup férir … Effacement du parti de la réaction (au sens religieux) et du parti de la révolution, effacement de ce couple aussi solide que tumultueux. » (Marcel Gauchet – Le nouveau monde)

« Tout choix est effrayant … : effrayante une liberté que ne guide plus un devoir. » (André Gide – Les nourritures terrestres)

« Cherche à faire ton devoir et tu sauras ce que tu vaux. » (Goethe)

« Comment pouvons-nous parvenir à nous connaître ? On ne peut y parvenir que par l’action et non par la spéculation. Tâche de faire ton devoir et tu sauras immédiatement quelle est ta valeur … Nos œuvres sont le miroir où notre esprit aperçoit pour la première fois ses exactes proportions … Il faudrait traduire le précepte ‘Connais –toi toi-même’ par  ‘Sache ce dont tu es capable’. » (Goethe – Wilhelm Meister)  – «  Il y a une recherche de soi, un regard jeté en arrière pour mesurer le chemin que nous avons parcouru, qui n’est d’aucun profit ; le seul intérêt est d’aller continuellement de l’avant et de parcourir le plus de chemin possible. » (Thomas Carlyle)

« Les équivalents du devoir, par une sorte d’obligation naturelle ou d’impulsion impérative. Le devoir impersonnel créé par le pouvoir même d’agir, puis par la conception même de l’action possible (intelligence), puis par la fusion croissante des sensibilités et le caractère plus sociable des plaisirs élevés. » (Jean-Marie Guyau)

« Au lieu  de dire : ‘je dois, donc je puis’, il est plus vrai de dire : ‘je puis, donc je dois’. De là, l’existence d’un certain devoir impersonnel créé par le pouvoir même d’agir. » (Jean-Marie Guyau)

« Il ne faut pas chercher si cela est la vérité, mais si cela est le devoir. » (Joseph Joubert)

« Personne n’a fait sa besogne. Mais tout le monde a fait son devoir. » (Robert de Jouvenel – sur l’irresponsabilité des prétendus gouvernants)

« Nous ne sommes jamais assurés qu’un devoir accompli par devoir mais avec plaisir, ne soit pas un devoir accompli par plaisir. » (Emmanuel Kant)

« Les ‘droits de la femme’ sont les devoirs de l’homme. » (Karl Kraus)

« Ce que je crois devoir à la mémoire de M. de Clèves serait faible s’il n’était soutenu par l’intérêt de mon repos ; et les raisons de mon repos ont besoin d’être soutenues de celles de mon devoir. » (madame de Lafayette – La princesses de Clèves) – Passage célèbre, montrant l’intrication des intérêts personnels et du devoir, et l’aveu que le devoir peut n’être que la façade d’intérêts difficiles à reconnaître.

« La notion absolue du devoir rend les gens secs, étroits, bornés, finit par faire d’eux des mécaniques détestables. » (Paul Léautaud)

« Il y a certainement peu de devoirs au monde aussi importants que l’exigence de perpétuer et de préserver l’espèce humaine, puisque nous ne sommes conduits à aucun autre devoir par de si charmants moyens. » (Georg Christoph Lichtenberg)

« Changement de sexe, commercialisation du corps et de ses produits : autant d’évolutions indiquant le recul des devoirs traditionnels envers soi-même et la montée en puissance corrélative du droit à l’autodétermination subjective. » (Gilles Lipovetsky)

« Bioéthique, charité médiatique, actions humanitaires, sauvegarde de l’environnement, moralisation des affaires, de la politique… croisades contre … Il y a peu nos sociétés s’électrisaient à l’idée de libération …  aujourd’hui, elles vont proclamant qu’il n’est plus d’utopie possible que morale. Pour autant, il n’y a aucun ‘retour de la morale’. L’âge du devoir rigoriste et catégorique s’est éclipsé au bénéfice d’une culture inédite qui diffuse davantage les normes du bien-être que les obligations suprêmes de l’idéal, qui métamorphose l’action morale en ‘show’ récréatif et en communication d’entreprise, qui promeut les droits subjectifs mais fait tomber en déshérence le devoir déchirant. Désormais le label ‘éthique’ est partout, l’exigence de se dévouer nulle part. Nous voici engagés dans le cycle postmoderniste des démocraties répudiant la rhétorique du devoir austère et intégral, couronnant les droits individuels à l’autonomie, au désir, au bonheur … Nulle recomposition du devoir héroïque, mais réconciliation du cœur et de la fête, de la vertu et de l’intérêt, des impératifs du futur et de la qualité de vie au présent. Loin de s’opposer frontalement à la culture individualiste postmoraliste, mais nouvelle phase de celle-ci qui n’exclut pas les revendications intransigeantes et leur aveuglement, l’effet éthique en est une des manifestations exemplaires. » (Gilles Lipovetsky)

« On ne peut détacher la religion du devoir de la confiance moderne dans l’éducation et la perfectibilité indéfinie du genre humain, de la foi dans la diffusion des Lumières et le progrès moral de l’humanité. Des hommes mieux instruits de leurs devoirs seront plus justes et plus vertueux… » (Gilles Lipovetsky) – Si c’est exact, alors nous sommes bien mal partis, vu le niveau lamentable de notre éducation et la disparition complète de la notion de devoir.

« Le ‘il faut’ a cédé le pas à l’incantation au bonheur, l’obligation catégorique à la stimulation des sens, l’interdit irréfragable aux régulations à la carte. La rhétorique sentencieuse du devoir n’est plus au cœur de notre culture, nous lui avons substitué les sollicitations du désir, les conseils psy, les promesses … ici et maintenant. » (Gilles Lipovetsky)

 « Les injonctions solennelles au devoir sont périmées, voici l’heure des hymnes à la responsabilité sans frontière, écologique, bioéthique, humanitaire, économique, médiatique …  A quoi peuvent bien mener de tels sermons absolutistes ? » (Gilles Lipovetsky)

 « On a encore des devoirs envers les autres, plus envers soi-même. » (Gilles Lipovetsky) – Exact quand l’auteur écrivait (1990). Ce n’est plus vrai avec les innombrables croisades, interdictions, opérations de prévention…

« La modernité  se présente sous deux faces : d’un côté l’idolâtrie de l’impératif moral, de l’autre sa délégitimation radicale ; la sacralisation laïque du devoir a eu pour envers la désacralisation de la conscience vertueuse. » (Gilles Lipovetsky)

« Non plus une morale de l’obligation, mais une morale ‘sentimentalo-médiatique’, partout l’émotion l’emporte sur la loi, le cœur sur le devoir. » (Gilles Lipovetsky)

« Quand on peut tout ce que l’on veut il n’est pas aisé de ne vouloir que ce qu’on doit. » (Louis XIV) – Nos rois avaient autrement plus de grandeur que nos minables arrivistes.

« Il ne s’agit pas de deviner ce que sera l’avenir, mais de voir ce qui s’impose dans le présent. Il ne s’agit pas de calculer ses chances, mais de penser son devoir. »(cardinal de Lubac)

« Si un jour on doit ne plus comprendre pourquoi u homme a pu donner sa vie pour quelque chose qui le dépasse, ce sera la fin de tout un monde, peut-être de toute une civilisation. » (Hélie de Saint Marc)

 « Le concept de société décente n’est pas nécessairement lié au concept de droits. Même une société sans concept de droits peut développer des concepts d’honneur et d’humiliation. » (Avishaï Margalit) – Une morale des droits (l’ai le droit d’obtenir ceci ou qu’on ne me fasse pas cela) est autre qu’une morale des devoirs (j’ai le devoir d’accorder ceci ou de ne pas faire cela). La seconde est fondamentalement et pratiquement supérieure. Il est clair que nous sommes passés de la deuxième à la première, et ce n’est pas un progrès ; d’autant plus qu’une morale des devoirs peut coexister avec une morale des droits alors qu’une morale des droits poussée à l’extrême éteint infailliblement une morale des devoirs.

« Centrer toute la vie morale, non plus sur le bien, mais sur la pure forme du devoir. Le devoir pour le devoir, l’unique motivation morale, ce qui fait de l’agent moral un agent qui se suffit absolument à lui-même. » (Jacques Maritain – sur l’idéalisme kantien)

« La sanction intérieure du devoir est toujours la même : c’est un sentiment qui se trouve en nous-même ; une peine plus ou moins intense qui suit la violation du devoir et qu’éprouvent les personnes d’éducation morale convenable… » (John Stuart Mill) – C’est où l’éducation morale d’aujourd’hui ?

« Le pouvoir de la société investi dans l’organisme gouvernemental, le pouvoir de l’opinion publique, le pouvoir de la conscience individuelle et le pouvoir de la religion. » (Gustave de Molinari – cité par Georges Sorel) – Les quatre moteurs  capables d’assurer l’accomplissement du devoir.

« Nos devoirs, ce sont les droits que les autres ont sur nous. » (Nietzsche)

« Quand on nous présente quelque chose comme un devoir, on nous indique par-là que nous n’avons pas de latitude pour décider nous-mêmes  s’il faut ou s’il ne faut pas le faire. » (Ortega y Gasset) – C’était jadis. 

Blaise Pascal célébrait ce qu’il appelait « le devoir de la pensée. » – Heureusement que Pascal n’est plus là pour assister à la chasse actuelle à la pensée.

« L’instinct dicte le devoir, et l’intelligence fournit des prétextes pour l’éluder. » (Marcel Proust)

« Si tu veux être sûr de faire ton devoir, fais ce qui t’est désagréable. » (Jules Renard)

« Détruisez la culture de l’obéissance, déclarez des droits et oubliez les devoirs, disent les conservateurs, et vous obtiendrez la terreur totalitaire. » (Roger Scruton) – Au profit de qui ? Sûrement pas du peuple.

« La défense des droits de l’individu est poussée jusqu’à un tel excès que la société se trouve désarmée devant certains de ses membres, et le moment est venu pour l’Occident de ne plus tant affirmer les droits des gens que leurs devoirs. » (Alexandre Soljénitsyne)

« Tant d’horreurs n’auraient pas été possibles sans tant de vertus. Il a fallu, sans doute, beaucoup de science pour tuer tant d’hommes, dissiper tant de biens, anéantir tant de villes en si peu de temps ; mais il a fallu non moins de qualités morales. Savoir et Devoir, vous êtes donc suspects ? » (Paul Valéry – Sur le vingtième siècle – La crise de l’esprit)

« La notion d’obligation prime celle de droit … Un homme a seulement des devoirs … Les autres, considérés de son point de vue, ont seulement des droits. » (Simone Weil – L’enracinement) –Le début fait bien rire aujourd’hui.

« Le devoir nous est donné pour tuer le moi. Et je laisse rouiller un instrument si précieux. Il faut accomplir son devoir au moment prescrit pour croire à la réalité du monde extérieur. » (Simone Weil)

« On n’a jamais fini de faire son devoir. » (proverbe) 

« Le devoir est facile à reconnaître, c’est ce que l’on aime le moins à faire. » (?)

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