435,7 – Enflure : Adjectifs, Adverbes, Nombres

– Conseil (superflu) aux futurs journalistes et gens des média : ne pas reculer devant l’enflure, l’imbroglio dans la terminologie, les formulations hasardeuses, les discours ou éditoriaux grandiloquents et les jugements définitifs. Usez sans modération de l’hyperbole. Mais d’abord et surtout : emphase du début à la fin. Exemples : le livre du siècle, un tournant de l’histoire, séisme, coup de tonnerre, la vénération portée à Dupont, les adorateurs de Durand, l’immortel chanteur, l’inoubliable actrice, l’éternelle vedette, le génial réalisateur, le film culte, de vrais héros, l’immense exploit, le sportif qui rentre dans l’histoire, les footballeurs qui eux sont entrés dans la légende, cet acte historique, prodigieuse aventure, expérience irréversible, placé sous haute surveillance (de même que toute autorité est ‘haute’), immortalisés (célébrités simplement photographiées), hyperxxxx, superyyyy… Pitoyable grandiloquence. Paul Morand disait d’une personne qu’elle « pensait par majuscules. »

– « Elevons des broutilles au rang d’ignominies. » (Pascal Bruckner)

– Il paraît que les cimetières sont remplis des quasi-divinités ainsi encensées, comme ils le sont déjà de tous les gens indispensables que nous avons perdus.

– L’enflure s’accorde d’ailleurs très bien avec la recommandation des pseudo-écoles de journalisme : dramatisez, dramatisez, pour captiver le gogo. Répertoire d’extravagances pour donner des idées, à propos de n’importe quelle futilité : barbarie, tyrannie, dictature, génocide, fascisme, nazisme, solution finale, policier, inquisition, bourreau, Gestapo, crime, forfait, attentat, assassinat, apocalypse, désastre, catastrophe, espèce en voie de disparition, sanctuaire (souvent de l’esprit), liberté (souvent de la presse), ordre moral, on pare au terrifiant risque de haute tension en mettant la situation sous l’inévitable haute surveillance… N’a-t-on pas entendu un PDG poursuivi pour malversations se comparer au capitaine Dreyfus ? Un ex-ministre impliqué dans un sombre dossier de corruption invoquer les ‘héros de la Résistance qui mourraient sous la torture’ ? (relaté par Pierre Boncenne)

– Pour évoquer une manifestation quelconque dont vous savez qu’il faut la valoriser : commencez par la qualifier de Sympa. L’essentiel sera dit.

– N’oubliez pas non plus de participer au « Festival de pleurnicheries. » (Elisabeth Lévy)

– Pour disqualifier n’importe quel substantif, et si vous êtes court au plan du  vocabulaire, faites comme Philippe Val dans  son Difficulté de savoir-survivre par temps obscurs, accolez le vocable nazi sans vous soucier de l’adéquation avec le substantif et (alternez avec fasciste si vous n’êtes pas comme cet auteur et n’aimez pas les répétitions lassantes).

– Si vous ne savez pas comment dévaloriser un quidam, placez-le dans la fameuse et redoutable Fachosphère. La seule sphère reconnue par le monde médiatique (Gauchosphère, sans doute trop vaste pour être identifiée, Islamosphère, sans doute trop crainte pour être détectée, et dont l’existence, de plus, contredirait la haine inconsciente mais tenace de l’Occident envers son propre monde blanc)

– Imitez nos estimables dirigeants qui ne condamnent ou ne désapprouvent jamais simplement, mais au moins vigoureusement, qui expriment leur grande indignation, qui protestent énergiquement, qui condamnent avec la plus grande fermeté, etc. Rodomontades, exhibitionnisme d’impuissants.

– Sachez que les honnêtes citoyens ne sont jamais protégés simplement, mais placés sous haute protection, ce qui change évidemment tout.

– Dans tous les domaines et pour qui raisonne (espèce rare), les nombres avancés sont le plus souvent systématiquement aberrants. Faire dans le gigantesque, sauf exceptions.

–  Un million de manifestants, occupant chacun un mètre carré, foule dense sans être compacte ni agglutinée, la cohorte occupe un million de mètres carrés, soit l’équivalent de l’emprise du périphérique parisien (100 hectares d’après wikipédia). A 3 km/h (allure excessivement rapide, irréaliste, pour une manif, sans bouchon ni piétinements) elle met plus de 10 heures à s’écouler. Combien de personnes agglutinées entasse-t-on de Bastille à République ou Nation ? Personne ne fera ces décomptes élémentaires, futurs journalistes vous pouvez donc y aller carrément ; à condition de vous renseigner cependant pour savoir dans quel sens il faut mentir : la règle est simple, manifestation hurlante syndicale ou de gauche, on multiplie par 10, manifestation calme étiquetée de droite, on divise par 3 ou 5. Si on ne sait pas, en cas de doute, suivre le journal dit indépendant qui dispense la sagesse à tous les gogos, lui, il sait ce qu’il faut dire et ne pas dire. Ou bien accorder une foi aveugle au chiffre de la préfecture de police. Eux savent aussi ce qu’il faut dire. C’est d’ailleurs, dans le cas des manifestations bénies (suscitées) par les autorités, type manifestations d’indignation pour mobiliser les lycéens imberbes et les lycéennes madones, que les chiffres des organisateurs et de la police convergent. Miracle du hasard.

– Pour soutenir Charlie-hebdo en janvier 2015, 4 millions de personnes (chiffre officiel et sacro-saint). Impressionnant, même pour un journaliste qui en a vu d’autres et auquel bien sûr on ne la fait pas. Une personne sur deux de la très grande ile de France, l’autoroute Paris Lille bondé par rangs serrés de 18 personnes, écoulement garanti une semaine après.

– On a vu des élus, des ministres s’investir à 300% dans leurs tâches, leurs dossiers. Le journaliste, lui, était investi à 500% dans la bêtise.

– Une enflure tout aussi grotesque règne également dans les innombrables guides et brochures sur papier glacé (que personne ne lit) émanant des innombrables comités se croyant chargés de promouvoir (c’est-à-dire de jeter l’argent des autres par la fenêtre) le tourisme local, la fameuse culture, la cuisine régionale: inoubliable, extraordinaire, merveilleux, mirifique, fabuleux, exceptionnel … ‘Une cuisine créative, sensorielle, contemporaine et porteuse des valeurs de l’excellence française’ … ‘Un cuisinier qui excelle dans l’art de sublimer les produits’

-Le sport se prête particulièrement à l’enflure journalistique « Coup-franc mythique, lob légendaire, entré dans la légende…

-La dépouille de Belmondo exposée dans la cour des Invalides ou l’enflure grotesque de notre époque, le ridicule  infantile  typique de toute fin de civilisation. Pourquoi ne l’a-t-on pas inhumé au Panthéon ? On va bien y mettre Joséphine Baker.

– Ne pas oublier que derrière certains nombres fétichisés et consacrés par la loi se cachent des réalités sonnantes et trébuchantes (indemnités) qui peuvent expiquer leur caractère sacré et consacré.

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« Certains substantifs présentent une usure qu’on ne peut tout à fait cacher, aussi faut-il les revigorer par des adjectifs ou des adverbes, ainsi : l’indépendance devient vraie, les aspirations authentiques, les destins indissolublement liés … l’adjectif confère au discours une valeur future … L’adjectif vise ici à dédouaner le nom de ses déceptions passées, à le présenter dans un état neuf, innocent, crédible.  Malheureusement ces adjectifs de revigoration s’usent. » (Roland Barthes – qui prend des exemples sur l’actualité de son temps) – Pour des exemples plus actuels, voir le début de cette rubrique.

« On fait appel à la quantité, chaque fois que l’on veut congédier la qualité. » (Jean-Paul Brighelli) 

« Un signe de la décadence, c’est que les mots deviennent infailliblement de plus en plus énormes, c’est une marche à l’hyperbole, tout s’enfle et rien ne persuade, on plane au milieu des nuées que l’on engendre … on est la dupe des épanchements que l’on s’est prodigué. » (Albert Caraco)

« Mettre une majuscule à tout ce qui se présente d’un peu insolite … En rajouter, majorer l’enjeu, voila un vice toujours récompensé .… Le ridicule tue mais la grandiloquence paye.  (Régis Debray) – Je ne vois pas où l’estimable auteur a pu voir que le ridicule tuait encore.

« M. Edouard Louis a qualifié son intervention  dans la presse ‘d’insurrection’. » (Régis Debray) – Son intervention : appel de ce minable à la délation et au lynchage.

« A partir d’un certain nombre, la quantité devient une qualité. » (Friedrich Engels)

« Le fin du fin est de s’accabler d’éloges réciproques… » (Erasme –Sur les intellectuels de son temps) – Rien n’est changé de nos jours si on écoute se faire briller entre eux les gens des média et du show-biz, surtout quand ils paradent sur les plateaux de télévision.

« L’imagination des instances au pouvoir est sans limite lorsqu’il s’agit de distraire la galerie avec des bricolages débiles, sans effets, sinon néfastes. » (Viviane Forrester – L’horreur économique)

« Il est plus facile de nier un problème si l’on interdit d’en mesurer  l’ampleur … On n’aime pas les réalités fâcheuses. «  (Stéphane Germain) – Voilà pourquoi le gang dominant interdit les statistiques ethniques, etc. Est-ce simple ?

« Est venu le temps de l’Insignifiance, elle a si bien tout envahi qu’on ne la remarque plus. » (Nicolas Grimaldi)

« Les termes grandioses destinés à ranimer la ferveur des foules :  ‘fracture sociale’, ‘cohésion sociale’, ‘l’intervention citoyenne’, ‘la sphère publique’, ‘la démocratie participative’ ou ‘délibérative’, ‘la télédémocratie’, ‘la bienséance citoyenne’, etc. » ( Guy Hermet)

 « Surboum multiculturelle. » (appréciation d’un journaleux sur la coupe du monde de 1998 et le délire infantile qui l’accompagnât) – Des boursouflures de ce calibre, on pourrait en citer des milliers.

« Moins le résultat est quantifiable, plus il faut faire de bruit. Et plus le bruit croit, plus les gens sont désocialisés et dépersonnalisés. » (Pierre-Patrick Kaltenbach – sur le vacarme médiatique et qualifié d’informatif)

« Le qualitatif perd importance et sérieux et se voit réduit à une dimension subjective et toute relative : ‘Vous avez les chiffres ? – Non, alors c’est vous qui le dites.’ » (Yves Michaud) – On croirait entendre le journaliste de service borné et servile

Exemple récent (entre mille) de l’enflure creuse de nos politiques : « La cité du théâtre a vocation à devenir un site culturel majeur favorisant la diversité culturelle et générationnelle. » (une ministre dite de la culture)

« Dénoncer cette monstruosité du système capitaliste qu’est la faim dans le monde et qui fait 50 millions de morts chaque année dont 30 millions d’enfants. » (un grand ponte socialiste – exemple cité par Jean-François Revel) – Chiffres serinés par Terre des hommes et quantité d’associations, d’imbéciles et de média. A l’époque le chiffre approchait les deux tiers de la mortalité annuelle mondiale et un bon tiers de la natalité. Peu de place donc laissée aux maladies classiques comme pour le renouvellement démographique sans compter même la progression énorme de la population mondiale… Même à Neuilly on devait mourir de faim. Les stupidités prononcées actuellement peuvent, et sont, encore plus énormes, en proportion de l’inculture générale et organisée.

« Tout ce qui est exagéré est insignifiant. » (Talleyrand)

« La surenchère dans ‘l’inédit’, ‘l’extraordinaire’ et le ‘formidable’ mène en droite ligne à l’inanité et à la platitude. » (Gustave Thibon)

« L’esprit succombant sous le poids de la quantité n’a plus d’autre critérium que l’efficacité. » (Simone Weil)

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